Suite à sa dernière exposition à la galerie 127 de Marrakech (1), Rencontre avec le photographe Ali Chraïbi autour de son dernier travail : « La Joconda ».
Comment êtes-vous venu à la photographie ?
Vraiment par hasard ! Je n’ai jamais eu la prétention de verser dans le monde de l’art, mais les circonstances ont fait que
J’ai tout bonnement eu l’occasion d’acheter un appareil photo, une bonne occasion, mais je ne savais pas l’utiliser. Il s’est avéré qu’à cette période l’Institut Français de Marrakech organisait un stage de quelques jours d’initiation à la photographie, où l’on apprenait le fonctionnement d’un appareil photo, ainsi que le développement et le tirage noir et blanc. C’est là que j’ai commencé à pratiquer. La passion s’est très vite installée et a pris le dessus.
Vous travaillez au Maroc et faîtes partie d’une association de photographes, pouvez-vous nous parler du contexte marocain dans lequel vous évoluez depuis plus de dix ans ?
L’association s’appelle l’AMAP (Association Marocaine d’Art Photographique). Pardon pour elle, mais j’estime que cette association n’est pas très performante
J’ai plus tendance à travailler seul, qu’avec eux
Malgré tout, l’AMAP reste une bonne interface avec l’état marocain, étant donné que ce dernier ne traite pas directement avec les artistes.
Le contexte, concernant la photographie, est extrêmement difficile au Maroc. Tout d’abord, sur le plan technique : on ne trouve pas de matériel de laboratoire argentique (agrandisseurs, papier photo, chimie
), ce qui fait qu’il est impossible de produire une photo argentique au Maroc. Seul le numérique fonctionne.
Concernant les ressources financières pour la promotion de l’art photographique, au niveau étatique, elles restent encore très faibles. Pour vous donner une idée, l’état octroyait près de 3000 euros par an à l’AMAP (cette année, je sais que cette somme va être augmentée). Au niveau des ressources privées, il existe beaucoup de galeries privées au Maroc mais très peu d’entre elles exposent de la photographie, parce que les marocains n’en achètent pas (contrairement à la peinture). La photographie est toujours considérée comme étant un art mineur.
Sur le plan artistique, il est très difficile de montrer une photographie différente, qui sorte des clichés et stéréotypes locaux. Je veux dire que pour une majorité de Marocains, une belle photographie se limite à un paysage ou au vieil homme en djellaba dans une ruelle de la médina (ancienne ville). Pour eux, la photographie est exotique, ou n’est pas. Beaucoup de gens rejettent les photos qui sortent des clichés couramment admis. Dès que l’on sort de ce type d’images, on se heurte à un mur
Avec quel matériel travaillez-vous ? Accordez-vous une grande importance à l’aspect technique ?
J’ai toujours travaillé avec du 24×36, si ce n’est depuis peu, où je me suis mis au moyen format. J’ai débuté avec un Olympus N2 avant de passer à un Nikon F5.
Pour le moyen format, j’ai utilisé un vieil Hasselblad acheté occasion.
Mais j’estime que cela n’a aucune importance. Tout comme l’aspect technique. Il est très important de maîtriser le côté technique, cela est évident. Mais ce n’est pas la technique qui fait l’uvre.
Pouvez-nous nous parler de votre travail en cours, la Joconda et de votre récente exposition à la galerie privée 127 à Marrakech ? Comment ce travail a-t-il démarré ?
J’ai débuté ce travail en décembre 2005. J’étais invité avec d’autres photographes à Azemmour, petite ville marocaine en bord de mer, pour y faire un travail : nous étions libres, et n’avions pas d’orientation spécifique. J’ai donc photographié (entre autres) les habitants, dont une femme, qui m’a ouvert sa porte. J’ai eu beaucoup de plaisir et d’émotion à le faire, ce qui fait que j’ai récidivé, et me suis mis à la recherche d’autres femmes qui accepteraient de se laisser prendre en photo (soit chez elles, soit chez des amis à elles), toujours à Azemmour. Le résultat étant convaincant, j’en ai fait un sujet pour mon travail.
