Des questions gênantes mais utiles

Débat avec Hicham Lasri à propos de The Sea is behind

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Durant le festival des films d’Afrique en pays d’Apt de novembre 2015, Hicham Lasri a répondu aux questions du public et d’Olivier Barlet sur The Sea is behind. A l’occasion de la sortie du film en salles le 28 septembre 2016, on trouvera ici un résumé de ces débats qui peut être complété par la leçon de cinéma d’Hicham Lasri à lire et/ou visionner sur notre site (cf. [article n°13423]) et bien sûr par la critique du film (cf. [critique n°13783]).

Le film est extrêmement décalé, provocateur…
Certes, mais les personnages sont conscients d’être dans un monde de cinéma. Je trouvais intéressant de forger une comédie noire un peu étrange pour raconter à la fois cet espace presque négatif du film mais aussi le rêve de chaque personnage. Cette association donne une métaphore presqu’allégorique du Printemps arabe : les personnages n’ont pas les moyens de s’inventer leur place. Comment réinventer la place du citoyen de cette région dans le monde ?
Le personnage de Tarik fait référence à Tarik Ibn Ziad, stratège militaire de l’armée omeyyade, un des principaux acteurs de la conquête islamique de la péninsule ibérique. La légende veut qu’en 711, il aurait fait brûler les bateaux de son armée une fois débarquée en Espagne et lui aurait dit : « La mer est derrière vous, l’ennemi est devant vous, il ne vous reste que la sincérité et la patience ». Mais dans le film, on sent une rage et une volonté de sortir de soi, mais pas vraiment cette patience…
Ce film est le récit du temps qui passe : les attentes de plusieurs personnages, le cheval qui va mourir, un père qui n’a jamais eu l’amour de son père et qui a perdu ses enfants, etc. Ce qui est rapporté est extrêmement exagéré. Tarik Ibn Ziad est devenu un super-héros arabe musulman. C’est un des rares héros qui ne soit pas politique et donc polémique. Il n’a pas gouverné. Il reste un mythe. On m’a reproché d’avoir souillé sa mémoire alors qu’il était Berbère : ce qu’il disait est retranscrit en arabe classique et utilisé par le pouvoir pour se consolider. On n’a jamais eu de personnage fédérateur fort. Par opposition, les personnages du film sont en creux, ils ne sont rien, ils sont faibles. Ils s’impatientent. Ils font du surplace. Lorsque le cheval s’arrête de les tirer, ils deviennent nerveux et violents. Le cycle de la violence se met en place car ils n’ont plus rien à faire : leur mode de vie est arrêté, ils n’ont pas les moyens de survivre. Et en même temps, ils ne se projettent en rien. C’est l’antithèse de la patience. Ils s’agressent et s’engrainent par désœuvrement. C’est anecdotique dans un premier temps mais cela les révèle finalement, trimbalés dans ces décors de fin du monde qui me faisaient penser au Sang des bêtes de Franju, condamnés à traîner par ce grave problème de communication. De fil en aiguille, Tarik accepte moins d’être systématiquement écrasé, va revoir sa femme et retrouver l’émotion.
Peut-on dire qu’il est allégorique du peuple arabe ?
Il est le fatalisme du peuple arabe. Comment le pousser à l’extrême pour que ça nous gratte et nous dérange. Il accepte de ne pas être un homme, de ne pas se dresser contre l’adversité. Quand on regarde notre Histoire, on voit que beaucoup de peuples ont accepté de se faire marcher sur la figure, de se faire tuer, lyncher… On peut se demander comment on a pu se laisser faire. La difficulté de Tarik est de survivre, même si sa vie est une déchéance. On a bien sûr à faire à un personnage stylisé, loin de tout réalisme. Il ne ressent rien car il a accepté de se faire délester de son humanité. Cela rend le monde encore plus cruel envers lui. Il se travestit mais n’est pas homosexuel, ce que les gens ne comprennent pas. La dernière citation dans le film (« De ce monde-là, on ne peut s’échapper que par des cheminées ») est de Si c’est un homme de Primo Levi, que j’ai trouvé très touchant dans sa manière presque clinique de décrire sa déchéance avec ses compagnons. Ils sont conscients d’être déportés de leur vie, dans un monde déshumanisé, écrasé par le soleil, la crasse, le manque d’eau, en régression. Le film est fait de la somme de tout cela. Je n’aime pas simplifier, jouer les antagonismes, opposer le bon et le méchant, ce sont des humanités qui s’affrontent. Le plus touchant est celui qui est censé être le plus méchant : le flic qui est conscient de sa condition de fasciste, et qui en pleure. Il n’arrive pas à demander pardon. Je travaille sur le gris, cette zone du milieu qui nous définit tous, ni noir ni blanc.
