Les voyages que Guy de Maupassant (1850-1893) entreprend en Afrique vers la fin du 19e siècle lui inspirent une série de textes qui témoignent de ses efforts pour comprendre le monde colonial mais aussi de sa propre fascination pour l’Orient. Noëlle Benhamou a réuni une bonne partie de ces récits et nouvelles en deux tomes aux éditions Palimpseste (1).
Maupassant se rend en Afrique du Nord, précisément en Algérie, puis en Tunisie, entre juillet et septembre 1881, en tant qu’envoyé du quotidien Le Gaulois, lors des soulèvements anti-français qui font alors ravage en Algérie ces années-là. Il retourne vers cette terre qui l’attire depuis toujours entre octobre et décembre 1887, en hiver 1888-89 et en septembre 1890 ( » un impérieux besoin, par la nostalgie du Désert ignoré, comme par le pressentiment d’une passion qui va naître « ).
Au-delà des analyses politiques et sociales, l’écrivain normand essaye surtout d’explorer de son regard l’âme de gens qui semblent éternellement divisés entre deux pôles. Car cette terre où les Nord-africains rencontrent l’occupant français « , le Maghreb, c’est-à-dire l' » Occident » en arabe, représente en même temps l’Orient aux yeux des Européens. L’auteur est donc intéressé à comprendre » ce dont ne s’inquiètent guère les colonisateurs « , un sujet à l’égard duquel ses contemporains sont pour la plupart indifférents.
Dans les Nouvelles d’Afrique (1) Maupassant se veut conteur de ses expériences de vie africaine ; l’imagination et le côté littéraire sont privilégiés par rapport à l’analyse objective de l’actualité, à l’esprit de chroniqueur de journal. Il s’adresse souvent à un interlocuteur imaginaire qui est l’alter ego ou encore une transfiguration du narrateur épris des plaisirs de l’Orient ; cela lui sert de prétexte pour se livrer à des dialogues avec lui-même. Dans le deuxième recueil, Récits d’Afrique (1), qui réunit des textes parus la première fois dans Au Soleil (Havard, 1884) et La Vie errante (Ollendorff, 1890), l’auteur s’inspire plutôt de la réalité politique et veut exprimer sa propre opinion au sujet des évènements en cours et des opérations militaires dont il est témoin en Algérie en tant que reporter.
Qui sont les vrais barbares, se demande-t-il dans L’Orient (1883), les gens malheureux de l’Occident qui se disent civilisés mais vivent durement comme des brutes ou les Orientaux qui vivent, de leur côté, là où l’esprit est mort, la pensée est stérile et ne fait aucun effort pour s’élancer, grandir et conquérir ? » C’est la terre des sages, la terre chaude où on laisse couler la vie, où l’on arrondit les angles « , lui répond son ami de plume depuis un Orient utopique.
Un peu partout l’auteur nous livre l’image de lieux où l’homme peut enfin aspirer à être libéré des inconvénients terriens pour jouir simplement du soleil et de l’amour s’offrant généreusement à leur état pur dans une » terre colorée qui enivre le regard, dont la vue est savoureuse comme un vin « . Par ailleurs Maupassant ne manque pas de se laisser tenter par un certain orientalisme, voire l’utilisation d’images stéréotypées de l’Afrique et de l’Orient.
Dans Marroca (1882) il raconte l’explosion des sentiments qu’il subit en Afrique, un leitmotiv de la littérature de voyage : » ici on aime furieusement. On sent, dès les premiers jours, une sorte d’ardeur frémissante, un soulèvement, une brusque tension des désirs, un énervement courant au bout des doigts, qui surexcitent à les exaspérer nos puissances amoureuses et toutes nos facultés de sensation physique, depuis le simple contact des mains jusqu’à cet innommable besoin qui nous fait commettre tant de sottises « . Marroca est donc une pied-noir d’origine espagnole à l’accent marseillais, un peu bestiale, grande, » destinée à l’amour désordonné « , éveillant en lui » l’idée des obscènes divinités antiques « . Femme fatale, Vénus de Barbarie fidèle néanmoins à l’iconographie classique (le narrateur la découvre en l’épiant pendant qu’elle prend son bain en mer), elle est avant tout la représentation du désir érotique propre à un voyageur occidental qui explore enfin cet Orient, décor de tous ses fantasmes. D’autre part Marroca, poussant le narrateur à l’adultère sous son toit conjugal, reflète une certaine image de pied-noir que Maupassant semble vouloir représenter, à savoir un colonisateur qui l’est malgré lui, souventperçu dans la métropole comme n’étant pas fiable, se laissant emporter par la passion, naïf ou dépravé.
