Retour sur Une très belle mort de Mimy Barthélémy qui allie l’art du théâtre à la performance plastique dans un pas de deux étonnant (cf critique dans Africultures 40, p. 100), après leur présentation en 2001 au TOMA à Avignon et à l’Epée de Bois à Paris.
Née en Haïti, Mimi Barthélémy a fait ses études supérieures en France. En quête de ses origines métissées, elle a longtemps parcouru le monde. Elle a vécu en Amérique latine, au Sri Lanka, en Afrique du Nord. Depuis les années 80, à la suite d’un séjour auprès des Indiens caraïbes Garifunas avec lesquels elle travaille à la création d’un spectacle, elle ressent la nécessité de transmettre la tradition orale haïtienne. Elle écrit des histoires et des contes qui puisent dans ce patrimoine, tisse le créole et le français avec le souci de transmettre ce qu’elle a reçu en partage et d’en être le témoin au sein de la francophonie. Elle a depuis créé de nombreux spectacles, joue et conte en France, en Haïti et dans le monde et a reçu en 2000 le grade de Chevalier de l’Ordre du Mérite National dont la médaille lui a été remise le 8 juillet 2001 à la Chapelle du Verbe Incarné en présence de Christiane Taubira-Delanon, députée guyanaise à l’origine de la proposition de loi sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité.
Plasticienne et scénographe, Elodie Barthelémy travaille pour le spectacle vivant. Elle a participé à de nombreuses expositions internationales, notamment « Suites africaines » au Couvent des Cordeliers à Paris en 1997, « Rites » à la Grande Halle de la Villette en 1998 et « Femmes d’Haïti » la même année sous le toit de la Grande Arche de la Défense, « Berceau Caraïbe » au Centre Culturel Français de Damas en 1999, et « Haïti, Anges et Démons » organisée par la Ville de Paris à la Halle Saint-Pierre au printemps 2000. S.C.
A la différence des spectacles de contes que vous avez l’habitude d’offrir au public, Une très belle mort est un spectacle qui a été mis en scène avec une dramaturgie et une dimension avant tout théâtrale dans laquelle viennent s’insérer des contes.
Mimi Barthélémy : Nicolas Buenaventura Vidal est intervenu très tôt dans l’écriture dramaturgique et sur le plan scénique, il m’a fait sortir de la simple posture de conteuse par différents artifices, notamment ce tissu que je porte et qui se métamorphose tout au long du spectacle, créant un lien dramaturgique entre chaque conte.
Pourquoi avoir construit une cohérence thématique autour du trépas ?
M. B. : Ce thème est une de mes préoccupations. Je suis une femme de soixante ans et plus (Rires). En décembre 1999, je rends visite à un centenaire, un ancien industriel français qui était un grand ami de mon père. Je venais lui porter mes voeux de bonne année. Or ce centenaire qui est très pimpant et alerte, voilà qu’il passe son temps à nous interroger mon frère, ma soeur et moi sur la mort de notre père. Je raconte ce que j’en sais, mon frère me contredit et rajoute des détails… et le centenaire s’exclame à la fin du récit : « une très belle mort », puis nous demande le récit de la mort de mes oncles et ma tante et ponctue toujours le récit de la même façon. En me raccompagnant, il me dit : « Vous racontez toujours des contes ? » Je lui dit : « Oui », et il me répond : « Continuez et faites les rêver ! » et je suis rentrée avec une très grande envie d’écrire. Cette visite avait été un vrai bain de jouvence de la part de ce centenaire qui voulait tellement vivre et avait une conscience si vive qu’il faisait une enquête comme pour déjouer la mort peut-être. Je voulais témoigner de ce moment. J’ai commencé par une version témoignage que j’avais d’ailleurs appelé « Le Centenaire ».
Cette dimension réaliste n’a finalement pas persisté dans le spectacle qui existe aujourd’hui.