Tarik est le fils du propriétaire du cheval : le film se résout finalement à une histoire de famille…
Sachant que les histoires de famille sont majoritairement des malentendus ! Tarik a un côté martyr pathétique, il se complait dans la victimisation, mais c’est le cas de beaucoup de gens ! C’est une manière de survivre. Il me paraissait intéressant dès lors de faire du flic bourreau un personnage presqu’héroïque car il accepte ses failles et de centrer le film sur leur affrontement, jusqu’à un coup d’Etat théorique.
La jeunesse, si présente au Maroc, est absente du film…
C’est vrai, mais quelle place donne-t-on aux jeunes dans cette société ? Il y a encore dix millions d’illettrés, soit le tiers de la population marocaine. On ne sortira du colonialisme que lorsqu’on aura compris la valeur de l’éducation. Les révoltes populaires sont sorties des écoles et des universités : c’est pour cela que l’éducation nationale a été démantelée et que, ignare, on regarde la télévision. Ce système manipule les cerveaux mais ces cerveaux finissent par avoir faim, mais confondent religion et émancipation, et tombent dans les bras des partis islamiques… Ce film raconte aussi comment il y a 15 ou 20 ans, lorsque j’étais enfant, on pouvait voir un homme grimé en femme danser sur une carriole sans que ça gêne personne. C’est impossible aujourd’hui. Un homosexuel a été lynché récemment, à la manière de la première scène du film. Le complexe d’infériorité rend extrêmement agressif. La violence se déchaîne sur l’Autre, le différend, alors qu’il y a beaucoup d’homosexualité au Maroc, qui doit se cacher pour exister. Le système, il tombera, mais c’est la froideur émotionnelle que je voulais évoquer.
Qu’est-ce qu’évoque le bug de l’eau ?
C’est un monde qui craque. Cela s’apparente à la science fiction : l’eau contamine. Quand Tarik fait ses ablutions en fumant, on est à la limite de la profanation, mais on est un peuple qui doit se laver cinq fois par jour et qui est sale et fume énormément… Les contreplongées rendent cela plus fort et impressionnant : c’était important pour moi de jouer avec cette notion presqu’abstraite de l’eau. La prochaine guerre sera sur l’eau, non sur le pétrole.
Comment avez-vous choisi la bande son ?
Les musiques ont été réécrites pour le film de façon à coller aux émotions. On est dans un mode noir, obscur et sombre, sans espoir, mais il ne se veut pas déprimant. Une musique des années 60 alterne avec des musiques plus jeunes, mais on conserve la volonté de casser les règles du cinéma et de l’espace.
Le fil narratif se libère de la linéarité…
Je n’ai jamais été d’accord avec le fait que le cinéma soit une narration : je préfère un cinéma sensoriel, qui nous brutalise un peu, nous tire par les cheveux. Il y a des règles, même dans le film le plus fou. J’écris un monde : c’est le cinéma comme langage. Le noir et blanc permet d’aborder la violence de façon plus « cartoon ». Et l’arrivée de la couleur remet en perspectives. Il est important d’écrire : si on est complètement libre, il n’y a pas de cohérence. Mes films ne dépassent pas 1 h 25 : on est dans le voyage du sommeil qui marche par tranches d’une heure et demie. Il ne faut pas l’interrompre. En 2 h, ça devient plus compliqué, cela demande un intermède. C’est un territoire d’expérimentation mais c’est aussi un territoire tout court. On peut voyager, se perdre, ramener des gens. Faire le film qui marche, c’est marcher à quatre pattes. Je partage ma quête avec les gens, qui me renvoient ce qui me permet de comprendre un peu plus le voyage sensoriel que je propose. Dans ce film, j’essaye d’être à la fois dans la fièvre et dans la transe. Mon personnage dit qu’il n’arrive pas à être en transe. Il lui est difficile de s’abandonner. C’est pourtant l’enjeu. Les scènes sont difficiles à jouer. Les comédiens se donnent, se laissent porter, et le film est fait de cet élan autant que de leur faillibilité. C’est vraiment un film sur l’abandon.
