Les Étonnants Voyageurs, dans un pays où l’accès au livre reste difficile, investissent quelques quartiers populaires de Brazzaville pour tenter de toucher d’autres publics. Avec les poètes Paul Wamo et Yvon Le Men, découverte du Congo Square au sein du quartier de Moukondo, à une trentaine de minutes du centre-ville de la capitale. Retour sur une soirée des plus poétiques !
Fuyant le Palais des Congrès et l’Institut français, bâtiments staliniens surclimatisés, direction le Congo Square en ce jeudi 14 février 2013, avec le poète et chanteur néo-calédonien Paul Wamo et le poète breton Yvon Le Men. C’est la première fois qu’ils montent sur scène ensemble pour une déclamation de leurs textes respectifs. Il est 17 h 30. Nous quittons l’Institut français, référence locale pour les artistes, que le festival Les Étonnants Voyageurs a investi pour ses cafés littéraires quotidiens, des projections de films, des débats. C’est aussi le lieu où Paul Wamo, arrivé quelques jours auparavant de Nouméa, dirige des ateliers de slam avec des jeunes congolais. L’espace qui bénéficie d’un flux de public permanent – davantage qu’au Palais des congrès, espace principal de la programmation des Étonnants voyageurs – dispose de salles spacieuses pour l’expression culturelle sous toutes ses formes. Un lieu pourtant contesté, notamment par la plasticienne Bill Kouélany qui milite pour un centre culturel congolais et qui, elle-même, a créé son propre atelier, « les Ateliers Sahm ». (Elle en parle avec Alain Mabanckou dans la matinale de France Inter du vendredi 15 février 2013).
Pour sortir un peu de ces vitrines institutionnelles, congolaise pour le Palais des congrès, française pour l’Institut, les Étonnants Voyageurs ont investi le Congo square pour des prestations quotidiennes, à 18 heures, de poètes ou slameurs.
Dès 15 minutes de voiture – où comme dans tous les taxis empruntés, la radio qui émet est celle de Kinshasa – il est flagrant de découvrir un autre Brazzaville que celui des bâtiments institutionnels, barricadés et majestueux, situés sur de larges avenues peu fréquentées.
Le Congo square se trouve à une trentaine de minutes, avec une circulation dense en cette fin de journée. Coincé entre plusieurs commerces situés dans des cabanons ayant pignon sur rue, il a été ouvert par Clotaire Kimbolo, artiste-chanteur qui raconte les voyages qui l’ont inspiré dans la création de cet espace culturel. « Il est ouvert à des ateliers pour différents artistes – photographes, stylistes, musiciens. Et le dimanche, moi et mon orchestre, nous jouons », raconte-t-il. Il souligne en passant que d’autres artistes, comme Zaho, ont ouvert leur propre espace pour soutenir les jeunes artistes. Le Congo Square existe depuis 2000. Situé sur une petite avenue bondée de voitures mais aussi de chalands, il attire les curieux dès que nos étonnants voyageurs commencent à régler le son des micros. Une fois franchie l’entrée bleu ciel, nous nous retrouvons dans une cour à ciel ouvert où une cinquantaine de chaises sont placées face à une scène sur laquelle sont disposés deux enceintes et quelques instruments. Des ampoules l’éclairent, alors que la nuit commence à tomber. On entend les klaxons et l’animation de la rue. Peu à peu la salle se remplit, de jeunes hommes exclusivement. Certains connaissent bien Clotaire, d’autres sont entrés par curiosité. Aucun de ceux interrogés n’a entendu parler des Étonnants Voyageurs. Peu sont étudiants, la plupart étant entrée dans la vie active. L’un me demande ce qu’est un « étonnant voyageur » et « quel est le but de ce rassemblement ? », avant d’ajouter « il n’y a pas beaucoup de choses comme ça à Brazzaville »
Paul Wamo prend alors le micro, muni de sa « ceinture de sécurité » comme il appelle son cerceau de bois autour du cou. « Dans l’histoire des peuples de Nouvelle-Calédonie, elle protège les guerriers des mauvais esprits », raconte ce poète qui a commencé à manier le Verbe par le rap. « La poésie m’a sauvé, insiste-t-il. Quand je l’ai rencontrée, j’ai su parler aux hommes ». Aujourd’hui il ne s’arrête plus. Le sourire aux lèvres, les yeux éclatants de curiosité, il discute avec quiconque l’aborde et sur scène l’interaction est immédiate. Les jeunes hommes présents dans l’assemblée répondent à cet artiste qu’ils ne connaissent pas. Dans un jeu improvisé de question-réponse ou du moins de complicité, Yvon Le Men monte également sur scène. Ce poète breton, salué récemment par l’Académie française pour ses uvres, est un habitué des Étonnants Voyageurs. Il déclame des textes en expliquant qu’il en a écrit certains lors des sessions de Bamako ou de Port au Prince. L’alchimie entre les deux artistes grandit, texte après texte. L’espace continue de se remplir. Mon voisin est conquis par les mots qu’il entend et la présence des deux poètes sur scène. Après une petite heure de spectacle, la nuit est complètement tombée, la salle applaudit les deux artistes. Nous repartons pour le centre de Brazzaville.
Dîner dans un spacieux restaurant avec une vue imprenable sur l’autre côté du fleuve : Kinshasa.
Les mondes ne sont pas toujours en relation malgré de brèves interactions
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