Covid-19 ou la main tendue aux artistes à Moroni

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L’archipel des Comores, comme le reste du monde, vit ce temps apocalyptique, où le covid-19 régit tout. Muzdalifa House a demandé à certains acteurs de la société civile de nous raconter la manière dont leur quotidien a changé depuis l’annonce de cette maladie. La rédaction de Muzdalifa House a publié un texte de Moha, consacré à une rencontre d’acteurs culturels au CCAC Mavuna à Moroni. Nous le reproduisons ici afin de prendre le pouls des Comores à l’heure du Covid-19. 

Mardi, 17 juin, à Moroni, s’est tenue cette fameuse rencontre, au nom labellisé – #ResiliArt – par l’Unesco, durant laquelle la représentante du bureau de l’Afrique de l’Est, Karalyn Monteil, en prêtresse improvisée de cette scène nationale, a insisté sur la volonté de mettre en lumière les nombreux ravages causés par la pandémie sur les industries créatives. Les participants ont bien évidemment abondé dans son sens, convaincus que le dialogue est plus que nécessaire, pour redynamiser un secteur aussi fragilisé que le leur, avant de chercher à exprimer l’ensemble de leurs maux. Un des artistes conviés a parlé d’un covid-19 permanent sur cette scène, comme pour dire qu’il n’y a nul besoin, en réalité, d’un coronavirus, pour se rendre compte de l’état de la culture dans le pays. On parle d’un secteur handicapé depuis des lustres, par le manque de moyens et l’absence de vision de ceux qui s’en réclament.

Le ministre chargé de la culture, Nordine Ben Ahmad, était présent à cette rencontre. En bon politique, il a pris acte des doléances des uns et des autres, promettant que l’Etat allait s’en soucier, désormais. Wahidat Hassane, la directrice générale des arts et de la culture – la troisième à ce poste depuis 30 ans – a, tout comme lui, valorisé le vote prochain d’un projet de loi en faveur de la propriété intellectuelle, tout en rappelant les travaux d’Hercule abattus par ses services. De la ratification des conventions internationales (Berne, accords de Florence) au soutien des événementiels (FACC, Medina Festival), en passant par le don du site de Mavuna au collectif des artistes du CCAC, elle a essayé de démontrer l’efficacité de son cahier de charges, même si elle trouve certaines plaintes légitimes de la part des artistes. Soulignons, au passage que le don du site de Mavuna traîne quelques casseroles à sa suite, à cause d’une histoire d’expropriation que l’Etat gagnerait à solutionner, sans tarder.

 

Une question importante que les artistes présents ont plus ou moins réussi à contourner concerne leur capacité à se prendre en charge, ensemble. Au-delà de la résilience promue par l’Unesco (#ResiliArt), il apparaît clairement que ces acteurs culturels ont des tas de choses à se raconter, qu’ils pourraient régulièrement se raconter, mais qu’ils ne se racontent jamais au final, d’où l’intérêt évident de cette rencontre, qu’ils n’ont pas été capables d’orchestrer eux-mêmes. Aux Comores, le secteur culturel souffre d’une maladie que personne dans l’assistance n’a nommé – celle de l’autisme – empêchant les uns et les autres de se vivre comme les acteurs obligés d’un même écosystème, des partenaires portés par la synergie de leurs actions, la mutualisation de leurs efforts et l’autonomisation de leurs projets. Tout un programme que d’aucuns considèrent comme impossible, si l’on s’en tient aux expériences passées, qui n’ont toujours abouti qu’à une foire d’empoigne entre les acteurs de cette scène aux ressources de plus en plus limitées par l’absence d’un idéal commun.

L’une des dernières tentatives, exprimée à travers le manifeste dit nde mbwana, co initié en 2018 par Soeuf Elbadawi, Eliasse, Cheikh Mc, Anssoufouddine Mohamed, Hachimiya Ahamada, Akeem Washko, tous acteurs de cette scène (certains étaient présents à cette rencontre du CCAC), n’a été qu’une occasion de prouver cet état de fait. Chacun trône dans son coin, misant sur le court terme et sur une rentabilité d’activité, qui, bien sûr, n’arrive jamais. « Mhono mdzima koreme kotsi » est un adage connu du Comorien. Mais il paraît plus facile à énoncer qu’à concrétiser. Le plus grand mal qui noie la scène comorienne dans l’informel et le fatalisme des situations de survie découle de cette triste perspective :« Il a fallu qu’on nous promette une aide potentielle pour que tout le monde soit au garde-à-vous. Même si personne ne voudra le reconnaître, on était tous là, croyant qu’une distribution d’enveloppes allait se faire à la fin de la séance », murmure un des participants, en exigeant de garder l’anonymat.

