Si Beale Street pouvait parler, de Barry Jenkins

Baldwin hollywoodien

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Là où le film précédent de Barry Jenkins, Moonlight, frappait fort avec la reprise d’une pièce quasiment inédite sur l’homosexualité dans le ghetto et les ravages de la drogue et de la prostitution des parents sur les enfants, Si Beale Street pouvait parler reprend un des canons de la littérature noire américaine pour faire découvrir ou redécouvrir à la nouvelle génération un auteur éminemment stimulant dont les raisonnements socio-politiques dépassaient ceux de son temps.

Après Je ne suis pas votre nègre, le documentaire de Raoul Peck qui a fait le tour du monde et qui exposait à base d’enregistrements et d’images d’archives la pensée de James Baldwin concernant le racisme de ses contemporains, voici qu’un de ses romans les plus populaires est adapté au cinéma par pas moins que le lauréat en titre de l’Oscar du meilleur film, Barry Jenkins. Baldwin, auteur moins populaire et moins reconnu que Richard Wright ou Langston Hughes, ses contemporains chroniqueurs de la condition des Noirs, pourrait bien, grâce à ces adaptations cinématographiques, prendre la place qui lui est due.

Regina King stars as Sharon in Barry Jenkins’ IF BEALE STREET COULD TALK, an Annapurna Pictures release.

Jenkins respecte la romance sociale de Baldwin en donnant une voix off, reprise de la narration du roman, à la jeune Tish, innocente et sagace, déterminée et résignée, tel que l’impose la complexité de sa situation rendue par des mots simples et directs. Si l’intrigue se déroule en 1974, le délit de faciès et la difficulté systémique d’accéder à la justice pour les Noir.e.s et les pauvres reste cruellement d’actualité. Un jeune homme prometteur, artiste sculpteur, digne, mué par un amour pur pour son amie d’enfance, se retrouve accusé d’un viol qu’il n’a pas commis. Destin courant pour ses semblables, comme il le sait trop bien depuis la rencontre fortuite de son ami d’enfance incarcéré lui aussi pour un crime dont il est innocent. Lorsqu’il faut trouver l’argent de la caution, les pères des deux amoureux n’ont pas de scrupules à recourir à des moyens illégaux, par nécessité, mais aussi parce que selon eux, les nantis ne font pas différemment. Les scènes de réflexion sur l’impasse dans laquelle les Noir.e.s américain.e.s se retrouvent trop fréquemment sont poignantes, à la hauteur de l’écriture baldwinnienne et de la transformation qu’elle opère sur le système de pensée de celle ou celui qui la reçoit.

(l to r.) Teyonah Parris as Ernestine, KiKi Layne as Tish, and Regina King as Sharon star in Barry Jenkins’ IF BEALE STREET COULD TALK, an Annapurna Pictures release.

Une infidélité que Jenkins fait à Baldwin est de retranscrire son style acerbe et limpide par des images léchées et des angles de caméra lourds de significations dans un style hollywoodien des plus efficaces. L’émotion est au rendez-vous alors que la machine implacable se referme sur le jeune couple. Une expérience cinématographique qui nous replonge dans le cruel apartheid des années soixante-dix et qui incitera certainement une grande partie du public à doubler l’expérience de la lecture du roman et découvrir son dénouement choc, différent de celui du film.

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