Arthur Angong Zé : « Le conte c’est ma routine, c’est mon monde »

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Au-delà de sa passion pour les mots et pour la transmission orale des valeurs véhiculées par l’héritage ancestral des contes, l’artiste-conteur camerounais Arthur Angong Zé a fait de son savoir tout un art de vie et une bataille en même temps. Sans ce médium il ne s’imagine exister en tant qu’être pensant et agissant.  Parce que via le conte et ses multiples prestations sur scène, tant bien au Cameroun  qu’à l’étranger, Arthur Angong Zé marque son temps, son espace et les esprits. C’est avec beaucoup d’enthousiasme et de joie que nous sommes allés à sa rencontre pour réaliser cette interview dans laquelle il se raconte en profondeur.

Comment s’est faite votre initiation au conte ?

Mon initiation à l’art du conte s’est faite dans ma tendre enfance, dans le village d’où je suis originaire, Niamvoudou. par Ayos. C’est là où tout a commencé. Je suis du centre Cameroun, au cœur de la forêt équatoriale. Chez nous les Ekang, la maîtrise de la parole est quelque chose de fondamentale dans la construction de l’homme : maîtriser la langue et les arcanes de l’art oratoire est signe de sagesse et de maturité. N’ayant pas grandi dans mon village, j’y allais toutes les vacances à l’injonction de mon père qui nous obligeait à faire ces voyages au moins une fois par an en fin d’année scolaire. Le soir autour d’un feu de bois,  les anciens de mon village me transmettaient l’héritage de la parole vivante : c’est là que j’ai tout appris. En journée, je ne traînais pas vraiment avec les enfants et les jeunes de ma génération ; je passais beaucoup plus mon temps avec les Patriarches et les Matriarches du Village à la quête du savoir. La connaissance et la spiritualité dans toute son essence m’ont toujours passionné. Je n’ai pas appris à dire les choses, à raconter les histoires pour être un conteur ; c’est la providence et mes ancêtres qui m’ont prédestiné à cela. Des années après, je suis devenu humoriste amateur et je détestais faire l’humour des bouffons ! Je suis allé au théâtre pour apprendre les arts vivants et suivre mon rêve d’artiste. C’est là-bas que le déclic m’est tombé sur la tête ; je me suis rappelé d’une berceuse d’un conte que ma mère nous a racontée lorsque nous étions petits. La chanson résonnait dans ma tête comme un appel, comme une voix qui me disait : ‘’va et conte !’’ Je suis donc parti à la rencontre de mon passé. Cette enfance épique qui m’a tout donné. J’ai raconté une fois et je n’ai plus jamais cessé de raconter les histoires jusqu’à aujourd’hui ; ça fait dix ans que ça dure. J’ai donc une formation de comédien et de conteur traditionnel à la base . Je suis dépositaire d’un patrimoine oral des contes et proverbes Yebekolo. Cependant je raconte aussi les chantefables d’ici et d’ailleurs. 

Comment faites vous pour connaitre et maitriser le plus de contes possibles ?

Le conte, c’est ma routine, c’est mon monde. Je vis pour le conte et l’art en général. Le conte, c’est aussi mon métier : c’est de ça que je vis . C’est surtout ma passion, c’est pour ça que je maîtrise autant de récits, parce que j’adore raconter les histoires et je ne me lasse pas de le faire. Au-delà de mes études universitaires, j’ai décidé de consacrer ma vie à l’art et au conte en particulier. Il faut dire que le conte est un corps à corps entre le conteur et son histoire, entre le conteur et son public. Pour mieux partager une histoire, il faut déjà la vivre soi-même. Le conte est un voyage, un univers interactif qui nécessite la présence vivante du public. Le public n’interagit que si et seulement si le conteur maîtrise parfaitement son art et parvient à créer le rêve pendant son récit. Si j’ai choisi le conte comme métier, la question ne devrait plus se poser : je suis obligé de maîtriser mes contes parce que j’assume mon art. Autre chose, je déteste la répétition comme le disait Peter Brook, car je m’ennuie rapidement et tout le temps. Plusieurs artistes tournent avec les mêmes spectacles pendant des années. Moi, j’aime me renouveler. La monotonie est un poison pour la création. C’est important au-delà des choix de dire qu’être un conteur nécessite aussi des compétences artistiques pluridisciplinaires, scientifiques et intellectuelles. Les conteurs, au-delà du divertissement, sont aussi des têtes bien faites. 

Qu’est ce qui a motivé votre passion pour le conte et pour ce combat qui en découle désormais à chaque fois que vous êtes sur scène ?