M. B. : J’ai transposé l’histoire en une fiction animalière, en une histoire d’animaux dans une vallée qui existe en Haïti. Quand on vient de Saint-Domingue pour aller en Haïti, on passe par un endroit qui s’appelle Malpasse, et on tombe dans une région très aride, avec des étangs saumâtres, il y a de gros iguanes, d’énormes tortues, des caïmans et des flamands roses. Et j’ai voulu transposer cette histoire sur cette frontière entre deux frères ennemis. J’ai pris la liberté de féminiser l’iguane. Cette iguane méritait d’être une femme malgré l’Académie. J’ai imaginé qu’une iguane, donc, fait un chemin de retour sur l’étang et toutes ses rencontres amènent des récits de mort : c’est son éveil à la conscience de la mort.
Quelle est l’origine des contes que vous racontez dans le spectacle ?
M. B. : Il y a trois contes dans le spectacle. D’abord un conte guadeloupéen « Manzette Timène » qui m’a été donné par un prêtre français qui a vécu longtemps en Guadeloupe et que j’ai rencontré à Limoges quand je suis allé jouer au Festival des Francophonies. Je ne savais pas alors qu’il était prêtre. Une dizaine d’années ont passé et un beau jour, je reçois un texte en créole guadeloupéen. J’ai d’abord traduit le conte vers le français. C’était un petit bijou. Beaucoup de descriptions, toute une mise en scène avec toutes sortes de détails qui nourrissaient ce conte et le rendaient particulièrement succulent. En me le réappropriant en français, j’ai gardé certaines images, et certaines situations comme celle de Manzette Timène qui décide de monter au ciel. Je me suis mise à le raconter tout simplement, mais quand j’ai décidé de l’insérer dans mon spectacle, il a fallu le resserrer. Les deux autres contes sont d’Haïti, le premier « Bondieu et tortue » est aussi une histoire que je ne reçois pas par le bouche à oreille mais qui est un texte. Le dernier conte, celui de Bélonnet que je raconte depuis très longtemps, je l’ai eu d’une ethnologue haïtienne chez qui j’ai puisé beaucoup de trésors. C’est un conte chanté. J’ai beaucoup raconté ce conte et à force de le raconter, je l’ai poli.
C’est un spectacle très musical où l’on retrouve toute la mélodie de la langue créole, ses rythmes, ses phrasés, mais vous ne vous exprimez pourtant pas en créole.
M. B. : Nous voulions célébrer les conteurs traditionnels de nos îles. Et le metteur en scène m’a fait faire un pas très important. Etant donné qu’on s’adresse à un public essentiellement francophone, il m’a proposé d’approcher le conte avec des expressions, des onomatopées, une musique du langage qui colle à la mélodie de la langue créole et je n’avais jamais osé faire cela. J’avais toujours eu l’impression qu’il s’agirait d’une caricature de nous-mêmes. En fait, en le faisant aujourd’hui, je ne le vis pas comme une caricature, mais comme un pas en avant, comme le dépassement d’une épreuve, je me retrouve avec mon accent haïtien, plus ou moins accentué. Je peux aussi célébrer l’expression populaire dans la gestuelle, ainsi que le chant. On passe par des registres vocaux très variés : cette musique qui nous complexait devant l’Européen. Et je sens d’autant plus cette victoire que j’ai été éduquée par des bonnes soeurs bretonnes en Haïti qui nous transmettaient tous les interdits qu’elles avaient elles-mêmes subis vis-à-vis de leur langue bretonne. Elles nous punissaient quand on utilisait des expressions créoles dans notre français d’Haïti. J’ai souvenir d’une confession à un prêtre. On a bien sûr toujours beaucoup de mal à trouver des péchés quand on a 8 ou 9 ans. Et je dis au prêtre : « J’ai des nerfs ! ». Le prêtre me fait répéter plusieurs fois et me répond finalement : « Sortez et allez réfléchir comment on dit cette phrase en français ! ». C’était pour moi devant tout le pensionnat réuni une vraie humiliation. En fait, je voulais simplement confesser que je piquais de grosses colères. Me retremper aujourd’hui dans cette façon de parler m’a beaucoup affermie.
