Indépendante depuis 1968, peuplée de 1,3 million d’habitants, l’île Maurice a une grande tradition éditoriale et littéraire, même si pendant très longtemps, le pays n’a compté aucune maison d’édition privée. De nos jours, l’association des éditeurs mauriciens regroupe plusieurs membres : les deux maisons d’édition leaders sur le marché sont les Editions de l’océan Indien et les Editions Le Printemps qui ont longtemps produit et diffusé des manuels scolaires. Derrière, suivent Vizavi, Ledikasyon pu travayer auxquelles se rajoutent les Editions de la tour, Immedia, Pamplemousses édition et Atelier des nomades.
L’histoire de la bande dessinée à Maurice remonte à plusieurs décennies. Elle commence en 1957 avec le journal Action, qui, avec une liberté de ton et un humour satirique, devient très vite un journal populaire au sein de la population mauricienne. Dès le premier numéro du journal – le 25 janvier – une bande dessinée narre les aventures de Pierre Kiroulle, reporter détective avec une histoire intitulée le trésor de Surcouf. Cette série était signée Rog, pseudonyme de Roger Merven, le rédacteur en chef du journal. Malheureusement, cette (mini-)série humoristique s’arrêtera au bout de cinq numéros (le 5 février de la même année). Elle n’en constitue pas moins les débuts de la BD à Maurice et un curieux OVNI graphique et artistique, du fait de son originalité rarissime à cette époque dans un pays du sud. Par la suite, Roger Merven commencera une longue carrière de caricaturiste marquée au début par des personnages aux grosses têtes et aux petits corps, inspirés par le magazine britannique Punch. Pendant longtemps, Yvan Martial et lui seront les principaux caricaturistes politiques de la presse mauricienne, soulignant les travers des puissants dans l’Express, avec, en 1980, la série Renouveau mauricien qui épingle le gouvernement à chaque édition. A partir de mars 1958, Jac, nom de plume de Jacques Charoux, reprend le flambeau et dessine également des mini-séries oscillant entre caricatures et strips sans paroles mettant en scène le même personnage : un cul-de-jatte dans Les Demi Portions et un mendiant dans Bon dié béni ou.
Les premières planches illustrées en couleur sur l’île seront l’œuvre du peintre Ismet Ganti qui, en mai-juin 1970, publie dans le n°14 de la revue Virginie, le magazine de la mauricienne, le début (2 planches) d’une série inspirée d’un de ses poèmes : La Légende de Menala. Malheureusement, ce magazine qui perdurera jusque dans les années quatre-vingts ne continuera pas la série.
L’année 1975 fut celle de la sortie de Repiblik zanimo, tout d’abord publiée en feuilleton entre novembre 1974 et le 1er avril 1975 dans le quotidien Libération, organe de l’UDM[1]. Dès le lendemain de la dernière planche (celle numérotée 90), un encart publicitaire paraît dans ce même quotidien annonçant la commercialisation de la BD à « Rs[2] 3,90 l’exemplaire, en vente à Libération entre 11 hres et 4 hres p.m. de lundi à vendredi. » L’album fut édité à 5 000 exemplaires. Un millier fut directement vendu et le reste distribué dans des salles de rédaction et réunions politiques. Longtemps considéré comme la première BD mauricienne, Republik Z’animo s’est révélé être en réalité un simple ouvrage de déstabilisation politique piloté par les services secrets américains (CIA) à l’époque de la guerre froide dans plusieurs pays du tiers monde, parfois séduits par la tentation communiste[3].
Il faudra attendre mars 1977 pour que sorte le premier « album » de BD publié dans le pays : Jacques Désiré Laval, l’apôtre de l’Ile Maurice, petite brochure de 32 pages « présentée[4] » par Éric Francis et intégrée comme supplément dans la revue La vie catholique. L’initiative était du révérend Gerald Bowe, curé irlandais de la paroisse Sainte Hélène en charge de la promotion du dossier de canonisation du père Laval[5].
Ce petit ouvrage apologique, publié par l’évêché de Port Louis, sur le plus grand missionnaire de l’histoire du pays était en couleur et diffusé dans les différentes paroisses de l’île. L’auteur de cette BD reste cependant encore mystérieux plus de 40 ans après, car Éric Francis est resté un auteur inconnu. Il est possible qu’il s’agisse d’un des auteurs travaillant pour des maisons d’édition catholiques françaises pour la jeunesse comme Bayard ou Fleurus (Cœurs vaillants ou Ames vaillantes), très actives sur l’île à cette époque. On peut aussi penser à un auteur britannique, inconnu dans les pays francophones. La mention « Beacon commercial » peut, du moins, le laisse penser. Le style graphique – très marqué par les années 50 – interroge également car il ne correspond pas à la période de diffusion. Peut-être est-ce une reprise d’une histoire éditée plus tôt sous d’autres latitudes. Cet album a connu, depuis, plusieurs réimpressions et plus de 40 années après sa première édition, le mystère demeure sur ses origines.
L’année suivante, la maison d’édition religieuse, Univers média, fera paraître une autre BD biographique sur le Père Laval : Le père Jacques Laval et le journal de la mission à l’Île Maurice. L’œuvre, largement hagiographique, était signée sous le pseudonyme de Franjacq. Celui-si se fera connaître par la suite, sous son vrai nom, François Dermaut (né en 1949), en particulier pour la série Les chemins de Malefosse. Il a signé son dernier album cette année, à savoir le tome 2 de la série Rosa[6].
L’année suivante, quelques planches de B.D de S. PEERALLY seront visibles dans le manuel de littérature française Moissons du monde (1ère année).
Et puis ce fut tout durant deux décennies… Commencée en 1957, l’histoire de la Bande dessinée Mauricienne aura balbutié durant les vingt années qui suivront avant de s’arrêter pendant plusieurs années, sans doute handicapée – on l’a déjà mentionné – par l’absence d’éditeur. Il faudra attendre 1986 et la sortie de Maumau le dodo, souvenirs de genèse de Jacques Germond et Roger Merven (que l’on peut considérer de ce fait comme le véritable créateur de la BD dans son pays) pour que la BD de Maurice commence réellement le cours de son histoire. Maumau le dodo qui retraçait la création du paradis terrestre jusqu’à la fin du monde… vu par les dodos, sera le premier d’une série de productions faisant de ce pays l’un des plus dynamique en la matière. Mais ceci est une autre histoire. Ou un autre article…[7]
Christophe Cassiau-Haurie
Avec la collaboration de Robert Furlong.
Le 17 décembre 2019
[1] Union Démocratique Mauricienne, l’un des principaux partis politiques mauriciens dans les années 70.
[2] Roupies
[3] Cf. notre article signé avec Robert Furlong : http://africultures.com/bande-dessinee-politique-et-manipulation-le-cas-de-repiblik-zanimo-premiere-bd-en-creole-8982/
[4] Selon le terme indiqué sur la couverture et dans l’ouvrage.
[5] La couverture de l’ouvrage le présente comme un « extrait de la brochure du Rev. Gerald Bowe ».
[6] A noter que cette année 2019 a vu l’édition d’un ouvrage pour la jeunesse sur le père Laval : Dis-Moi le Père Laval – Textes de Sylvio Lodoiska, illustrations de Vaco Baissac
[7] On peut lire un aperçu général de l’histoire de la BD à Maurice dans un de mes articles, un peu daté aujourd’hui : http://bdzoom.com/4706/patrimoine/la-bande-dessine-maurice/