André Ekama, un écrivain Camerounais primé en Allemagne

Entretien de Birgit Pape-Thoma avec André Ekama

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André Ekama, né en 1968 au Cameroun, vit en Allemagne depuis une vingtaine d’années où il est très engagé dans la politique locale et dans la vie culturelle. Auteur de cinq recueils de nouvelles, il a reçu pour la seconde fois en décembre 2009 le prix de l’Adler Entrepreneurship dans la catégorie littérature attribué par Africain Youth Foundation (AYF).

Vous êtes auteur de cinq recueils de nouvelles. Mathématicien de formation ; qu’est-ce qui vous pousse à écrire ?
Ma passion pour l’écriture remonte à l’âge de 14 ans où j’écrivais des poèmes pour calmer mon amertume liée à ma découverte progressive des injustices et des inégalités. Cet apprentissage et mon désir de prendre part aux discussions des aînés m’ont donné le goût de l’écriture. Lors de mon entrée en second cycle, j’ai opté pour les sciences et j’ai eu moins de temps pour écrire. Après mon baccalauréat, je suis venu poursuivre mes études en Allemagne où je me suis retrouvé à 18 ans dans un autre monde. Cela a été un grand choc culturel pour moi. Au fil du temps j’ai appris à m’intéresser aux textes originaux de philosophes comme Kant et à relire l’œuvre de Kafka, cette fois en allemand. Étant en Allemagne de l’Est, j’ai été confronté de près au régime socialiste et j’ai cherché à déceler les visions de Karl Marx dans le quotidien. Je me suis aussi tourné vers Dieu quand certaines incongruités traversaient ma pensée. C’est dans ce contexte que j’ai recommencé à écrire pour raconter mes expériences quotidiennes. Au bout de quelques années, j’avais amassé plus de 600 pages et c’est ainsi que j’ai publié mon premier livre Être noir dans les Cieux blancs.
Pourquoi avoir choisi d’écrire en allemand ?
J’aime cette langue et résidant en Allemagne j’ai préféré m’intéresser aux lecteurs germanophones en me rapprochant d’eux linguistiquement. Ce que j’aime dans la langue de Goethe c’est sa précision et comme je suis mathématicien, je demeure dans cette logique de démonstration tout en m’inspirant des métaphores africaines pour mieux exprimer ma pensée. J’essaie cependant d’écrire dans un allemand assez simple pour être accessible au plus grand nombre.
Dans votre premier livre « Être noir sous les cieux blancs », vous racontez le destin des immigrés africains en Allemagne. On y rencontre par exemple un homme ambitieux devient maire d’une commune. Êtes-vous très optimiste ou plutôt ironique ?
J’ai voulu donner espoir aux émigrés en choisissant ce personnage d’Okomje qui passe de la gastronomie à la mairie de Wamsbuk. Cette situation pouvait paraître utopique en 2007, année de publication de mon livre, mais, depuis, les choses ont évolué. De plus en plus d’émigrés s’investissent dans les partis politiques en Allemagne et certains siègent comme élus au parlement fédéré ou comme conseillers municipaux. Le mixage culturel n’est plus une fiction en Allemagne. Nous le vivons. La population étrangère exprime son désir de se faire écouter et à valoriser sa présence. Ils ont droit de cité et d’affirmation dans la politique tout comme ils contribuent au développement de l’Allemagne.
Dans votre livre « Die Schätze von Obramkuza » (Les trésors de Obramkuza), vous décrivez les aventures des Africains de la diaspora qui retournent en Afrique après une longue période de vie en Europe. Vos protagonistes réagissent souvent comme des « Blancs gâtés » !
Quand on a longtemps côtoyé l’Occident on voudrait appliquer certains schémas à l’Afrique où les choses sont perçues autrement. Lorsqu’un exilé retourne passer ses vacances en Afrique il y est perçu comme celui qui a réussi et qui est au-dessus du besoin matériel. C’est dans cet esprit que certains exhibent  » leur réussite  » par de somptueuses dépenses ou comme on dit au Cameroun des  » farottages « . Mais ceux qui reviennent en toute modestie et qui essaient de faire comprendre que l’Europe n’est pas le Paradis sont mal vus et accusés d’hypocrisie. Dans Les Trésors d’Ombramkuza, je présente cette dichotomie entre les pays aux ressources innombrables et ceux qui ne connaissent pas le même développement. À quoi sert l’or, le pétrole, le gaz et autres minerais alors que la pauvreté gangrène ? Ceux qui utilisent la manne à leur propre compte sans la redistribuer aux autres font le déclin de cette Afrique riche. L’Europe s’est construite par la volonté de partage aux sommets de ses États. Il faut donner à chacun une part pour la rendre utile. Les jeunes africains qui ont grandi en Europe et qui choisissent de retourner au pays souhaitent qu’on leur donne une chance d’exprimer leur savoir-faire. La ressource humaine doit être galvanisée et davantage exploitée. D’où la nécessité de lancer des grands chantiers réguliers pour rendre opérationnelle une grande frange de la population. Car les moyens ne manquent pas ! C’est la volonté de certains qui fait défaut.
