Pendant cinq jours (11 au 15 janvier), Paris a fêté les femmes algériennes à travers des concerts donnés au Cabaret Sauvage à la Villette. Cinq soirs de fête pour montrer à ceux qui pouvaient en douter que les Algériennes sont bien à la pointe du combat pour un renouveau culturel de leur pays et pour briser le maximum de tabous.
Elles avaient été à l’avant-garde du combat pour la libération et l’indépendance de leur pays. Les régimes conservateurs et autoritaires qui se sont succédé à la tête de l’Algérie ont dressé des barrières pour les confiner dans les arrière-cours des maisons. Avec l’air de dire : « Circulez, il n’y a plus rien à voir ! La récréation révolutionnaire est finie ». Mais, oyez, oyez bonnes gens, les femmes algériennes sont de retour ! Prises particulièrement en grippe par les tenants de l’intégrisme qui depuis dix ans sèment la terreur pour tenter de prendre le pouvoir, les femmes algériennes ont décidé, une fois de plus, de balancer le voile de l’intimidation par-dessus leurs têtes et de défendre leur carré de libertés actuelles et à venir avec une force implacable et une volonté inouïe.
Elles sont partout : dans les écoles, les administrations, au sein de l’armée, dans les assemblées élues, à la tête d’entreprises économiques et surtout dans le monde bruissant de la culture. Paris en a eu un magnifique échantillon au mois de janvier grâce à la belle initiative d’un homme de coeur, l’Algérien Meziane Azaïche, patron dynamique et heureux du Cabaret Sauvage – un lieu pluridisciplinaire qui tient à la fois du cirque et du café-théâtre. Self made man libre et heureux, Mezaïche a tenu à ouvrir l’année 99 en donnant en quelque sorte carte blanche aux femmes d’Algérie, « celles-là mêmes qui nous sortiront de la nuit actuelle ».
Elles sont venues, de l’autre côté de la Méditerranée pour la plupart. Et pour la plupart d’entre-elles, c’était la toute première fois qu’elles étaient invitées à exprimer leur art à l’étranger. Musiciennes, chanteuses, danseuses, comédiennes, photographes, elles ont donné une idée de la diversité effarante qui caractérise un pays-continent. Dans une salle archicomble, fébrile et très vite conquise, les algériennes ont donné l’exacte mesure de leurs talents multiples et de leur volonté de ne s’interdire aucun art, aucune voie, aucun style musical. Elles ont chanté du chaâbi, pourtant domaine masculin par excellence, du raï, du moderne kabyle, de la musique arabo-andalouse…
Le public a pu apprécier bien sûr des vedettes déjà bien en place et connues en Europe, comme Malika Domrane ou Houria Aïchi, dont les chants aurésiens a capella sont un régal, Chaba Fadéla, une des égéries internationales du raï, ou la magnifique danseuse Assia Guemra…
Mais Paris a surtout fait connaissance avec des stars locales charismatiques. À l’image de Hasna, la femme à la guitare électrique venue de Béchar aux portes du Sahara. Avec son groupe de Moghrébi, Hasna El Bécharia enflamme depuis des lustres ses jeunes auditoires du Sud algérien grâce à un blues très soutenu par une voix rocailleuse. À l’image de Ababsa (issue elle-même d’un grande famille de musiciens) et de son groupe musical entièrement féminin. Paris a également découvert les F’Kirates de Annaba (grande métropole de l’est du pays), un groupe dont l’âge des membres varie de 25 à 70 ans et qui est capable d’interpréter des heures durant une musique endiablée à base de percussions. Une musique qui finit toujours par faire entrer le public en transe.
Mais l’Algérie, où les moins de trente ans représentent 70 % de la population, ce n’est pas que les musiques populaires et traditionnelles. C’est un pays, en dépit – ou à cause – de la crise qui le secoue depuis dix ans, à l’écoute de ce qui se fait dans le monde et très ouvert à toutes les sensibilités culturelles. Ce qui explique l’explosion extraordinaire des phénomènes rap et hip hop. Le Cabaret Sauvage en a offert un petit échantillon avec un groupe d’adolescentes venues, comme Hasna, de Béchar. Le développement du rock, représenté par l’étonnante Zahida dont les apparitions en Algérie font un tabac. Et la naissance du folk song où excelle Souad Mouassi, une adolescente de 17 ans à la voix exceptionnelle et aux textes très émouvants.
Ainsi Paris a pu découvrir, l’espace de cinq nuits, une Algérie plus que jamais féminine, audacieuse et inventive. En fait, sous les braises de la violence couvent depuis quelques années de vraies raisons d’espérer. Les femmes ont brisé en peu de temps une flopée de tabous et dessiné, petit à petit, les contours d’un futur très prometteur.
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