D’où vient votre histoire de chien ?
C’est une citation directe d’un roman de Chandler. Le film est construit comme un collage. C’est très dense car chaque chose donne un sens différent.
Quel est le rôle de la femme ?
C’est un film sur des gens bêtes et méchants, mais la femme ne peut pas être ramenée à ça. C’est donc un personnage qu’on a diabolisé. Tarik est toujours un obstacle qui nous empêche de la voir, même dans le champ. Pendant tout le film on en parle comme si c’était le diable. Je voulais un personnage plus fort, détaché, moins intéressé. Je trouvais cela en montrant une prostituée qui refuse ses clients et fait le ramadan, ce qui a posé de grands problèmes au Maroc comme s’il y avait une négation, alors que chez beaucoup de gens la superstition prend le pas sur la religiosité. Je voulais une certaine richesse dans la manière de voir le monde et lui donner le plus beau rôle, le plus loufoque, le plus drôle. Elle ne veut pas s’abaisser avec cet homme sans pouvoir et moins que rien. C’est révélateur de son malaise, qu’il n’arrive pas à exprimer. On parle beaucoup de la condition de la femme mais sans dire que ce sont les femmes qui gouvernent, de façon souvent cachée car les femmes n’ont pas le droit de s’exposer. Je voulais marquer le coup avec des personnages « symbolisés ». Les seules locomotives dans le film sont les femmes.
La question de la virilité est permanente dans le film, comme une obsession.
Comme partout ! Chez nous, il est tellement effrayant de ne pas être un homme… Etre homosexuel n’est simple nulle part mais au Maroc c’est être la risée de tous. On se barricade derrière le machisme car on a peur de cet extra-terrestre qui risque de sortir de derrière le placard et qu’on n’arrive pas à supporter. J’ai écrit un roman, Sainte-Rita, histoire de deux lesbiennes qui s’aiment et se trouvent confrontées à des gens qui veulent les violer pour les soigner. Je l’ai écrit pendant que je travaillais à The Sea is behind et il est possible que cela transparaisse. C’est très dur et violent. Cela pose la question psychologique de ce qu’on ressent quand on a peur d’avoir ça en soi, comme une contagion, une maladie. J’avais envie de saccager ce truc très carré et organisé. Les réactions du public m’intéressent car un film est aussi fait pour faire réagir. Cela joue avec cela de façon ludique, avec un héros qui danse sur une carriole.
Sainte-Rita reprend cette structure de collage, et suit les logiques d’un scénario de cinéma, indiquant des fondus enchaînés, etc. Le roman comme le film écornent sérieusement la religion. Est-une volonté politique ?
C’est une réaction : il est important de tout remettre à plat. On est dans un monde où on nous demande de ne pas tout comprendre et cela limite notre libre arbitre et notre capacité d’analyse. Au lycée, on n’avait pas de cours de philosophie qui remettrait en cause la notion de Dieu. Il fallait un consensus où l’on annihile ce qui gêne. On nous demande de lire en arabe dans le texte, ce qui est pour nous très compliqué : j’ai grandi longtemps dans la frustration de se sentir manipulé. Cela a développé en moi une violence qui gêne beaucoup de gens. On voudrait que j’apaise et édulcore mais si je veux rentrer dans un mur à 200 km/h, je ne vais pas réduire la vitesse. Le personnage décroche dans un commissariat la photo du Roi pour se cacher derrière car il a peur qu’on le tabasse : c’est pour moi une ironie face à la crainte. Dans C’est eux les chiens, des journalistes font un micro-trottoir et l’on entend soudain l’appel à la prière : tout le monde s’arrête et l’interview est interrompu, si bien qu’on entend que l’appel du muezzin. C’est un vrai moment de cinéma. J’essaye de trouver ces moments, sans avoir peur d’être dans ce qu’on est. La pratique marocaine de la religion a toujours été tranquille : on fait la prière puis on boit du vin. Mais on voit aujourd’hui une montée du radicalisme qui prétend qu’on a toujours été comme ça. Le gouffre entre ce qu’on est et ce qu’on prétend être montre qu’on se renie. On n’est pas un pays sous-développé mais un pays en voie de développement ; on n’est pas un pays qui a beaucoup de problèmes mais un pays émergent… C’est important de dire les choses, froidement, tranquillement. Mon travail est de poser ces questions gênantes, mais qui sont utiles.