A quel moment est intervenu le travail scénographique d’Elodie Barthélémy ?
Elodie Barthélémy : Dans les derniers moments. Nicolas Buenaventura Vidal voulait quelque chose de minimal et on est d’abord partis de l’idée d’un tapis en tissu, mais je n’avais pas vraiment envie de travailler le tissu appliqué car je l’avais déjà fait pour un autre spectacle. J’ai alors proposé ce travail avec du sable.
Autant le tissu est repérable et fixé dans l’espace, autant on a ici à faire à une scénographie mouvante, quelque chose qui se fabrique dans l’ici et maintenant du spectacle, puis s’efface.
E. B. : J’avais d’abord choisi de concevoir un sol dessiné de sable et de me retirer dans le public, mais cette approche ne fonctionnait pas. La seule solution, c’est que le dessin se fasse au fur et à mesure.
Comment se fait le dialogue, entre la matière qui pèse et la parole qui s’envole.
E. B. : Mon travail sur le sable se voulait proche de la parole, c’est un matériau fluide et qui s’efface comme la parole s’évapore. Dans la structure circulaire que j’ai choisi de faire apparaître au fil du récit, je retrouve le travail du conte qui est souvent cyclique. Ces dessins sont improvisés et c’est un aspect nouveau pour moi : être à l’écoute de Mimi et être à l’intérieur de moi en même temps pour trouver une harmonie dans le geste et dans la forme. J’ai besoin d’une grande concentration.
On a quelque chose qui est de l’ordre de la performance. On est dans une rencontre de langages, l’invention par les mots et l’expression de la matière. Y a-t-il une évolution dans ce que vous faites au fil des représentations ?
E. B. : Au départ j’étais plus proche de l’invention de l’écriture, araméenne, proche-orientale, j’étais assez extérieure finalement, je réalisais plutôt des signes décoratifs. Peu à peu, je me suis sentie happée et elle est devenue comme ma propre écriture, une écriture en filiation avec l’univers de Wifredo Lam et de la Caraïbe. C’est une chose qui est arrivée ici en Avignon. J’ai même eu un jour une très forte émotion en voyant apparaître dans les dessins des pictogrammes mayas.
Est-ce une expérience qui peut infléchir votre travail plastique.
E. B. : C’est une expérience qui m’a appris à me recentrer puisqu’il faut que dans la seconde les choses naissent. Il faut être complètement en soi. C’est une expérience très physique aussi, ça m’a redonné énormément de présence au monde.
Mais le texte que dit Mimi, vous le connaissez par coeur. Comment vous laissez-vous traverser toujours avec la même fraîcheur, la même découverte. Vous vous étonnez encore du texte ?
E. B. : C’est une question que je me posais pendant les répétitions. Mais quand on a commencé à jouer, j’ai compris que ce n’était plus quelque chose que l’on répétait.
M. B. : Chaque fois que l’on met les pieds sur scène, on oublie les consignes et c’est toujours une naissance, c’est toujours avec l’émerveillement d’une première fois.
Il y a là un petit paradoxe. On est dans une dynamique contraire aux idées reçues. On a plutôt tendance à penser que l’écrit est ce qui est figé, fixé, tandis que la parole est mouvante et se transforme. Mais ici, le théâtre renverse les choses. Le texte, vous ne le réinventez pas tous les jours, c’est une oeuvre arrêtée. Et tout d’un coup c’est l’écriture qui se réinvente chaque soir avec le parcours scénique d’Elodie.
Mimi Barthélémy : D’où l’image du ressac à la fin, le sable est emporté par les vagues. C’est la trace qu’on laisse, qui disparaît et renaît pourtant. La trace qui reste au-delà de l’éphémère.
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