Anggy Haïf : « Une culture pour être exportable doit être structurée au niveau national »

Entretien de Jessica Oublié avec Anggy Haïf, Bangui, novembre 2008

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La haute couture africaine existe bel et bien et comprend dans son panthéon quelques ambassadeurs comme Alphadi, Pathé O, Karim Tassi, Oumou Sy, Xuly Bet, Colle Sow Ardo, Gavin Rajah, Imane Ayissi ou encore Pepita D. Fervents défenseurs de leur patrimoine culturel, ces stylistes montrent avant tout la possibilité de créer une mode made in africa urbaine et actuelle. Toutefois, faute de structure d’encadrement, le styliste en Afrique centrale, pour exister, doit avant tout oser. Oser exprimer un art en phase avec ses racines, oser lancer une mode à l’avant-garde de toute tendance.
Rencontre avec Anggy Haif, styliste camerounais de renommée internationale invité deux semaines à Bangui comme parrain du défilé de mode organisé par l’Alliance Française de Bangui le 7 novembre 2008.

En 2005, vous remportez le 1er prix du Festival International de Mode Africaine de Niamey. Que représente ce festival pour un jeune styliste en passe d’émerger ?
Le concours l’Afrique est à la mode est initié par le Ministère des Affaires étrangères français et son département Culturesfrance qui soutient la mode et la création africaines. En 2005, ils ont lancé ce concours pour aider la nouvelle génération de créateurs à s’exporter sur la scène internationale. En remportant ce concours, j’ai obtenu une bourse de 5000 €, six mois de stage dans une maison de haute couture parisienne et un suivi médiatique. Ma présence à Bangui est un des aspects de ce prix qui me donnait accès à un billet d’avion pour un projet de formation. Dans le domaine de la mode, la Centrafrique est absente des circuits internationaux. Et pourtant, la création vestimentaire est présente ! Les jeunes créateurs et mannequins qui ont participé au défilé de l’Alliance Française, le 7 novembre dernier, doivent prendre connaissance de ces concours, qui font parti d’un système d’élection précis, pour prendre la place qui leur revient sur la scène internationale.
La mode internationale est un large réseau de partenaires, d’entreprises et de collaborateurs entre les bureaux de tendance, les ateliers de tailleurs, les fournisseurs, les acheteurs. Comment un jeune styliste parvient-il à se faire une place dans ce système relativement complexe ?
Avoir une bourse et accéder à la renommée, c’est très important. C’est beaucoup d’endurance, de discipline et d’initiatives personnelles. Cette bourse permet de travailler pendant six mois. J’en ai profité pour élargir mon carnet d’adresses et développer ma maison de couture. Une telle récompense permet de revenir en Afrique pour initier ceux qui en ont besoin afin de développer tout le système de production du secteur de la mode. Une culture pour être exportable doit être structurée au niveau national. La mode est un milieu très fermé où les gens n’ont pas de temps à perdre. Si à un moment quelqu’un doute de votre fiabilité, c’est tout le monde qui refusera de travailler avec vous. Il faut apprendre la discipline du métier. La mode c’est 40 % de talent et 60 % de discipline personnelle !
Pour un jeune styliste, créer sa propre clientèle constitue un travail de marketing et de promotion qu’il ne maîtrise pas toujours. Comment êtes-vous parvenu à élaborer votre carnet d’adresses ?
Un créateur doit connaître les organes de presse de son pays, les magazines spécialisés, les journalistes culturels. Tout démarre de là. Avant d’avoir le prix FIMA en 2005, j’étais déjà reconnu dans mon pays. Un journaliste peut être un ami et un confident mais surtout une excellente arme de travail. Comme dans tout métier, la mode est truffée de code, et le dossier de presse en est un des aspects. Le mien a été rédigé avec l’aide d’un journaliste, cet outil est le premier miroir du travail d’un créateur pour une maison de haute couture. Les créateurs doivent donc bien connaître les systèmes d’élection de leur pays avant de vouloir s’exporter. C’est le meilleur moyen de passer du local à l’international.
Comment collaboriez-vous avec le milieu de la presse au Cameroun ?
En Centrafrique, c’est plus facile qu’au Cameroun. Les journalistes de mon pays sont incroyables… Il faut être quelqu’un, c’est-à-dire organiser des évènements chez soi régulièrement et convier les journalistes pour que ceux-ci daignent écrire sur vous. Ils ne se déplacent que s’ils flairent quelque chose d’intéressant. L’initiative de l’Alliance Française est géniale. Jamais je n’ai vu cela au Cameroun. Ce moment de rencontre et d’échange professionnel est l’occasion pour les créateurs de permettre aux journalistes de valoriser leur travail. Alors c’est vrai, parfois il faut y mettre un peu d’argent. Mais j’ai appris à faire des sacrifices pour en arriver là où je suis aujourd’hui. Il faut savoir se priver de certaines choses pour évoluer. Créer une marque, c’est un travail de promotion qui passe forcément par la presse. Et rendre visible la création en Afrique est sans aucun doute le principal défi de ce siècle pour permettre son fonctionnement.
Vous faites appel à divers artisans pour travailler avec vous sur vos créations. Que vous permettent ces nouvelles collaborations ?
Sans l’artisanat, la mode n’est rien. Sans les artisans, les créateurs ne sont rien du tout. Les artisans constituent la matière première et surtout le travail de petite main. Quand les créateurs ont développé le raphia au Cameroun, il y a eu de la demande, les femmes ont commencé à porter cette nouvelle matière, cela a même créé des emplois. Les créateurs restent la vitrine des artisans. Les artisans sont l’inspiration des créateurs par leur découverte de nouvelles textures. De telles collaborations doivent se multiplier pour consolider le réseau de développement de la mode.
