Abdellatif Chaouite est responsable au sein de l’ADATE (Association Dauphinoise pour l’Accueil des Travailleurs Etrangers), une structure qui uvre à l’intention de la population immigrée en France, qui a vu le jour en 73 à Grenoble, suite à la circulaire ministérielle qui instituait le Réseau National d’Accueil.
Quelles sont les missions de votre association ?
Aujourd’hui, en gros, la finalité de l’association est l’intégration des populations immigrées et issues de l’immigration. Cette finalité, elle la décline dans un volet d’actions ayant pour objectifs l’accès aux droits de ces populations et la médiation entre celles-ci et les institutions, un volet d’actions qui a pour objectifs l’insertion sociale et l’intégration citoyenne, la formation aussi bien de ces publics que des professionnels qui les ont pour usagers ainsi que la production de discours sur les réalités de l’immigration (colloques, journées de travail et surtout la publication trimestrielle de la revue Ecarts d’identité). Les actions de terrain sont essentiellement départementales, en Isère. La formation et la revue par contre échappent à cette territorialisation.
Que pensez-vous des politiques françaises pour réguler l’intégration ?
Le mouvement me semble être celui de l’impulsion de dynamiques sociales globales qui distinguent de moins en moins une politique propre à l’immigration. Le fait que l’immigration du travail en tant que telle a été arrêtée en 1974 et qu’on a vu depuis émerger les générations issues de cette immigration avec leurs propres réalités (notamment le fait qu’elles soient majoritairement françaises mais coincées dans une sorte de non-désir de ces enfants français du côté aussi bien de la société française que, parfois, des parents eux-mêmes) a déplacé l’accent de l’intégration sur eux, avec peut-être la connotation qu’il s’agit non plus de l’intégration d’étrangers mais d’étrangers-de-l’intérieur
Cela est bien évidemment en résonance avec le projet de l’intégration à la française qui exclut toute reconnaissance de minorités reproductibles
Cela dit, cette réalité socio-politique (qui est aussi politiquement construite ainsi) en cache d’autres : la législation sur les étrangers n’a pas encore trouvé son équilibre malgré les avancées importantes apportées par la loi Chevènement (la catégorie de ceux qu’on nomme aujourd’hui les « sans-papiers » en est un symptôme) ; la France est toujours en peloton de queue en ce qui concerne le vote local des étrangers, l’accès des étrangers à l’emploi restreint notamment par l' »opposabilité de l’emploi » (sorte de clause opposée par l’Administration), l’interdiction persistante de tout accès des étrangers à la fonction publique
Et la polémique entretenue par le monde immigré lui-même selon laquelle derrière le voile de l’intégration se profile un discours assimilateur ?
Peut-être qu’au fond, toutes ces notions commencent à être en perte de vitesse au niveau de leur rendement idéologique. Le processus, on peut l’appeler comme on veut, il est celui qui a lieu concrètement et les gens lui donneront un sens en fonction toujours du regard que la société portent sur eux. Selon que ce regard est injonctif ou non, selon qu’il signifie que ce que sont les gens dans leur réalité ce sont des formes anomiques ou qu’il les reconnaît
C’est en partie toute la question du rapport à la norme, avec la difficulté de définir ce qu’est La norme aujourd’hui. Ainsi, les gens s' »intègrent » et intègrent offensivement ou défensivement le monde symbolique dans lequel ils vivent.
Au fil des ans, l’immigration en France est devenue une logique discursive qui tourne sur elle-même, aidée en cela par l’usage parfois déroutant qu’en font les politiques. Que peut apporter une association comme la vôtre face aux multiples problèmes que cela engendre au quotidien ?
Nous contribuons à enlever les obstacles de toute sorte qui continuent à se dresser afin que les populations concernées réalisent, elles, leur intégration. Ce ne sont pas les associations qui intègrent
ni d’ailleurs les institutions : ce sont les gens qui s’intègrent et d’ailleurs sans forcément le savoir. Les immigrés ne sont pas suspendus au-dessus de la société, ils sont immergés dedans de multiples manières. Ce sont les mille petits riens du quotidien, conflictuels ou non, qui les enracinent chaque jour un peu plus. Les manipulations idéologiques des discours, surtout quand elles sont traduites en actes et décisions politiques et sociales ou en représentations stigmatisantes, dressent bien sûr des obstacles. Il est de notre rôle également de déconstruire ces manipulations discursives et ces représentations. C’est entre autres une des contributions qu’apporte la revue Ecarts d’identité.
Votre association s’occupe aussi de la population âgée au sein de l’immigration, notamment africaine
Jusqu’au réveil politique de ces 2 ou 3 dernières années sur cette question, ces populations âgées ont été un peu les oubliés de l’intégration. Le monde associatif, quelques chercheurs et les générations issues de cette population âgée ont beaucoup fait pour attirer l’attention sur cet oubli. Le colloque initié par le FAS l’année dernière a été le point de rencontre et de rebondissement de cette question. Nous avions préparé un numéro spécial de la revue Ecarts d’identité à cette occasion. Nous avions fait des entretiens aussi bien avec des vieux Maghrébins que des Sénégalais. En gros, les conditions du vieillissement de ces vieux travailleurs, surtout ceux qui n’ont pas regroupé leur famille ici, aussi bien au niveau logement, santé, complexité administrative, accès à la retraite et à un certain nombre d’allocations
sont souvent très difficiles, voire franchement révoltantes. Le lien avec le pays d’origine devient également très complexe. Encore qu’il semble que pour les vieux immigrés d’Afrique noire (beaucoup moins nombreux que les Maghrébins), leur place soit restée forte dans le milieu d’origine et incite à un vrai retour une fois le dossier de la retraite liquidé. La réalité est plus ambivalente chez les vieux Maghrébins qui continuent à être dans un aller-retour entre les deux pays.
*ADATE, 5, place Sainte Claire 38000 Grenoble. E-mail : [email protected]. ///Article N° : 1174