Lotfi Achour a marqué par la sensibilité et l’acuité de ses courts métrages, largement primés durant leur tour du monde des festivals. Sorti le 25 janvier 2017 dans les salles tunisiennes, son premier long métrage avait été présenté en compétition aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) de novembre 2016 après une première mondiale au Cinemed de Montpellier. Il y réaffirme sa confiance dans la puissance de la fiction.
Il est du devoir du cinéma de prendre du recul. C’est sa différence avec l’audiovisuel, c’est sa fonction artistique. Un film est long à concevoir, financer, réaliser, finaliser, distribuer. Il n’est pas dans l’immédiateté du présent mais dans le regard d’une mise en perspective, forcément subjective. C’est ainsi qu’apparaissent des films qui reviennent sur la révolution tunisienne pour mieux comprendre les contradictions à l’uvre aujourd’hui, une fois les atouts intégrés et les désillusions digérées. Ils mettent en scène des personnages pris dans le flux de la grande Histoire et qu’elle va transformer. L’enjeu est d’aider le pays à guérir des blessures du passé, mais aussi de resituer dans l’humain ce qui se fige en livre d’Histoire, voire de contrer le révisionnisme.
C’est l’ambition du premier long métrage de Lotfi Achour qui vibre à la fois de l’énergie des manifestations collectives et des doutes de chacun dans la nuit qui s’ensuit. Zeineb, Elyssa et Houssine (Anissa Daoud, Doria Achour et Achref Ben Youssef) sont trois jeunes que tout sépare mais que l’Histoire réunit à leur insu alors qu’ils tentent d’échapper à la police lors du fameux 14 janvier 2011, où l’armée refusera de suivre Ben Ali et protégera finalement les manifestants contre les policiers, ce qui contraindra le président tunisien à quitter le pays. Le titre original du film, Ghodwa Hay, allie les mots « demain » et « vivant », une expression que l’on utilise pour dire « on verra demain ». « Demain est un autre jour », dit le proverbe, et ce lendemain est espoir et renaissance. Dès la première image déjà, alors que les deux femmes se baignent dans la mer, la caméra en cadre une qui émerge de l’eau en reprenant sa respiration. Elyssa anime ensuite un atelier de dessins pour sourds-muets. Voici donc une société qui cherche à reprendre souffle, à retrouver son expression.
Cela passe par une quête de justice, et donc une enquête judiciaire, car un drame est survenu que les entrelacs du film ne dévoilent que peu à peu mais dont le jeune Houssine est accusé, comme tant le furent après les événements. En cherchant la vérité, les deux femmes se cherchent une place, prêtes à aller jusqu’au bout, alors même que s’installe autour d’elles l’injustice, le déni et l’oubli. Il leur faudra renforcer leur complicité pour prendre la route, à la découverte d’un milieu simple qui vit au quotidien la détermination qu’elles recherchent, à l’image de la grand-mère qui leur indiquera le chemin. Ce sont deux volets d’une société clivée qui se rencontrent, où chacun vit ses normes, ses comportements, ses habits et ses gestes. Ceux-là mêmes qui s’étaient rejoints dans la révolte.
Demain dès l’aube n’est pas un film de vengeance : celui par qui le drame est arrivé reste humain dans ses vices et ses regrets. Il se situe au contraire dans le rythme lancinant de Poni Hoax, celui des solidarités et du regard au loin, celui des enfants qui nous éclairent, « les miens, les vôtres, les nôtres ».
///Article N° : 13954