Pourquoi prendre des titres anglais ?
(avec une voix plus grave) C’est une volonté de s’affranchir du colonialisme ! Non, je rigole ! (rires) Ce sont des films qui fonctionnent mieux avec des titres qui sont dans la provocation alors que la plupart des Marocains ne parlent pas l’anglais. Cela permet un rapport amplifié, sachant qu’il y a toujours aussi le titre en arabe. J’ai toujours été gêné par le fait que dans les films non-européens, on écrit un double générique, dupliqué en deux langues, comme s’il était essentiel de savoir qui fait quoi dans un film, tous ces détails techniques. Le titre permet ainsi une entrée provocante mais aussi une bravade. C’est eux les chiens porte une faute de français volontaire. On m’a très rarement posé la question de cette erreur. Le français n’est pas notre langue mais on peut se l’approprier. Le titre anglais apporte une musique qui va au-delà de la simple traduction. Le film est également porteur de cette énergie.
Les poules, les coqs, les mouches font penser à Buñuel.
J’adore Buñuel ! C’est vrai qu’on trouve beaucoup de poules et de coqs dans mes films ! Les mouches sont très difficiles à filmer. Je me souviens que j’en avais besoin dans un film une fois et je me suis adressé à la seule personne qui pouvait nous en ramener, celui qui nous fournissait les sandwichs. Il a amené un sac plastique plein de mouches qu’il a lâché dans le décor. Cependant, même avec des choses pourries, ça ne marchait pas. Alors que sur The Sea is behind, on a tourné dans les anciens abattoirs de Casablanca : les mouches n’étaient pas dans le scénario mais elles se sont imposées, ça grouillait de mouches ! J’impose à mon ingénieur du son attitré, Patrice Mendez, d’en tenir compte, ce qui l’agace beaucoup car il se concentre sur les personnages ! Chacun ses obsessions ! Je trouvais intéressant d’inclure ces mouches dans ce monde crade, comme une sorte d’écho. Tarik dit que la seule fois où il n’entend pas les rires de ses enfants, c’est quand il entend les mouches, c’est-à-dire tout le temps dans le film ! Les mouches étaient ainsi une nuisance qui a amplifié le scénario pour lui donner quelque chose d’organique. Je défens un cinéma viscéral ! On refoule le fait qu’on est des animaux organiques.
Est-ce le signe d’un cinéma onirique ?
Mon travail est effectivement beaucoup dans l’onirisme mais je ne me base pas sur mes rêves. Je déteste les films où les gens se réveillent. Ce qui m’intéresse est d’amener de l’étrangeté à travers les changements de rythme, les ruptures d’espace, les ruptures tonales… Quand le personnage marche sur les coquilles d’escargot et retrouve son père, la première séquence est tournée de jour et la seconde de nuit, c’est la première fois où le personnage principal va appeler son père par son prénom. Tout mon travail est sur des moments d’absence et non des rêves, car les personnages sont dans l’introspection. Ce personnage va plus loin que dans The End, où il y a une certaine écriture de causalité dans ses allures de polar. Ici, je ne filme que le temps d’attente, le temps comme un espace, où il ne se passe rien. Le cheval s’arrête et la dramaturgie du film se fige. Tous les personnages sont paumés, posent des questions absurdes mais qui fonctionnent dans leur contexte. Je n’écris pas à partir de rêves : je dois beaucoup travailler pour écrire ça ! C’est comme dans un braquage : il faut un plan mais ne pas le dévoiler. Sinon ça tombe à l’eau. Le film doit être un rêve. Ce qui m’intéresse est le cinéma d’imagination, Buñuel, Jodorowsky, des gens qui sont partis loin dans leur quête. Qu’on adhère ou pas n’est pas le plus important. Ce qui importe est de voir l’humanité au-delà d’une vue biscornue, dans une expérience sensorielle, au-delà des spécificités culturelles, dans un dialogue avec le spectateur. Je suis un enfant de Casablanca, c’est là où je puise mon réel et ce qui m’intéresse est l’irruption de l’étrange dans le quotidien.