L’art du conte est émouvant et noble. Le conte est un art complet. Je suis fasciné par la splendeur de cet art  ancien qui enfanta les autres arts vivants. Le conte est un art plein de folies, de rêves et de grandeur : ne conte pas qui veut mais qui peut car il faut une véritable motivation pour conter.  La parole est comme de l’eau : une fois versée, on ne peut plus la ramasser. C’est pour ça que je respecte l’art du conte qui, au-delà du merveilleux, nécessite une extrême délicatesse. La maîtrise et la manipulation de la langue ne sont pas données à tout le monde, c’est pour ça que les conteurs font peur. Ma rage pour que vive le conte vient du mépris que cet art subit aujourd’hui. Pour me faire connaître en tant que conteur depuis le début jusqu’à aujourd’hui, cela n’a pas du tout été facile et c’est toujours difficile… Je fais face aux sarcasmes et aux intrigues, mais je ne lâche pas !  Les gens dits « modernes » ou « évolués »  pensent que le conte est dépassé, que cet art est obsolète : une insulte que je ne tolère pas ! Une condescendance que je ne pardonne pas ! C’est pour cela que je fais beaucoup de recherches pour enrichir mon travail et déconstruire le mythe du conte pour enfants. Le conte est un art pour tout public, enfants et grands. Car c’est le Creuset du savoir et de la sagesse. Le manque d’initiative autour du conte dans mon pays m’a poussé à créer le festival international du conte MINKANA, qui fait son chemin depuis 2014. Faire le conte pour moi, c’est plus que faire de l’art, c’est un combat. Je me considère comme un conteur activiste. Je me bats sans arrogance pour que le conte puisse s’imposer dans l’écosystème culturel actuel et retrouve ses lettres de noblesse d’ antan. 

Pensez-vous que les contes ont une influence de fond et réelle sur la façon dont agissent et pensent les individus dans la société ?

Les contes influencent les peuples depuis la nuit des temps. En sciences sociales, on définit la culture comme ensemble des façons ou des manières de faire, d’agir et de penser propre à une société dans un espace géographique précis. La culture d’un peuple s’inspire et se façonne sur la base d’un certain nombre de mythes. L’Europe est un exemple concret. En Afrique, on croit qu’on doit refaire l’histoire, repartir de zéro, or, nos ancêtres nous ont déjà tout donné, il suffit de faire revivre leur héritage.   Au-delà des rencontres, nous avons tous une origine, un point de départ et un point d’arrivée. Les contes ont aussi une portée prophétique : ils ont prédit des guerres, des crises, des catastrophes naturelles ainsi que les relations internationales et les innovations technologiques que nous vivons aujourd’hui. Le conte est un passé qui dirige le présent et le futur . Il ne faut pas le lire ou l’écouter au premier degré, car les contes ne sont pas toujours ce qu’on voit ou ce qu’on écoute, c’est bien plus que cela. 

Que répondez-vous à ceux qui pensent que le conte est révolu et n’est plus adapté à l’époque actuelle ?

J’aime bien prendre la mode vestimentaire pour exemple : les styles et les tendances tournent en rond depuis des décennies. On s’accroche aux nouvelles sorties comme si c’était nouveau ; pourtant, c’est toujours du déjà-vu. On essaye de réinventer le monde et les choses mais on s’inspire toujours de ce que les autres ont fait . Le véritable problème pour ceux qui pensent que le conte n’a plus sa place aujourd’hui est qu’ils ne sont pas suffisamment informés sur leur propre histoire, et je trouve ça triste ! D’autre part, le conte peut paraître hermétique et accessible qu’à une catégorie d’esprits. Ceux qui ne comprennent pas la symbolique des personnes et les clés d’analyse d’un récit épique le trouvent anachronique.  Aujourd’hui, beaucoup d’Africains ont peur d’aller dans leur village parce qu’ils craignent les sorciers. Déconnectés de leurs racines, ils embrassent la modernité sans aucun repère identitaire.  Malgré les difficultés liées aux multiples ravages de la modernité, je vais continuer de me battre pour que le conte ne disparaisse pas de nos habitudes en Afrique.  Je comprends cette posture, vu les ravages de la mondialisation et de la colonisation. Je ne juge personne car chacun a le droit d’avoir son opinion sur la pertinence de l’art du conte aujourd’hui . Mais moi, je n’abandonne pas, j’avance et j’ai foi au temps qui sait si bien nous rappeler les choses. Un jour, ils comprendront. La mission du conteur n’est-elle pas  d’instruire, de sensibiliser et d’éclairer le peuple ?  