L’auteur met en scène d’autres personnages inspirés des Européens rencontrés en Algérie. Les nouvelles Un Soir (1889) et Allouma (1889) offrent au lecteur des mémorables portraits de colons français. Dans la première, Maupassant met en scène un certain M. Trémoulin installé en colonie suite à une déception amoureuse (ou à un atroce délit ?). Misogynie, exaltation de la camaraderie virile, la violence et le plaisir sadique de la conquête sont les thèmes et les valeurs privilégiées du monde colonial. Dans La province d’Oran Maupassant raconte l’aventure d’une femme alsacienne à qui on avait promis des terres qui finalement ne rapportent rien du tout. Ainsi il met en évidence une réalité de misères qui hante l’histoire de la présence française en Algérie et qu’Albert Camus évoquera plus tard dans Le Premier homme.
Maupassant semble parfois évoquer un monde colonial légendaire où figurent un colonisateur bon enfant et un colonisé naturellement soumis et toujours fidèle. C’est le cas par exemple du personnage de Tombouctou, » géant d’ébène » qui marche en gesticulant et rit « tordu, hurlant avec une joie de folie » (Tombouctou, 1883). Cet Africain grotesque et qui répond à des clichés encore d’actualité, est emmené en Europe vraisemblablement lors de la guerre franco-allemande de 1870 ; il fait part de ses aventures à son ancien lieutenant rencontré par hasard à Paris : » Gagné beaucoup d’agent, beaucoup, grand’estaurant, bon mangé, Prussiens, moi, beaucoup volé, beaucoup, cuisine française, Tombouctou, cuisinié de l’Empéeu, deux cent mille francs à moi « . Par ailleurs Maupassant critique avec sévérité la société du colonisé, notamment dans La Province d’Alger et Le Zar’ez à propos de la pratique acceptée de l’homosexualité, du tribalisme, de la présence envahissante de la religion musulmane dans la vie quotidienne.
Il n’hésite pas à adopter un ton encore plus polémique dans ses critiques anti-coloniales comme dans Bou-Amama ou La Kabylie-Bougie. Dans Alger par exemple il dépeint un pays qui finalement est évidemment bien loin de subir une colonisation bénigne : » dès les premiers pas on est gêné par la sensation du progrès mal appliqué à ce pays. C’est nous qui avons l’air de barbares au milieu de ces barbares, brutes il est vrai, mais qui sont chez eux, et à qui les siècles ont appris des coutumes dont nous semblons n’avoir pas encore compris le sens. Nos murs imposées, nos maisons parisiennes, nos usages choquent sur ce sol comme des fautes grossières d’art, de sagesse et de compréhension. Tout ce que nous faisons semble un contresens, un défi à ce pays, non pas tant à ses habitants premiers qu’à la terre elle-même « .
En conclusion, l’originalité des récits de voyage de Maupassant aura été le sincère engagement humain de l’écrivain pour un dialogue franc et lucide entre l’Orient et l’Occident.
(1) Nouvelles d’Afrique, Maupassant en Afrique, Volume 1
Récits d’Afrique, Maupassant en Afrique, Volume 2
Editions Palimpseste, 13 Rue Paul Bert, 69003 Lyon
Site Internet :www.editions-palimpseste.com
Pour des renseignements bibliographiques complets visiter le site
Maupassantiana : http://perso.wanadoo.fr/maupassantiana///Article N° : 4687