Sur la scène du CCAC Mavuna à Moroni

Il estime que la dimension « philantropique » demeure un passage obligé pour toutes les dynamiques collectives en construction dans le pays : « Il faut un peu d’essence pour dérouiller la mécanique en place. Ceux qui prétendent être venus à ce rendez-vous pour le seul plaisir de l’échange vous mentent. On pense même qu’on nous a tous convié pour permettre à certains d’obtenir une subvention en douce auprès de l’Unesco. Même si c’est faux, c’est acté dans nos petits cerveaux ». Pourquoi alors ne pas en causer de vive voix au cours de ce #ResiliArt ? Les rumeurs et les non-dits nourrissent les mésententes de ce petit milieu, où tout le monde prétend se connaître. « On ne pouvait pas en discuter. Parce On n’avait que que 2 minutes 30 pour nous faire entendre. Ce n’était pas un débat. C’était juste une vitrine, où il fallait se montrer ». Notre interlocuteur reconnaît cependant que ce #ResiliArt a eu du bon. Il a obligé le ministre à se positionner. Nordine Ben Ahmad a semblé attentif, en admettant que les artistes et les professionnels de la culture pouvaient l’éclairer dans l’élaboration de politiques, mesures et mécanismes, dans le secteur.

Deuxième question que tout le monde a évitée durant ce #ResiliArt : le fait que tous les acteurs culturels présents interrogent le rôle de l’Etat, mais ne s’inquiètent guère de savoir ce qu’ils représentent en tant que force économique. Ce qui, probablement, interpellerait plus facilement les décideurs, y compris ceux qui détiennent les moyens du sponsoring. Seush de la compagnie Tcheza, par exemple, emploie 10 personnes pour ses spectacles. Compter sur un organisme comme l’Unesco pour se renflouer pendant cette crise, malgré ce qu’il laissait entendre, est peut-être moins important que de trouver le moyen de compter durablement sur le ministère chargé de l’économie. Les acteurs présents à ce rendez-vous ont évoqué, à sa suite, les annulations de contrat à l’étranger, sachant que c’est ce qui leur permet de financer leur action locale. Mais tout le monde sait que ce cas de figure ne concerne que trop peu d’acteurs culturels, à moins de s’inventer des scénarios de diffusion internationale improbables. D’où cette question : que fait–on de tous les autres artistes, qui ne savent même pas comment faire, pour se rendre du nord au sud de Ngazidja ou d’une île à l’autre pour se produire ?

Label Unesco

Il serait peut-être intéressant de se poser la question d’un public local, susceptible de soutenir l’activité de ceux qui n’ont jamais signé – les plus nombreux – le moindre contrat à l’étranger. C’est un vrai souci que l’Etat, même en légiférant sur le statut de l’artiste, ne pourra régler à la place des concernés eux-mêmes. Comment trouver le moyen d’exister dans un pays où la culture, tout en revenant cher à la communauté dans sa forme traditionnelle, n’a jamais été considérée comme une raison suffisante pour faire ou carrière ou de l’argent ? Faut-il envisager des Etats généraux de la culture pour en parler ? Les acteurs culturels conviés à ce #ResiliArt sont loin d’être représentatifs de l’ensemble des maux vécus par leurs pairs sur cette scène, où la communauté des artistes apparaît plus souvent divisée que rassemblée. Il suffit de voir les chiffres de l’enquête brandie par Soumette Ahmed du CCAC (un questionnaire type, qui demande lui-même à être re-questionné) pour s’en faire une idée. Menée du 26 mai au 7 juin sur la question des ravages du covid-19, il ne comptabilise que 24 participants (15 structures+9 individuels). 24 acteurs retenus de combien à la base ? Pas assez pour représenter un tissu national…

Le panel choisi aurait sans doute pu être plus large. Mais l’équipe chargée de réaliser l’enquête n’avait peut-être pas les moyens de ses ambitions. Ce qui est sûr, c’est qu’elle se serait heurtée à un obstacle certain. Les querelles intestines. Les acteurs culturels comoriens ne sont pas assez sereins pour faire front commun. « Il y a toujours un truc qui cloche entre nous », tranche Ben, artiste résiliant résidant en France. En dehors d’une telle rencontre initiée par un partenaire extérieur, les uns et les autres se montrent rarement capables de faire converger leurs intérêts. Ben n’était pas présent au #ResiliArt, mais il croit dur comme fer : « Le changement ne viendra pas des ronds de cuir, assis devant le bureau du ministre. Il viendra de ces artistes, qui, tous les jours, font miracle d’exister, là où tout paraît perdu d’avance. Ils ne sont pas qu’à Moroni. Car l’erreur estaussi de là, dans le fait de croire que le pays s’arrête à Moroni ou Mutsamudu ». Il reconnaît volontiers les inimitiés entretenues, ici ou là. « Trop de blessures imaginaires, trop d’aigreurs injustifiées. Pourtant, ni l’Etat, ni l’Unesco, ne développeront cette scène, sans les artistes et les poètes. C’est à nous de nous imposer à eux, mais pour ça il faut être une team qui se respecte. Ce qui n’est pas le cas ».Entre un Eliasse, qui, de l’Hexagone, préconise de créer une structure pour les artistes ( ?), et une Wahidat Hassani, qui, au ministère, évoque une association déjà existante ( ?), une passerelle est à trouver, pour savoir de quoi on parle. S’agit-il d’aider contre les ravages du corona comme le proclame l’Unesco ou d’initier de nouvelles pratiques dans un espace culturel, où l’économie se résume trop souvent à tendre la main, en espérant une aide étrangère ?

Moha pour Muzdalifa House

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