La Galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar, sous le commissariat de Ken Aicha Sy, propose au public du 7 mars au 31 mai 2025, l’exposition « Diggante Taar ak Kiliftéef ». Mobilisant installations, photographies, vidéos et textiles, l’exposition déploie les différentes facettes de la driyanké, qui incarne à la fois l’élégance et le leadership au Sénégal. Une mémoire vivante qui défie le temps. A travers cette célébration, l’exposition se veut aussi un moment de réflexion sur la place de la driyanké dans un monde en perpétuelle mutation.
Une affiche attire le regard. De par la beauté de ce qu’il perçoit, le regard occasionne un mouvement. Quatre pas, vers la droite, le voilà happé par un portrait. Le regard entraîne tout le corps dans la contemplation. Silence !

Monologue intérieur : « Mom la ! C’est elle ! Tu en es sûr ? Certainement. Regarde de plus près. Au moindre détail. De haut en bas. C’est elle. Elle noue son mussor (serre-tête) aussi élégant que raffiné comme ça. Elle porte ces boucles d’oreilles et ce collier en or comme ça. Ce grand boubou coloré en vert, marron et gris en coupe V, et cousu par Baay Modu, c’est son préféré. Ce regard tendre, ce sourire sincère, est son charme. C’est elle. Attention, tu t’emballes ! T’as vu ses sourcils redessinés, ses cils allongés, ses lèvres foncées en rouge ? Elle est glamoureuse. Mec ! Silence. Elle est capable d’infléchir la modernité à sa manière. »
Elle, c’est, la driyanké, « cet archétype féminin qui incarne à la fois l’élégance et le leadership au Sénégal. Plus qu’un idéal esthétique, elle est une véritable institution culturelle, un maillon essentiel de la transmission des valeurs sociales et spirituelles. » Elle, c’est la photo posée à l’entrée de la Galerie Le Manège. Elle, c’est la femme en grand boubou thioup photographiée par Leslie Rabine. Elle amorce l’exposition. Elle plonge les curieux dans le jardin verdoyant du Manège.
Une voix perçante qui slame les accueille. L’immersion sensorielle commence. Elle passe d’abord par l’oreille tendue qui recueille : « Je suis l’arc, qui pique une occidentale vanité, de la reine Ndatté Yalla. Je suis la prêtresse, s’opposant à toute extérieure souveraineté, Aline Sitoé. Je suis le trône de vérités du Royaume de Fatou Diome. Je suis l’antonyme de l’adversité, la douce houle de Ken Bugul. Je suis la plume la plus aiguisée, celle d’Aminata Sow Fall. Je suis l’esprit empreint d’authenticité de Mariama Ba. Je suis la femme Sigma ». C’est l’hommage d’une femme, Maua Ya Jua, au milieu du cercle formé par des femmes. Puis, elles chantent en chœur. Soudain, elles crient, graves. Elles menacent. Qui ? Ceux qui abusent d’elles, ceux qui oppressent, ceux qui les réduisent à leur apparence, ceux qui brisent leurs rêves. Femme, « ne savent-ils vraiment plus qui tu es ? ». Ce qu’elle est : « la femme-mère ; la femme-guerrière ; la femme-visionnaire ; la femme-prêtresse ; la femme-guérisseuse ».

Ensuite, en traversant une autre porte, à l’intérieur d’une grande salle en clair-obscur, sonorisée par une musique douce rythmée par une flûte traditionnelle, l’ouïe et l’œil sont sollicités : une silhouette debout sur son trône, fièrement avec son foulard en forme de pain de sucre sur sa tête et sa pipe sur sa main droite. Sur un tableau, il est écrit : « La Reine Ndate Yalla est une figure emblématique de l’histoire sénégalaise. Ce fut la dernière grande reine du Walo. ». Hommage rendu par Oumou Sy, la costumière du film Hyènes de Djibril Diop Mambety. A quelques centimètres, des poupées dômes. Hommage aussi. A Mbissine Thérèse Diop, la protagoniste de La Noire de… de Sembène Ousmane. Pierre-Antoine Vettorello, l’auteur de cet hommage s’explique : « Il s’agit d’une reconstruction de trois tenues portées par Diouana dans le film, habillant des poupées en terre cuite. Ces poupées dôme s’inspirent de la tradition sénégalaise où la fabrication de poupée joue un rôle crucial dans la construction de l’identité féminine. Dans le roman Maimouna d’Abdoulaye Sadji (1958), la protagoniste et sa poupée Nabou sont inséparables, symbolisant le passage de l’enfance à l’âge adulte. ». Encore hommage. De Maguette Gueye à Adja Maty, sa grand-mère. Une silhouette avec ses parures, son grand foulard bleu toise les autres silhouettes. Sa robe courte et sa jupe longue soulignent la majesté de sa posture. Elle « fusionne les techniques artisanales ancestrales et une vision contemporaine de la mode. Le coton tissé à la main aux reflets bleutés dialogue avec un tie and dye teint à la main, tandis que la superposition d’indigo et de dentelle confère une profondeur unique aux manches… ». Elle exhorte « à porter l’histoire avec fierté et à inscrire la mode dans une continuité culturelle et identitaire. ». A côté, il y a sigil. La marque de Cheikha qui, à travers « une silhouette aiguisée et prometteuse, aux formes voluptueuses, dévoilées par des plis, des boucles, des replis et des enroulements », nous invite « à voir au-delà des apparences, là où se jouent l’autonomie et la profondeur des femmes, souvent masquées par « les plis précoces que l’œil à tendance à opérer. »

Devant un mur où il est écrit comme titre : « Driyanké : l’art subtil de la séduction et du pouvoir féminin », la driyanké sénégalaise est hissée au sommet par l’artiste La Grue qui déplie ses facettes : « La Driyanké sénégalaise n’est pas une femme comme les autres. Elle est une stratégie, un art, une maîtrise du jeu des apparences et des essences. Elle sait que séduire n’est pas seulement une question de beauté, mais de mystère, de gestion fine des egos et d’une science sociale hérité des grandes cours mandingues… Elle est cette femme qui, dans un murmure, fait naître le désir et l’admiration, et qui, dans un silence, gouverne. La driyanké, c’est l’art de plaire sans jamais se perdre, de séduire sans jamais s’offrir, de régner sans jamais s’imposer… Dans le royaume des saveurs et des épices, la driyanké est une stratège… Elle cuisine pour imprimer son empreinte… Elle ne se contente pas de poser les plats, elle met en scène un moment… La démarche de la driyanké… Elle ne marche pas. Elle glisse… La driyanké ne parle pas fort, elle ne court jamais, et pourtant, elle fait monter la température sans dire un mot. Sa séduction est une science, un art millimétré, une maîtrise du temps et des sens. Elle ne s’offre pas, elle se fait désirer… ». Sa séduction passe aussi par ses perles et encens car l’olfactif et le toucher sont incontournable dans son charme. Du texte à l’image. Naette Mbaye transpose cette écriture en photos. Et Naette martèle : « Peu importe l’âge, ou l’environnement, les femmes photographiées s’élèvent, incarnant avec fierté la beauté à la manière Driyanké… car la beauté, en essence, est un acte de résistance. ».
Enfin, quelques minutes après, à 19h22. L’heure de la coupure du jeûne. Dans le jardin, l’œil voit des dattes, du pain, du café, de la soupe, du ngurbaan, du bissap, etc., posés dans différents coins. C’était le vernissage de l’exposition, le 7 mars 2025.