La littérature camerounaise est marquée par une scission entre écrivains de la diaspora et écrivains du terroir, tentant tant bien que mal de créer dans un environnement qui, malgré quelques bonnes volontés, ne favorise pas le développement de la chaîne du livre. Bref aperçu historique.
La littérature camerounaise écrite se segmente en deux parties : la diaspora avec des auteurs tels que Calixte Beyala, Gaston-Paul Effa, Alain Patrice Nganang, Paul Dakeyo, Jean Roger Essomba, Yodi Karone, Eugène Ebodé, Irène Zanga ou Nathalie Etoké, et les écrivains du terroir qui symbolisent le mieux aujourd’hui le » malaise de la production littéraire au Cameroun « , dû à un environnement institutionnel amorphe et une chaîne du livre qui, de l’édition à la publication finale, relève le plus souvent du flou artistique. Parmi ces écrivains du terroir, il faut mentionner, entre autres, Patrice Kayo, Séverin Cécil Abéga, Ernest Alima, Bate Besong, Joseph Dong’Aroga, Marie-Claire Dati Sabzé, Anne Tanyi Tang, Evelyne Mpoudi Ngollé, Camille Nkoa Atenga, Rabiatou Njoya, Stella Virginie Engama, Pius Sambe Ndifor, Patrice Ndedi Penda et Jean-Claude Awono. La trame de leurs textes repose sur les travers d’une société malade de ses excès et ses abus, de ses mystères et de ses incompréhensions aussi.
La littérature se présente comme un terme générique dont la réalité est complexe. Pour le cas du Cameroun, la littérature dite écrite est vulgarisée depuis l’arrivée des premiers missionnaires baptistes le long des côtes littorales camerounaises et les premières traductions des écritures saintes en langues locales. Il ne fait pas oublier, par exemple, l’action pionnière de l’English Baptist Missionary Society créée en 1792, et celle des personnages clés tels que Alfred Saker ou Joseph Merrick dans l’élaboration des premiers corpus des textes en langues locales.
La littérature orale, elle, est consubstantielle à l’avènement de l’Homme et à ses premières manifestations de culture. Pour le cas du Cameroun, reprenant le regretté jésuite Engelbert Mveng, le professeur Ngijol Ngijol, l’ancien doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’université de Yaoundé, mentionne que » [
] sa pleine floraison est attestée au Cameroun en 1472, lors de la découverte de ce pays par l’explorateur Fernando-Poo, et au Royaume de Kongo voisin en 1482, lors de la colonisation portugaise. « Esquissant un panorama de la littérature camerounaise d’aujourd’hui, Marcelin Vounda Etoa de l’actuel département de français de l’université de Yaoundé I et par ailleurs directeur de publication du mensuel culturel Patrimoine, souligne que pour la littérature camerounaise d’expression française, la littérature orale s’apparente curieusement à » [
] un long et torrentueux fleuve dont on peut choisir de remonter le cours ou de suivre l’agréable bruissement des eaux sinueuses à travers monts et vaux « .
On peut relever dans un premier temps l’évolution dynamique de la graphie traditionnelle ancienne avec le cas de l’écriture bamun inventée par le sultan Njoya Ibrahim (1889-1933). Il n’hésita pas à la vulgariser à travers toute une pédagogie appliquée dans des écoles et dans de nombreux écrits, et surtout dans l’essai sur la religion qu’il écrivit dans la même foulée. L’écriture des bamun, shumun, aura servi non seulement les intérêts personnels du souverain, mais aura surtout constitué une barrière dans la protection et la préservation d’un patrimoine culturel dans ce qu’il avait d’essentiel (arts de la guerre, agriculture, métallurgie, pharmacopée et théologie notamment) face aux colons allemands avides de percer le » mystère » de ce peuple séculier.
Durant les années 50, une véritable génération d’écrivains apparaît. Son objet est la société coloniale africaine avec ses travers pendant et après la colonisation, les rapports entre colons et indigènes de la première heure – bref la difficile et laborieuse parturition d’une société coloniale nègre à la recherche d’une identité bafouée par l’asymétrie des rapports imposés par la colonisation. Cette réflexion concerne aussi bien des auteurs tels Benjamin Matip (Heurts et malheurs des rapports Europe-Afrique noire dans l’histoire moderne – XVè au XVIIIè Siècle, 1959), Jean Ikellé-Matiba (Cette Afrique-là !, 1963), Henri-Richard Manga Mado (Complainte d’un forçat, 1971), René Philombe (Les Blancs partis, les Nègres dansent, 1972), Francis Bebey (Le fils d’Agatha Moudio, 1967), Bernard Nanga (Les chauves-souris, 1980), que les » classiques » Eza Boto/Mongo Beti (Remember Ruben, 1974) et Ferdinand Oyono (Le vieux nègre et la médaille, 1974). L’écriture romanesque apparaît comme la forme esthétique qui symbolise la vitalité de la littérature au Cameroun. Cette vitalité doit aussi à l’énorme travail de pionnier abattu à l’époque par les éditions CLE (Centre de littérature évangélique de l’Afrique d’expression française) et de l’un de ses tout premiers responsables en matière d’édition, le pasteur Ypes Schaaf, de nationalité hollandaise et récemment décédé.
En introduisant le débat conceptuel et contradictoire sur le bilan de » 42 ans de littérature camerounaise » et en réfléchissant sur les éventuelles orientations prises par les écrivains camerounais aujourd’hui, le mensuel Patrimoine (hors-série no. 2, février 2003) s’est longuement interrogé sur ce que pourrait éventuellement être la littérature camerounaise (celle écrite par les Camerounais mais en langues étrangères, soit le français ou l’anglais). L’écrivain Pabé Mongo introduit le concept théorique de la NOLICA ( » nouvelle littérature camerounaise « ), qui porte sur » le renouvellement de l’actualité de la thématique « . Cette réflexion stimulante sur les écrivains et leur vitalité est aujourd’hui susceptible de servir de cadre de compréhension pour une littérature qui aura souvent été à la pointe des littératures d’Afrique noire subsaharienne, grâce notamment à la vigueur des écrits proposés au grand public hier avec Francis Bebey, Guillaume Oyono Mbia, Mongo Beti, René Philombe, aujourd’hui avec Calixte Beyala, Gaston-Paul Effa, Jean-Roger Essomba, Victor Bouadjio, Alain Patrice Nganang, Irène Zanga.
Si la vitalité et le talent de la majorité des écrivains camerounais de la diaspora sont aujourd’hui reconnus, le cas des écrivains du terroir, lui, est davantage problématique. Il existe certes des talents prometteurs, mais encore faudrait-il que les pouvoirs publics consentent à vouloir créer des structures d’encadrement adéquates. Sinon, l’amateurisme et l’imposture deviendront les seuls éléments représentatifs d’une littérature qui semble toujours chercher ses marques.
Né en 1964 à Paris, Joseph Owona Ntsama coordonne de la rédaction du journal culturel Patrimoine et est secrétaire de rédaction du bulletin d’analyses Enjeux de la Fondation de géopolitique Paul Ango Ela (FPAE), Cameroun. Il est actuellement chef de projet adjoint du PSIC-Cameroun (Programme de Soutien aux Initiatives Culturelles)/UE.///Article N° : 3502