Editorial

Déchirer les rires Banania

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Igowi nyi fala nyi compini wé
A la guerre franco allemande
Sa té dyuwa ka yénana wé
Sont partis mourir
Indégo s’azo n’awani w’azo
Nos amants… nos enfants...
***
Igowi nyi fala nyi compini wé
A la guerre franco allemande
Mandè dyuwa mandè tola
Qui meurt ? Qui survit ?
Aboti w’azo n’awani w’azo
Nos aînés… Nos aînés…
Igowi nyi fala nyi compini (A la guerre franco allemande)- anonyme – chanté en langue Omyènè (Gabon).

Qui sait encore qu’en 1914-18, 175 000 militaires africains ont servi sur le front européen ? Que plus de 200 000 furent mobilisés en Afrique Occidentale Française en 39-45 ? Qui nous dit qu’en 1945, sur ordre du général De Gaulle, 20 000 tirailleurs africains furent brusquement retirés de l’armée française pour la  » blanchir  » et donner un goût de victoire aux Français ? Que les prisonniers libérés des stalags allemands furent placés dans six camps au centre et au sud de la France avant d’être rapatriés en Afrique ? Que devant le refus réitéré de leur verser les arriérés qui leur étaient dus, ils refusèrent malgré les injonctions de leurs officiers de nettoyer les ponts avant de débarquer ? (1)
Les tirailleurs  » sénégalais  » font partie de l’inconscient historique français, au même titre que la collaboration ou la guerre d’Algérie. Leur représentation en images nous en apprend plus que n’importe quel discours : elle révèle les contradictions d’une République qui ne cesse d’osciller entre volonté d’assimilation de l’Autre et son rejet pour infériorité. Il est grand temps qu’à la faveur des travaux d’historiens tenaces et d’écrivains lucides, dont ce dossier se fait l’écho, la France non seulement se confronte à sa propre Histoire mais modifie les représentations imaginaires réductrices que ces occultations contribuent à perpétuer.
Il est grand temps que l’on déchire, comme le demandait Senghor, les rires Banania sur tous les murs de France.
C’est justement une de nos marottes, à Africultures, de contribuer à la déconstruction de la gangue de préjugés racistes issus du rapport colonial et qui continuent d’empoisonner la relation aux Africains. Nous nous y essayons non par la dénonciation stérile mais en privilégiant la réflexion ouverte et l’analyse critique. Cela suppose une indépendance qui nous est chère, même si la voie est financièrement difficile. Le dépôt de bilan de L’Autre Afrique nous attriste et nous émeut car ce magazine avait réussi à élever chaque semaine une voix nécessaire, différente et autonome. Et nous encourage à remercier vivement tous ceux qui nous soutiennent et sans qui nous ne pourrions exister : le FAS, le CNL, l’Harmattan et bien sûr nos abonnés qui nous accompagnent fidèlement.

(1) Myron Echenberg, Colonial Conscripts : the Tirailleurs Sénégalais in French West Africa (1857-1960), Heinemann, Portmouth 1991, p. 98.///Article N° : 1206

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