Je me suis donc mis dans la tête de parcourir le Maroc (du moins, une partie, le Sud, étant donné que je ne connais pas le Nord, et je sais que les gens y sont assez conservateurs), de façon à pouvoir photographier un panel de femmes assez large, et représentatif du pays. Je suis, entre autres, allé dans le désert, et à chaque fois je me suis heurté à un problème majeur : les femmes refusaient non seulement de se faire photographier, mais les prendre en photo chez elles relevait de l’hérésie
Ça m’a « calmé », et j’ai dû revoir à la baisse mon objectif. Il est extrêmement difficile de prendre en photo des femmes chez elles. Le seul moyen que j’ai trouvé, pour pouvoir le faire, a été de passer par le biais de connaissances. De me faire introduire. Donc j’en parle à mes amis, et lorsqu’une occasion se présente, je fais des prises de vue.
Mais les occasions sont rares, ce qui explique la lenteur du travail. Aujourd’hui je continue ce travail dans le but de le publier, ce qui exige un nombre d’images assez important.
Aux mois d’avril – mai, j’ai exposé à la Galerie 127, à Marrakech, qui est la seule galerie photo d’Afrique du Nord. Ses responsables ont pour habitude de n’exposer que des photographes mondialement connus. Lorsque je leur ai proposé ce travail, ils ont été séduits et l’ont tout de suite programmé pour une exposition.
En fonction de quels critères choisissez-vous vos modèles ?
Vue la difficulté que j’ai à trouver des modèles, croyez-moi, je ne les choisis pas ! Mais il est vrai qu’après mes prises de vue, je choisis de ne pas montrer certains modèles parce que j’estime qu’ils ne correspondent pas à ce que je veux montrer.
Les femmes que je prends en photo, ce sont celles qui m’ont entouré enfant. Pour moi, elles représentent la « vraie » femme marocaine, du moins celle que j’ai toujours connue. La femme marocaine est une femme qui a beaucoup enduré, beaucoup souffert. Qui s’est toujours sacrifiée pour sa famille, qui a toujours travaillé inlassablement, sans répit. Mon but, à travers ces images, c’est de rendre à ces femmes toute la noblesse qu’elles méritent. J’essaie toujours de mettre en évidence toute l’humilité qu’elles peuvent porter en elles.
Aujourd’hui les tenues vestimentaires changent, la vie est plus facile, la femme issue de la « nouvelle » génération a beaucoup moins le sens du sacrifice. Ces femmes sont en train de disparaître.
C’est la raison pour laquelle j’aimerais en faire un livre, de façon à les immortaliser. Maintenant vous comprenez mieux en fonction de quels critères je choisis mes modèles : il faut tout simplement que celui-ci ait du vécu. Cela ne marche pas avec les jeunes, ni avec les bourgeoises (qui ont eu une vie facile), ni les femmes trop modernes (entre autres). J’ai pris en photo des femmes de milieux sociaux relativement défavorisés. Il y a parmi elles des prostituées, des mendiantes, mais aussi des femmes plus aisées, toutes ont en commun le fait d’être assez âgées. D’ailleurs, deux d’entre elles ne sont plus
Comment travaillez-vous avec vos modèles ? Quelle est la relation qui s’instaure entre vous ?
Difficile à dire
cela dépend du milieu social. De façon assez générale, les milieux sociaux défavorisés n’ont pas l’habitude de se faire photographier. Quand cela leur arrive dans les studios locaux, ils ont toujours tendance à se tenir bien droit, à regarder fixement l’objectif
Vous voyez le « problème » alors pour moi. Ainsi, en général, je suis relativement froid et sévère, de façon à ce qu’elles soient gauches et mal à l’aise : et là, elles ne trichent pas, elles ne font pas semblant.
Je ne prends pas trop le temps de faire connaissance, je passe au plus tôt à la prise de vue. On parle ensemble une fois que c’est terminé. Lorsque la personne comprend plus ou moins ce que j’attends d’elle (être la plus naturelle possible), ce qui est le cas dans les milieux sociaux plus élevés, je suis plus « cool », j’essaie de les mettre à l’aise. On parle beaucoup, et je fais les photos après avoir sympathisé.
Sur un plan technique, je les laisse toujours libres de leur mouvement. La seule chose que je leur demande, c’est de se positionner (par rapport à la lumière), de façon à avoir un éclairage satisfaisant.
Dans tous les cas, je leur donne (bien après la séance de prises de vues), des photos, tirées en grand format.
La Joconda… pourquoi ce titre ? Lorsque l’on pense à la Gioconda, on pense toute suite à son sourire énigmatique qui a fait couler tant d’encre…
« La Joconda », la Joconde, arabisé ou plutôt marocanisé
J’ai choisi ce titre parce que ces femmes que je photographie incarnent pour moi la Joconde, ou le mystère de la beauté féminine.