Des éléments symboliques comme le damier sont-ils là pour connoter quelque chose ou bien s’imposent-ils inconsciemment dans une sorte de globalisation qui n’est pas si directive que ça ?
Ce qui me gêne dans la symbolique, c’est le mot symbole. Pour moi, c’est plus de l’allégorie : comment ramener l’image et le film sont dans un état d’esprit. Les mouches apportent quelque chose de crade et brouillon. Je suis dans le contrôle avec des espaces d’inspiration qui viennent du réel et donnent une saveur au film. Le spectateur décide de ce qu’il y voit. Les personnages sont des personnes et non des symboles. Ce sont des figures, des gimmick qui portent un sens dans le film. Je raconte un monde avec ses codes, un monde étouffant. On ne ventile pas en ouvrant une fenêtre symbolique. Mon travail est formaliste : j’installe une forme presque géométrique. C’est un monde qui s’affaisse, qui implose. Beaucoup de choses se passent hors-champ. Je veux ce confinement, alors que le symbole appellerait l’extra-diégétique. La mise en scène et les ellipses démolissent les espaces : on a tourné dans le même décor mais ça ne se voit pas car les angles sont toujours différents.
Gimmick veut dire « truc » en anglais : ce sont des trucs qui permettent de construire une connotation selon un plan bien précis.
Je ne suis pas un artiste naïf ou intuitif. Se laisser guider, ça n’existe pas. On est dans le contrôle. Par contre, des choses rejaillissent. Longtemps, je ne savais pas que mon père était central dans mes films. J’avais jusqu’à il y a quelques années une relation très conflictuelle avec lui. La perte du père est l’élément fondateur de tout le récit de The End. Dans C’est eux les chiens, le père qui revient et son rapport au fils est très important… On est traversé par des choses mais il faut canaliser cette énergie. Il faut programmer un film, il coûte cher, les plannings sont complexes. J’écris beaucoup mes textes, de nombreuses versions. Les prémices d’un scénario ne sont jamais les bons. Les danseurs travaillent tellement qu’on ne voit plus leur effort. La vision du film doit être claire, même si elle reste transformable, comme une matière vivante qui nous guide.
Mais le film ne doit-il pas donner du souffle, du courage au spectateur ? Où le trouver dans ce film d’une indéniable noirceur ?
L’humour est féroce mais ce n’est pas si sombre que ça : beaucoup de choses sont du domaine de l’absurde et de la comédie noire. La rédemption, ça ne fonctionne pas culturellement chez nous. Les gens commettent des erreurs ou ils sont victimes. Cela sonnerait faux. Ce que je défends, c’est une dignité. On n’accepte pas dans nos sociétés qu’une personne s’assume dans ses faiblesses, ses défaillances. On n’accepte pas la folie, par peur de contamination. La folie serait dangereuse pour tous, y compris pour le pouvoir. On ne sait pas comment la gérer et on l’enferme. Cela m’intéresse donc que les gens acceptent leur folie comme une part d’eux-mêmes. Jamais le rescapé de trente ans de prison de C’est eux les chiens ne se définit comme une victime. Tarik est un moins que rien et finit par se prendre en mains, et accepte son deuil. On est dans une sorte d’autisme dans nos sociétés, on n’exprime pas ses émotions. Un homme ne dit pas à sa femme qu’il l’aime. Ses enfants ne reçoivent de lui que des baffes… On a grandi dans cette rigueur machiste où on baisse les yeux. C’est une révolution d’être dans ces dialogues où on s’assume dans ses faiblesses, sans sentimentalisme, où l’on assume ses émotions. Tarik verra le monde comme un aveugle commence à voir les couleurs. Cela me semble très positif.

///Article N° : 13782

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© Pan Production Maroc
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