Défis et perspectives de l’édition africaine francophone d’aujourd’hui

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Restée comme seul attribut de l’État pendant de très longues années après les indépendances, l’édition des livres est encore limitée dans bon nombre de pays. L’une des causes majeures étant que les conditions politiques et économiques qui prévalaient étaient globalement très peu favorables à la création et au développement d’une industrie du livre. De fait, à quelques rares exceptions près, l’édition restait confrontée à de nombreuses difficultés liées tant à la conception, à l’impression qu’à la distribution des produits.
C’est au début des années 90 que commencent à apparaître de façon visible des structures privées d’édition, mouvement conforté par la consolidation des initiatives privées dans le domaine du développement culturel et par un taux de scolarisation et d’alphabétisation plus important. Cette situation a évolué de manière beaucoup plus rapide dans les pays du Nord de l’Afrique qu’au sud du Sahara.
Très caractéristique de l’espace africain francophone, la réalité s’est matérialisée par le fait que la plupart des maisons d’édition en question furent créées par des opérateurs africains disposant au départ de peu de moyens et de capacités techniques. À ce handicap de base s’ajoute la complexité de l’environnement économique et social dans lequel ces maisons poursuivent leur lente évolution, surtout dans le domaine stratégique du manuel scolaire.
En dépit des efforts remarquables déployés, en particulier ces dernières années, aussi bien par le secteur privé que les pouvoirs publics et les partenaires au développement, pour l’avancement des métiers du livre, l’édition africaine francophone est toujours confrontée à de nombreux défis qui constituent également des freins pour son épanouissement rapide. Parmi eux, on peut citer des plus visibles :
– Un environnement institutionnel caractérisé par l’absence de politiques nationales du livre qui fait que les éditeurs opèrent à la merci des politiques générales arrêtées par les seuls gouvernants en ce qui concerne la langue d’éducation et de travail et les procédures administratives et financières régissant l’industrie locale. Même si certains gouvernements se sont efforcés de mettre en place des cadres réglementaires où le livre est exempté de toute taxe, le contexte général est tout différent. À titre d’exemple on peut citer certains cas comme la Guinée où les livres sont assujettis aux taxes douanières de l’ordre de 15 à 75 % de la valeur de la marchandise (Coût), assurance et fret compris (CAF) et du Burkina où la taxe d’importation du papier est de 56,65 %, selon une récente étude.
– Les marchés locaux, quoique potentiellement vastes, sont réduits car dans la plupart des cas les tirages réalisés sont faibles et la clientèle réelle limitée. Cette situation met en exergue les opportunités commerciales inexploitées par l’industrie de l’édition.
– Les ressources humaines techniquement qualifiées sont plutôt rares. Cette situation largement dépendante du contexte général d’impréparation dans lequel ont été créées les structures de production est l’une des causes du déficit de qualité que présentent encore certaines publications. La quasi inexistence d’établissements de formation initiale aux métiers d’édition en Afrique francophone complique davantage le problème.
– Le manque de capitaux est également l’une des constantes de la réalité d’aujourd’hui pour bon nombre d’éditeurs. Ils disposent de ressources financières limitées et il leur est difficile, voire impossible, d’accéder au crédit dans la plupart des pays. Ce qui ne leur donne pas des chances de planifier et d’investir sur du long terme. Il en va de même pour la très faible accessibilité des éditeurs nationaux aux marchés de livres scolaires, généralement bâtis autour d’appel d’offres internationaux et pour lesquels ils ne sont pas suffisamment préparés et outillés.
– Les structures de coordination dont disposent les éditeurs dans leurs propres pays sont faibles. Par habitude, ils travaillent généralement de manière isolée, ce qui les fragilise face aux assauts des opérateurs étrangers et réduit leur force de frappe locale en termes de lobbying et de prises significatives de parts sur le marché.
Face à la persistance de ces défis, il faut cependant reconnaître que les efforts concertés des différents acteurs dans le domaine du livre ont permis de résorber une partie des contraintes institutionnelles et logistiques, avec pour conséquence immédiate une plus grande prise de conscience de la majorité des éditeurs de leur rôle essentiel en tant qu’agents de développement.
Dans de nombreux pays, l’appui des pouvoirs publics ne se fait plus attendre, même si le processus se met lentement en place. En effet, plusieurs gouvernements se sont engagés à fournir aux écoles des manuels produits par les éditeurs nationaux, dans des situations hors procédures internationales. Ces initiatives offrent ainsi des débouchés commerciaux importants aux éditeurs et autres opérateurs de la chaîne du livre.
Dans certains pays, les ministères de l’Education et ceux de la Culture ont manifesté une volonté politique concourant à la mise en place effective de politiques nationales du livre et de politiques sectorielles du manuel scolaire, en partenariat avec les professionnels des métiers du livre (écrivains, éditeurs, imprimeurs, distributeurs). On peut citer entre autres les cas du Burkina Faso, du Bénin, de la Guinée et du Mali.
