Bienvenue au Réfugistan, d’Anne Poiret

Les catacombes de l'humanité

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En diffusion sur Arte le mardi 21 juin à 22h20 à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés du 20 juin, Bienvenue au Réfugistan est une belle occasion de s’informer et réfléchir sur une tendance terrible du monde contemporain : la mise en camps des indésirables.

Les camps, ce n’est pas nouveau. Encore faut-il les différencier comme le font les historiens : camps de regroupement, camps de concentration, camps d’extermination. C’est dans les colonies que les processus concentrationnaires ont été expérimentés, pour réprimer les guerres de résistance : à Cuba lors de la Guerre de Dix Ans (1868-1878), aux Philippines entre 1899 et 1902 lorsque les insurgés nationalistes eurent recours à la guérilla contre les Américains ou en Afrique du Sud où les Boers se révoltèrent contre les Britanniques. En 1904, dans le Sud-Ouest africain, les Hereros furent parqués et forcés au travail par les Allemands qui perpétrèrent ainsi le premier génocide du 20ème siècle. C’est là qu’ils inventèrent l’expression « camp de concentration ».
La France comptait en 1942 près d’une centaine de camps qui avaient en général vu le jour sous Daladier, avant le régime de Vichy. On y concentrait, déjà, des réfugiés considérés comme « dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique » : Allemands et Autrichiens réfugiés en France, Juifs, Espagnols républicains…
Il y a dans la logique des camps une continuité de ces logiques historiques de déshumanisation, voire d’éradication. C’est ainsi que les camps concernent l’humanité dans son ensemble dans sa capacité à bâtir un monde commun, alors même qu’ils sont, comme il est rappelé dans l’introduction de ce film, « un élément majeur de la société mondiale ». Ils peuvent répondre à une préoccupation humanitaire mais sont avant tout un outil de gestion des indésirables dont les pays riches ne veulent à aucun prix. Additionnés, ils représentent le 60ème pays le plus peuplé du monde…
Le camp est une solution provisoire où un réfugié passera en moyenne 17 ans, sans droit de travailler ni de se déplacer… Des enfants y naissent et y grandissent, coupés du monde, coupés du pays où ils se trouvent. « Imaginez-vous », dit le film, « Imaginez-vous que vous venez de quitter tout ce que vous connaissiez ». D’abord, vous faites la queue… Là est sa force d’interpellation : cela pourrait vous arriver car vous êtes vous aussi un humain qui pourrait être déshumanisé. Le Haut-commissariat aux Réfugiés des Nations Unies est devenu une pieuvre administrative qui fonctionne comme un Etat, gérant lui-même la santé, l’éducation, la sécurité. En bonne continuité postcoloniale, tout est décidé par des Occidentaux, pour le bien des réfugiés qui décrivent pourtant leur camp comme une « prison à ciel ouvert ».
Conscient de l’absurdité du système, l’UNHCR cherche à y remédier par l’innovation. Le problème est qu’un camp modèle est un camp sans vie. De nouvelles technologies sont expérimentées qui renforcent une culture de la surveillance… Et chacun profite du système, les prestataires de services comme les pays hôtes, si bien que tout le monde a intérêt à ce que le système perdure… Ce sont ces rouages qu’analyse ce film de terrain dans son exploration de ce monde des limbes, d’un entre-deux qui finit par devenir identité.
Nous voilà au Kenya, en Tanzanie, en Jordanie ou à Idomeni en Grèce où les réfugiés s’entassent au pied du mur macédonien. Les camps naissent dans l’urgence mais que deviendront ces milliers de réfugiés ? Quand les politiques oseront-ils faire accepter à leurs populations que, les conflits s’enlisant, la plupart ne repartiront pas et qu’il faudra bien trouver une façon de vivre ensemble ? Ou bien faut-il se résoudre à voir enfler ces poches d’inhumanité un peu partout sur la planète, ces bidonvilles des laissés pour compte, comme un mauvais scénario de science-fiction, une bulle qui finira par exploser ?

///Article N° : 13656

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