Autodafé

Revue essentielle

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L’écrivain Abdourahman A. Waberi avait fait montre, selon sa propre expression, d’un enthousiasme effréné à la parution du premier numéro de la revue du Parlement International des Ecrivains, Autodafé à l’automne 2001 (Africultures n°35). Le deuxième numéro confirme son rôle essentiel.

« Dans l’air, le nulle part,
le poète a construit son foyer.
Il a pris pour amis l’obsession,
L’insomnie, le silence »
Adonis

Cette revue a plus que jamais pour vocation « de réactiver l’échange aujourd’hui entravé par la censure mais aussi par l’hégémonie des médias, entre écrivains de cinq continents ». Les événements qui ont secoué les assises du monde en septembre dernier et la guerre qui déroule ses muscles américains en Afghanistan sont là pour nous le rappeler. Le Parlement réunit un aréopage d’écrivains de très haute volée. Leur but n’est de tenir un salon global mais de secourir les écrivains menacés de par le monde. L’un des tous derniers écrivains accueillis ces temps-ci n’est autre que le romancier, poète et journaliste zimbabwéen Chenjerai Hove, harcelé jusqu’au bout par le régime malfaisant de Robert Mugabé.
Pour sa deuxième livraison, Autodafé, n’a pas failli à sa mission première : se faire l’écho des fractures du monde actuel. Et tout d’abord, découvrir par les yeux et le toucher : la couverture couleur sable vous fait sentir du doigt les anfractuosités des statues des Bouddhas géants sculptés dans la falaise de Bamiyan il y a 1500 ans et détruites à coups de mortier par des Talibans aussi illuminés qu’ignorants. Le thème général de cette édition est la figure de l’intouchable. Intouchables sont désormais les victimes du génocide des Tutsis au Rwanda, Madeleine Mukamabano (« Rwanda : étoiles éteintes »), la journaliste rwandaise de RFI, nous offre un bouquet insoutenable de récits et de témoignages recueillis sur tout le territoire. Difficulté d’expliquer, d’appréhender, de parler du génocide. Un nouveau terme kinyarwanda  signifie ce fait au-delà de la raison et des mots, « cette folie post-traumatique génocidaire » : « Les traumatisés rescapés ont du mal à se faire comprendre, c’est pourquoi on a inventé le mot « Guhahamuka », qui veut dire sortir des tripes, sortir ce qui est à l’intérieur de soi. » « A-A-A-A », c’est un peu onomatopéique, c’est quelqu’un qui n’arrive même pas à sortir des paroles et qui « A-A-A-A », nous confie Damien Rwgera, un anthropologue rwandais. On retrouvera aussi des plumes familières pour qui suit un peu les activités du PIE comme le poète chinois Bei Dao ou le romancier albanais Bashkim Shehu (et son sombrement comique récit, « La bibliothèque du dictateur » qui nous plonge dans le dédale psychologiquement tortueux de Enver Hoxha).
Le récit le plus profond est sans contredit celui de Varlam Chalamov (« Les nuits athéniennes »), écrit en 1973. L’ancien condamné aux travaux forcés raconte sa vie de prisonnier dans les mines d’or de Kolyma. Sa chair de détenu ne peut ne pas occulter les privations : « Dans Utopie, il [Thomas More] a fixé à quatre le nombre des besoins fondamentaux de l’homme, dont la satisfaction procure ce qui est, selon lui, la plus grande félicité. Il donne la première place à la faim, à la satisfaction donnée par la nourriture. Le deuxième est le besoin sexuel. Le troisième, le besoin d’uriner et le quatrième, celui de déféquer… La dystrophie alimentaire était une alliée puissante et indéfectible au pouvoir dans sa lutte contre la libido humaine ». Le reste du récit est du même ton, à lire avec modération.
L’essai philosophique ne saurait être absent de ces cahiers, à preuves les pages érudites du serbe Jovica Acin sur la « Demeure des exilés » dans le temps et l’espace. Les belles plumes du monde, je veux dire notre monde où prédominent la récurrente question de l’identité et les conflits de mémoire par elle engendrés, sont au rendez-vous. « L’almanach pour l’an 2001 » d’Adonis, un extrait d’un roman en cours du Somalien Nuruddin Farah, (« Un berger allemand à Mogadiscio »), Bagdad rêvée par Alia Mamdouh, le Bombay de Shashi Tharoor ou une Havane hallucinante revisitée par Rolando Sanchez Mejias sont à déguster sans modération.
On vous avait prévenu, Autodafé donne à lire l’énorme pagaïe d’aujourd’hui. Mehmet Uzun soliloquant, cherchant sa géographie à travers l’usage de sa langue kurde, Carlos Monsivais dialoguant avec le sous-commandant Marcos. Inutile de rappeler que cette revue se fait l’inventaire de la liberté d’expression, et de son corollaire, la censure dans la république mondiale des lettres, un peu à la manière de l’Index of Censorship, émanation du Pen Club sis à Londres.
La revue se clôt sur une évocation de Jean Genet par Leila Shahid. C’était en 1982, il est question de femmes palestiniennes, réfugiées dans les camps, de broderie, de dépossession et d’exil. Pour l’auteur d’Un captif amoureux, c’est toujours l’élan empathique, la compréhension – au sens noble du terme – l’altruisme en partage.
 » A l’échelle du XXe siècle, l’exil n’est ni esthétiquement ni humainement compréhensible : au plus, la littérature de l’exil rend objective une angoisse et une situation dans l’ensemble rarement vécues » (Edward Saïd, Réflexions sur l’exil). C’est sûr, nous n’avons pas le temps – ni l’espace – de faire le tour de la condition des écrivains en déshérence, ni même de cette moisson annuelle déployée dans le trop précieux cadre d’Autodafé. A vous de boucler la boucle si le cœur vous en dit. En attendant le poète écrit et vous hèle en tentant de vivre sa vie et ce depuis le matin du monde:

AUTODAFE n°2, automne 2001, Denoël, 260 p., 15,10 euros. Autodafé est publiée simultanément en 8 langues à Athènes, Barcelone, Porto, Paris, Milan, Vitoria, Moscou, Londres et New York. La participation de tous les auteurs est bénévole. Parlement international des écrivain, 1, allée Georges-Leblanc, 93300 Aubervilliers-France tél : 01 48 11 61 35, fax: 01 48 11 61 34, [email protected]. Les dons sont bienvenus.///Article N° : 2103

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