Comment êtes-vous parvenu à fabriquer votre « griffe » ?
J’ai toujours regardé autour de moi ce que les autres réalisaient. Et j’ai toujours eu envie de faire des choses que l’on ne voyait nulle part pour me faire une place. Chaque année, une centaine de jeunes diplômés sortent des écoles de mode au Cameroun. Il faut oser apporter des formes nouvelles, créer des coupes originales, même avec du tissu basique. Il faut savoir ce qui se passe en Afrique. Connaître le nom des grands festivals. Nourrir sa démarche d’un savoir spécifique.
La haute couture permet de se faire un nom plus facilement que le prêt-à-porter ?
La haute couture c’est la création et le prêt-à-porter les tenues de ville. Disons que la haute couture est réservée à une élite et que c’est par elle qu’un créateur parvient au prêt-à-porter. Une femme veut porter une robe qu’elle ne pourra jamais trouver sur une autre personne, d’où la cherté des tenues haute couture. Se créer un nom passe forcément par le luxe et l’exubérance des tenues haute couture qu’un créateur réalise à l’occasion d’un défilé. Un créateur doit maîtriser ses notions et surtout avoir le sens du sacrifice car effectivement, la plupart de ses tenues de rêve sont invendables mais, c’est d’elles que découlent les contacts et les réservations. Le temps passé à réaliser ces modèles est un investissement rentable sur le moyen terme car souvent, il m’est arrivé que des clientes se présentent à moi en sortant des défilés haute couture, clientes qui ensuite voyaient en moi leur unique créateur. Pour exemple, si aujourd’hui un styliste centrafricain vend une chemise prêt-à-porter à 20 000Fcfa moi je la vendrai à 80 000Fcfa car avec la haute couture le nom vaut le prix.
Selon vous, comment limiter l’impact des fripes occidentales qui reçoivent généralement un écho plus favorable auprès des consommateurs de vêtements en Afrique ?
C’est un faux débat ! Quelqu’un qui veut sortir économise pour le faire. Si les créateurs travaillent bien, les clients viendront acheter chez eux. La mode est plus sûre que ces fripes qui ont tendances à se démoder… La mode est régie par des codes vestimentaires et c’est aux stylistes de décliner leur travail en fonction de corps de métiers rencontrés dans leur pays. Le créateur doit élaborer sa démarche en fonction du marché du travail et des codes vestimentaires d’un pays. Être créateur, c’est amener la tradition en avant et la faire vivre au présent. C’est ce que l’on appelle communément l’innovation…
La présence encore très nuancée des créateurs africains lors des grands banquets européens de la mode est-elle due, selon vous, à un manque d’information ?
À chaque fois que je vais en Afrique, je lance un appel aux bailleurs de fonds. La visibilité réduite des stylistes africains sur la scène internationale est le résultat de contraintes financières ! Pour acheter des matières premières, pour réaliser un certain nombre de tenues pour des clients en différentes tailles, il faut des moyens. En Europe, la mode rapporte beaucoup d’argent aux hommes d’affaires. Hermès et Louis Vuitton sont des groupes prestigieux soutenus par des hommes d’affaires. Les chefs d’entreprises africains doivent soutenir les projets des créateurs pour résorber ces problèmes qui nuisent à la qualité de la création. À Abidjan, Libreville, Cotonou, les affairistes sont mobilisés pour valoriser les marques car ils ont compris que la mode a un potentiel économique fort. C’est juste une question de business…
La mode africaine doit-elle être avant tout ethnique pour faire parler d’elle dans les circuits internationaux ?
C’est un terme qui ne me convient pas. À Paris aujourd’hui, je ne participe plus à ces défilés dits « ethniques ». Les organes de légitimation ont placé les créateurs africains sous un seul et même carcan. En gros, quand on est un créateur africain on ne peut pas faire des tenues d’hiver car la mode ethnique est une mode « chaude »… Il y a la mode ethnique indienne, gitane, cela dépend des périodes. Les bureaux de tendance jouent aussi un rôle fondamental en matière d’innovation. Lorsqu’ils déclarent que telle année sera consacrée au vert ou au jaune, alors les créateurs doivent suivre ces codes pour aussi voir le jour sur la scène internationale.
Après deux semaines de formation à Bangui, dans quel esprit repartez-vous ?
Bangui a de la chance ! Il y a quatre opérateurs téléphoniques contrairement au Cameroun qui n’en compte que deux. Le sponsoring est un acquis si les créateurs travaillent bien. Il n’y a pas d’évènements. Il faut donc simplement les créer. Il n’y a pas d’agence de mannequin, il faut en monter pour aider les modèles à mieux marcher et donc à mieux valoriser les tenues qu’elles portent. En définitive, le terrain est vierge, tout reste à construire. Les créateurs du défilé de mode de l’Alliance Française sont des piliers de ce projet de rénovation du circuit de la mode en Centrafrique. Le directeur d’Air France s’intéresse au secteur de la beauté, c’est maintenant et à ces côtés, que les créateurs doivent s’impliquer dans la création de projets structurant. J’ai très envie de revenir en Centrafrique et d’y créer une entreprise. Tout reste à faire et je souhaite bâtir ce nouveau visage de la mode avec les Centrafricains pour qu’enfin le nom de la Centrafrique puisse se hisser demain sur la scène internationale.

///Article N° : 8240

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