Ces initiatives rencontrent toutefois des entraves quant à leur approbation officielle et leur matérialisation sous forme d’une loi sur le livre. Mais une étape importante est franchie du simple fait de la prise de conscience de tous les acteurs sur la nécessité d’une politique nationale du livre.
L’émergence et le développement des associations professionnelles dans les métiers du livre tant aux niveaux national, régional que panafricain constituent aujourd’hui des atouts importants pour l’essor de la profession.
Au niveau continental, la création de l’APNET – le Réseau des Editeurs Africains – est sans aucun doute l’événement le plus marquant dans le développement de l’édition africaine au cours de la dernière décennie. L’APNET est une initiative suscitée par un désir d’action et dont la mission est de répondre de la manière la plus adéquate possible aux besoins de renforcement des capacités de ses membres, objectif qu’il cherche à atteindre par la constitution de réseaux internes, la formation, la recherche, l’information, la promotion commerciale, etc. En 2003, l’Afrique francophone dispose du plus grand quota d’adhésions au sein de l’APNET avec 17 pays sur 46.
Au cours des dix dernières années, les programmes de l’APNET ont permis de regrouper les éditeurs et de mettre en place des synergies en vue de soutenir le développement global de l’édition africaine grâce aux nombreuses opportunités de formation et la promotion commerciale offerte sur plusieurs salons et foires du livre à travers le continent.
Les effets bénéfiques des contacts réalisés entre éditeurs de divers horizons sont aujourd’hui visibles sur le terrain sous diverses formes, dont la connaissance mutuelle, les échanges permanents d’informations et de produits, les regroupements autour de projets éditoriaux d’envergure, le renforcement de la coopération commerciale Sud-Sud et Nord-Sud, etc…
D’autres initiatives comme la création de l’association Afrilivres et l’engagement décisif de certains partenaires financiers vont contribuer au relèvement significatif du niveau de qualité et de diversité qui s’observe aujourd’hui dans le domaine de la conception des livres en Afrique et de leur diffusion à travers le monde. Ces initiatives consolideront par ailleurs la collaboration qui s’observe de plus en plus entre secteur public et secteur privé dans le domaine du livre. Ce qui va impliquer également de plus en plus les éditeurs nationaux dans les processus d’approvisionnements en manuels scolaires et autres matériels de lecture.
Les capacités sont généralement suffisantes pour étendre le commerce du livre au-delà des frontières territoriales, mais le manque d’information, les diverses barrières politico-commerciales et la non-maîtrise des marchés n’ont jusqu’ici pas permis de réaliser pleinement le potentiel commercial intra-africain.
Des actions ont été menées dans divers domaines en vue de réduire les obstacles majeurs à la libre circulation des livres en Afrique. Parmi elles, il importe de citer la campagne APNET/ADEA sur l’élimination des taxes sur les livres, les mesures envisagées au niveau des regroupements économiques sous-régionaux comme la CEDEAO, l’UEMOA, la CEMAC, pour la levée des barrières douanières sur les produits culturels, etc.
La distribution constitue le maillon faible de la chaîne du livre dans la région. Cette situation freine le processus global et anéantit les efforts déployés dans le but de favoriser le rapprochement du livre au lecteur. Le fait que le réseau des librairies est embryonnaire, à quelques exceptions près, constitue le plus grand handicap pour le commerce local du livre et confine les opportunités aux capitales et à quelques grandes villes.
Une des solutions heureuses développée par les éditeurs francophones pour surmonter cet obstacle est de consolider les partenariats de coédition et de coproduction de livres surtout en littérature enfantine. Le cas des collections Le Serin, Libellule et Miroirs d’encre, réalisées par des éditeurs du Bénin, de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Mali et de Tunisie, est l’un des exemples de cette coopération intra-africaine qui favorise l’accroissement des tirages et la réalisation d’un processus de co-diffusion commercialement porteur.
D’autres initiatives de coproductions et coéditions sont envisagées dans des langues africaines transnationales comme le pular, le mandingue, le hausa, le kiswahili, en vue de donner plus de possibilités d’expansion au livre africain et contribuer à la réalisation d’un environnement lettré viable.
Malgré les contraintes persistantes qui pèsent sur l’essor global de l’économie africaine, il est impossible de nier les grands développements observés dans le domaine particulier de l’édition, voire dans l’émergence d’une industrie du livre. Cette tendance devrait se consolider car les bases se sont affermies et la prise de conscience tant des professionnels que des services publics est de plus en plus grande et que davantage d’éditeurs s’affirment dans des secteurs porteurs de croissance et trop longtemps dominés par les éditeurs du Nord, le livre scolaire et le livre de jeunesse.
Les espoirs sont permis et les professionnels africains sont conscients de l’importance et de la complexité des défis à relever.

ADEA : Association pour le Développement de l’Education en Afrique
APNET : African Publishers Network
CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
CEMAC : Communauté Economique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale
UEMOA : Communauté Economique et Monétaire des Etats de l’Afrique de l’Ouest
Mamadou Aliou Sow est président du Réseau des Editeurs Africains (APNET) et directeur des Editions Ganndal (Guinée).///Article N° : 3168

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