L’humour est très présent dans vos textes. Est-ce pour vous le meilleur moyen d’aborder des sujets comme la corruption en Afrique, la liberté de la presse, l’influence grandissante de la Chine en Afrique ou la vie chère ?
Le rire me permet de surpasser les problèmes, même les plus épineux. Je crois que les hommes ont besoin de cette forme d’humour. Aborder des sujets sérieux par le biais de l’humour est la meilleure manière de conscientiser même les plus sceptiques. Dans Im Spinnennetz der Privilegien (Les Toiles de privilèges), j’évoque la corruption dans nos sociétés et beaucoup rient lors de mes lectures alors que nous sommes tous victimes des dérives de certains fonctionnaires qui font payer leur service alors qu’ils sont des serviteurs de l’État. Au Cameroun on dit  » on va faire comment ?  » Je crois qu’il est temps de comprendre qu’aucune solution miracle ne viendra si nous ne sommes pas motivés pour faire bouger les choses. Notre rôle d’écrivain consiste à dénoncer les calamités et à’interpeller les consciences.
La question de l’identité des Noirs nés et grandis en Europe revient dans plusieurs de vos nouvelles. En France, un débat a été lancé sur  » l’identité nationale « , en Allemagne on parle de l’intégration des immigrés. Comment ressentez-vous ces questions ?
Je me sens concerné de près. Je vis désormais dans un autre milieu culturel que mon milieu d’origine et j’ai la nationalité allemande mais l’Afrique reste le berceau de mes ancêtres. Je garde l’espoir d’un village planétaire où les enfants du monde pourront se mouvoir en liberté et travailler pour le progrès de la nature. L’univers n’est pas ségrégationniste. Nous voyons comment les oiseaux migrent et c’est aussi comme ça que nous devrions être. Nous devons nous accepter et accepter les différences car les barrières entre les hommes les font dériver.
Jusqu’à quel point vos nouvelles sont-elles autobiographiques ?
Je vis d’abord mes œuvres et les vois comme une thérapie pour surpasser certains problèmes qui me rongent. Un artiste est celui qui met en partage les questions qui le traversent. Mettre en mots un malaise, qu’il soit chanté ou écrit, c’est déjà cheminer vers un mieux-être.
Dans votre dernier livre, Gorée, vous abordez un aspect douloureux de l’histoire du continent africain…
J’ai voulu m’arrêter sur la Traite qui a touché des millions de personnes. Lorsque l’on se rend dans l’Ile de Gorée on ne peut que prendre la mesure de son horreur. J’ai voulu rendre hommage à la mémoire de ceux qui ont franchi la Porte du non-retour et mon message est clair : plus jamais cette atrocité sur l’homme.
Quand le lecteur francophone pourra t-il lire vos nouvelles ?
Il peut déjà lire Le Candidat solitaire (1) traduit en français et publié en décembre. 2009 aux Éditions du Kamerun. Mes autres livres seront progressivement traduits et publiés dans des Maisons d’édition en Afrique.
Vous vous engagez pour promouvoir des auteurs africains de langue allemande. Quels sont vos projets ?
En Allemagne, nous nous sommes réunis pour monter une Alliance d’auteurs africains en langue allemande et nous sommes en liaison avec l’Association des écrivains africains en langue allemande au Cameroun. Notre objectif est de faire vivre la langue de Goethe dans l’âme africaine. Un projet qui me tient à cœur maintenant serait de rassembler les auteures africaines en Allemagne autour d’un d’une anthologie. Car elles ont certainement une expérience de la société que nous les hommes ne percevons pas.

Pour commander Le Candidat solitaire :  http://www.lulu.com/content/livre-%c3%a0-couverture-souple/le-candidat-solitaire/8116533///Article N° : 9411

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