Poète, nouvelliste et auteur de théâtre, le Malgache David Jaomanoro navigue avec bonheur entre les genres littéraires, dans une langue française parsemée de malgache et de comorien. Son dernier recueil, Pirogue sur le vide, vient de paraître aux éditions de l’Aube.
Dans quelles circonstances avez-vous commencé à écrire ?
J’ai commencé à écrire au collège, à Madagascar. C’étaient des poèmes, souvent pour épater les camarades. À l’université d’Antananarivo, encouragé par deux professeurs, j’ai redécouvert la littérature à travers les auteurs africains (Mongo Beti, Sony Labou Tansi, etc.) Le concours de poèmes mis en place pour la célébration du cinquantenaire de la mort de Jean-Joseph Rabearivelo, en 1987, a récompensé mon recueil de poésie Quat’am’s j’aime ça. Ce fut le vrai départ. À l’époque je voulais attirer l’attention sur la déchéance de la situation socio-économique à Madagascar. Tous mes écrits n’étaient qu’un cri de détresse.
Vous avez écrit pour le théâtre, pour enchaîner ensuite sur des nouvelles. Est-ce un changement d’orientation ou un travail en parallèle sur plusieurs genres ?
Au début, je pratiquais plusieurs genres pêle-mêle : poésie, nouvelle, théâtre, selon l’inspiration du moment. Certains sujets passaient mieux dans un genre plutôt que dans un autre. J’ai écrit trois pièces de théâtre La retraite (théâtre, éd. Promotion théâtre, 1990), Le dernier caïman (théâtre, inéd.), Le mariage de la princesse Iangoria (théâtre, inéd.), porteurs d’une parole incantatoire, une profération proche de l’imprécation, pour mettre en scène une situation dégradée et dégradante à travers des personnages handicapés par une fracture sociale profonde. Dans le même temps, j’écrivais des nouvelles, mais de moins en moins de poèmes (La peau de banane ; Je descends à Vohididala ; Docteur Parvenu, Torii éditions, 1992). Le style commence alors à évoluer vers le récit, soutenu par une parole empruntée à l’oralité, servie par l’imagerie populaire et portée par des personnages qui réclament leur individualité. C’est ainsi que la nouvelle est devenue mon genre de prédilection, avec Le petit os, Funérailles d’un cochon (Grand prix RFI / ACCT 1993) et Jaombilo (médaille d’or aux IIIe Jeux de la francophonie, 1997).
Les lecteurs français ont eu du mal à vous rencontrer, malgré votre médaille d’or aux Jeux de la francophonie en 1997 pour Jaombilo. Vos textes étaient alors publiés dans des recueils collectifs. En janvier 2006, les éditions de l’Aube ont publié votre premier recueil personnel et une de vos nouvelles est présente dans Chroniques de Madagascar aux éditions Sépia (novembre 2005) (1). Pouvez-vous nous présenter ces deux ouvrages ?
Le titre recueil est Pirogue sur le vide. Les douze nouvelles qui le composent retracent le cheminement d’individus qui veulent sortir des dérives politiques et socio-économiques dans lesquelles ils sont empêtrés. L’action se déroule dans les régions malgaches d’abord, pour ensuite s’arrêter à Mayotte. » Pierrot « , dans Chroniques de Madagascar est un pêcheur anjouanais, immigré clandestin à Mayotte. Il sacrifie sa vie familiale dans l’espoir d’obtenir des papiers français qui lui permettraient plus tard de faire vivre décemment son épouse et ses enfants anjouanais. Mais il est arrêté après avoir pêché deux cadavres dans le lagon.
Dans tous vos textes, les personnages, paysans ou citadins, femmes ou hommes, se débattent dans des contextes difficiles et violents. Votre écriture a-t-elle l’ambition d’être réaliste ou tendez-vous à mettre en scène une vision pessimiste de l’homme malgache et de l’homme en général ?
Mon écriture s’inspire de faits réels. Il se trouve que cette réalité est dure, violente, à un point tel que j’oublie parfois qu’elle comporte aussi des merveilles qui méritent d’être mentionnées. Mais celles-ci ne concernent qu’une minorité. Je prends le parti de dénoncer des anomalies, de m’insurger contre des injustices, de hurler ma douleur, celle d’une génération laissée pour compte et qui réclame un petit morceau de bien-être. Si mon propos touche à l’universalité, bien que profondément enraciné dans un espace géographique localisé, c’est parce qu’il touche à l’humain.
Plusieurs nouvelles décrivent l’exil des Malgaches ou des Comoriens à Mayotte, où vous vivez depuis plusieurs années. Des mots comoriens parsèment même vos textes. Quel est votre objectif littéraire et social ?
C’est ma façon de participer à un débat social d’actualité que d’accompagner dans leur fuite en avant ces individus qui refusent leur destin, qui aspirent à un mieux-être. Je ne me substitue pas au politique, ni à qui que ce soit. Je relate simplement des faits, avec ma sensibilité. Pour ce qui est des mots comoriens (malgaches aussi) qui parsèment mes textes, je me les impose, comme j’impose leur cas au débat public, au risque de déstabiliser le lecteur.
Vous sentez-vous à l’étroit dans une langue française incapable de rendre compte de mondes éloignés ?
Pas du tout. Le défi est justement de pouvoir plier la langue française afin qu’elle rende compte de ces situations. La langue française n’est pas éloignée de ces mondes avec lesquels elle entretient des relations fortes d’interdépendance : elle n’a sa raison d’être qu’en présence de sociétés enfin dotées d’un visage, d’une identité culturelle fortement revendiquée, légitime et reconnue. Après avoir contribué pendant des décennies, voire des siècles, à la destruction de ces mondes, de ces peuples, la langue française n’a pas le droit de dire aujourd’hui qu’elle en est éloignée.
Vos mélanges linguistiques cherchent-ils à déstabiliser le lecteur, déjà choqué par les personnages et les situations qu’il découvre ?
Choqué, je le suis aussi lorsqu’on parle de francophonie à des peuples qui crèvent de faim et qui n’ont pas les outils nécessaires à l’épanouissement de leurs langues et de leurs cultures !
Note
1. David Jaomanoro sera présent au Salon du livre de Paris qui se tiendra du 17 au 22 mars 2006.///Article N° : 4322