Plus je les regarde, plus je les trouve belles et plus je perçois une profondeur, une forme de noblesse, de pudeur mélangée à de l’humilité, de l’humanité
Justement, comme vous le dites, elles portent en elles quelque chose d’énigmatique. Telle la fameuse Joconde.
Pourrait-on dire que votre démarche photographique s’oriente de plus en plus vers un travail documentaire « classique » ? Vos premiers travaux semblaient être plus axés sur une recherche plastique sur les formes, la lumière, les lignes, la matière… cela était aussi très présent dans le travail sur la ville que vous avez présenté aux dernières Rencontres de Bamako (2) : « Downtown memories ».
Pas tout à fait. Ces images ont été prises avec un 6×6 (format carré). Ce format est assez particulier, il laisse une marge de créativité qui est très faible, et fait nécessairement basculer dans un style d’images beaucoup plus classique.
Avec du 24×36, on peut orienter l’appareil comme on veut et cadrer de façon très pertinente ou originale, contrairement au format carré qui laisse une latitude de cadrage très limitée.
Cela ne veut pas dire que le 6×6 soit moins créatif qu’un format rectangulaire. Le format 6×6 a l’avantage de donner une qualité d’image très nettement supérieure au 24×36. Non seulement en netteté, mais aussi en gamme de couleur (de gris dans mon cas).
Il est vrai qu’il en ressortira des images plus classiques, mais le pari est là : faire du « classique », mais des images de qualité artistique. C’est extrêmement difficile et osé, bien plus qu’avec du 24×36.
Par ailleurs, le format 24×36 permet de faire des photos rapides, alors que le 6×6 nécessite des réglages préliminaires relativement longs. Les photos seront nécessairement posées, et n’auront pas la vigueur du spontané.
Toutefois, ces considérations (photographie classique ou plasticienne) ne veulent rien dire. La seule et unique chose qui m’importe est que l’image soit artistique.
Ce qui fait la différence, la réelle frontière que l’on doit considérer, c’est, à mon sens, de produire des images qui vont générer de l’émotion.
Concernant mon travail, dans les séries que j’ai réalisées (en 24×36), l’émotion naît principalement de la composition de l’image. De sa « plasticité » comme vous dites. Je prends l’exemple de la série « Transhumance ». Vous remarquerez que dans cette série aucun personnage n’est reconnaissable. Ce qui est mis en valeur, ce n’est pas l’homme en tant que tel, mais son rapport ou sa place au sein de son environnement.
Dans cette série, les images ne sont qu’un tremplin, une invitation à la méditation. Le regardeur s’identifie au personnage photographié, non reconnaissable. Il est transporté dans son propre imaginaire, et se regarde ou s’imagine, lui et sa destinée, à travers ses images.
Concernant La Joconda, ce qui peut générer de l’émotion, c’est justement ces femmes qui sont couchées sur la pellicule. On ne s’identifie pas au personnage, mais on lit en lui. On imagine une vie avec tout ce qui l’accompagne, ses joies et ses peines
Là, c’est la personne photographiée qui va générer (chez le regardeur) une émotion. La composition de l’image importe peu (en fait, si
). Le regardeur regarde cette autre personne, il voit et imagine une destinée autre que la sienne, et ça ne l’empêche nullement de rêver, d’imaginer la vie de cet être que j’ai photographié…
1. Ali Chraïbi, La Joconda, exposition à la Galerie 127 du 1er avril au 3 mai 2008 – 127, avenue Mohammed V – 40000 Marrakech – Royaume du Maroc
2. VIIe Rencontres africaines de la photographie, Bamako (novembre / décembre) 2007Pour avoir un aperçu de « La Joconda » :
http://www.afriphoto.com/index.asp?navig=expo&no=108
« Transhumances » :
http://www.afriphoto.com/index.asp?navig=expo&no=3
« Downtown memories » :
http://www.afriphoto.com/index.asp?navig=expo&no=16///Article N° : 8144






Un commentaire
Ont doit vraiment remercier tout les artistes photographes du Maroc et du monde en générale qui nous ont laisser de grands souvenirs et que nous partageons quotidiennement sur nos pages et nos albums grâce à eux nous vivons la vérité des choses qui disparaissent lors d’un seul clique mais qui renaissent grâce à la bravoure de la main et l’oeil du professionnelle qui devient le miroire de l’image que nous admirons à n’importe moments de nos jours merci encore à tout ses artistes du monde entier et mes compliments à notre cher photographe et artiste marocain Ali Chraibi.