La revalorisation du conte par votre entremise oscille-t-elle entre passion et combats en même temps ?

Au départ, ce n’était qu’une passion et un rêve d’enfant. Aujourd’hui, c’est un véritable combat. Il est difficile de trouver des mécènes pour soutenir les initiatives autour du conte. Cela explique à suffisance le manque de considération pour cet art. Le conte est au cœur de plusieurs enjeux aujourd’hui, notamment philosophiques et politiques. C’est par l’histoire qu’on construit l’identité culturelle et collective d’un peuple, mais il faut bien que la panthère raconte sa propre histoire puisque la version du chasseur est falsifiée. Raconter, c’est plus que divertir ou émerveiller ; raconteur, c’est donner son point de vue et laisser une trace à l’humanité. La parole vivante est un pouvoir qui n’est pas à la portée de tous. Il n’y a pas de combat sans passion. Conter, c’est cesser de subir ; conter, c’est donner sa réplique au monde des vivants. Nos concitoyens ont besoin de connaître leur histoire et leurs origines  pour mieux creuser le chemin du futur.  Le conteur ne doit pas être un bouffon mais un véritable porteur de la parole. Cette parole qui libère et qui guérit les âmes stériles. 

D’après vos observations sur la société actuelle et celle d’hier, qu’est ce qui peut expliquer le recul criard de l’intérêt porté sur le conte ? Pourquoi le conte tend-il à disparaître de nos habitudes ? 

Le conte est un art traditionnel mais il doit voyager dans le temps et dans l’espace. Il faut sortir de l’obsession de l’originalité grégaire ou sauvage, pour redorer le blason du conte aujourd’hui. Il est important de questionner de nouvelles méthodes de contage qui n’enlèvent en rien l’essence même du conte. Le conte mérite mieux qu’une seule façon de le dire. Les conteurs ont une grande responsabilité dans cette crise du conte due à la monotonie des raconteurs d’histoires. Les conteurs ne sont pas condamnés à ne faire que la transmission ; ils doivent recréer le conte vivant et l’explorer avec de nouveaux médiums. L’époque actuelle a certainement ses réalités  qui ne devraient pas empêcher au conte d’exister dans toute sa splendeur. D’autre part, il y a un manque de volonté politique à exploiter et à valoriser le patrimoine culturel immatériel. Les familles ont démissionné également car le conte est à la base une activité familiale qui préconise le partage et la cohésion sociale. Chacun doit prendre ses responsabilités. 

La voix d’un conteur pèse-t-elle réellement sur la vie sociale comme celle des autres artistes bien connus et courus du grand public ?

Tout dépend des contextes, mais ce n’est pas le nombre qui compte. Le plus important est l’impact immédiat d’un conteur sur scène. Nul ne résiste à sa voix. Les conteurs n’accordent pas généralement de l’importance à la célébrité. Cependant, ce n’est pas impossible. Nous travaillons avec acharnement pour que le conte puisse s’imposer dans notre écosystème culturel  sans aucun complexe . 

Autrefois, le conte se disait autour d’un sage, il réunissait, il fédérait, il ne se faisait pas dire en journée, le village était son berceau et son temple par excellence ; tout cela tend davantage à disparaître aujourd’hui ; que préconisez-vous comme solutions afin que cette marque d’identité culturelle africaine ne disparaisse pas pour toujours ?

J’ai créé le festival international du conte MINKANA pour permettre au conte d’exister dans la carte culturelle de mon pays. Je continue de créer des spectacles selon les thématiques et les causes qui me parlent. Je fais des formations en art du conte dans des espaces culturels, je fais des tournées scolaires, nous faisons des “samedis en contes” pour les enfants et les parents. Je compte ne pas m’arrêter là. Dans les jours à venir, je dois construire un espace culturel dédié à l’art du conte dans ma ville natale. Je sais que je peux compter sur tous ceux qui croient en ce combat qui n’est pas que le mien mais le nôtre. 

Au-delà des scènes des festivals, des rencontres artistiques et bien d’autres événements plus ou moins similaires, quels autres efforts faites vous pour que le conte ne meurt pas complètement ?

Je collecte les contes dans les villages et même dans les villes. C’est l’héritage que je laisserai à mes enfants et à tous ceux qui seront disposés à en faire bon usage. Je sème une graine qui va germer dans le temps. Par ailleurs je ne cesse pas d’apprendre et de chercher. 

 

Propos recueillis par Désiré Etogo

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Les images de l'article
Scène du film LA DERNIÈRE REINE © DR





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