Discours de Madame Camara Makalé,

Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Guinée

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Je suis très honorée d’être ce matin dans cet atelier. Nous sommes en train de parler de cette histoire commune, que nous avons eue, que nous avons encore avec la France, cette histoire passionnelle aussi bien chez les Africains que chez les Français qui remue de bonnes et de tristes choses. L’histoire que je connais le mieux c’est celle qui concerne mon pays, la République de Guinée, qui a une histoire singulière avec la France puisqu’elle a pris son indépendance bien avant les autres, en 1958 et qu’elle n’a eu qu’un seul Président de 1958 à 1984.
Les manuels scolaires avant les indépendances
A l’avènement des indépendances des pays africains, les manuels scolaires portaient sur l’environnement colonial et local. L’enseignement, conçu pour les colonies, devait valoriser et soutenir le fait colonial : des notions de respect des valeurs, de défense de la République française étaient au centre de l’éducation scolaire. A quelques différences près, c’est le même objectif qui était visé par l’enseignement dispensé dans les colonies anglaises, portugaises, espagnoles.
Très peu d’élèves parvenaient à terminer le cycle primaire et à entamer le cycle secondaire : une sévère sélection ne favorisait pas le plus grand nombre d’entre eux pour poursuivre des études supérieures. La France n’avait pas besoin de beaucoup de cadres administratifs dans ses territoires auxquels pourvoyait une élite dirigeante européenne. Celle-ci ne requérait sur place que des employés subalternes et des cadres moyens (instituteurs, infirmiers, médecins africains) sous ses ordres.
Les manuels scolaires au temps de l’indépendance de la Guinée
C’est pourquoi, au lendemain des indépendances africaines, des problèmes ont brusquement surgi, entre autres celui lié à l’enseignement. Une fois l’ordre ancien renversé et les nouvelles autorités installées, il a fallu résoudre des difficultés jamais rencontrées auparavant : équiper les écoles de manuels adaptés aux nouvelles exigences de la souveraineté des jeunes Etats.
Le problème a été plus crucial en Guinée, considérée par la France comme une rebelle, à laquelle il fallait administrer une leçon, pour lui éviter de servir de modèle d’émancipation aux autres pays africains. Ainsi l’enseignement s’est-il trouvé du jour au lendemain amputé de ses instituteurs français, de ses cadres enseignants, avec une pénurie de fournitures et de manuels scolaires, sans moyens suffisants d’en confectionner de nouveaux, les anciens étant inadaptés.
Des étudiants nationaux encore en formation en Europe, des cadres africains, des contingents d’haïtiens, d’européens, tous acquis à la cause du jeune état indépendant, accoururent au secours en masse. L’improvisation se mit aussitôt au rendez-vous, faute d’équipements et dans l’impossibilité d’agir autrement. On fit comme on pouvait, comme on pensait bien faire.
Le besoin criard de cadres poussa à la création de centres de formation rapide avec des candidats aux capacités limitées : école normale de Dabadougou, Ecole des infirmières et des pharmaciens à Conakry, Centre technique (CNAM) et autres instituts fleurirent. On généralisa l’implantation de collèges d’enseignement secondaires ; tour à tour on passa du collège d’enseignement court, au collège d’enseignement Secondaire (CES), puis au collège d’enseignement révolutionnaire (CER). Chaque agglomération se dota de ses écoles qui recrutèrent des formateurs à la pédagogie douteuse.
Néanmoins un effort considérable était fait dans la fréquentation scolaire féminine et dans la généralisation de l’enseignement à toutes les couches sociales.
En revanche, on ne put pas toujours satisfaire la demande en professeurs de nouvelles écoles supérieures en tête desquelles l’Institut Polytechnique, l’Ecole d’Administration. Même si l’on fit venir des enseignants de l’URSS et des pays satellites du bloc de l’Est à coups de dépenses exorbitantes.
Tout de même on arriva à confectionner quelques manuels grâce à l’implantation d’une imprimerie moderne à Conakry, à réadapter les ouvrages existants, notamment les ouvrages de Jean Suret-Canale, les romans et ouvrages d’écrivains africains et de la diaspora noire (Tamsir Niane, Léopold Sédar Senghor, Mongo Béti, etc.…)
De la délocalisation à l’enseignement de masse
Avec la Révolution culturelle en Guinée, on assista à un éparpillement de l’enseignement supérieur par une délocalisation des unités dans les campagnes. Les étudiants des classes supérieures s’occupèrent de la formation de ceux qui se trouvaient dans les classes inférieures. Les manuscrits, les polycopiés pallièrent le manque d’ouvrages de référence.
On continua tant bien que mal, d’enseigner en Français, langue officielle administrative. L’anglais et d’autres langues européennes furent plus ou moins étudiés, non pas à cause d’un désintérêt, mais par manque d’enseignement et de manuels suffisants.
Mais la fuite des cerveaux à l’étranger, entamée avec le départ massif des coopérants étrangers, à la suite de la grève de 1961-62 et des complots à répétition contre le régime, s’accéléra avec le départ dans les pays voisins d’élèves en fin de cycle secondaire et même de quelques cadres.
La solution à ce phénomène fut trouvée avec l’enseignement dit de masse. On introduisit, vers la fin des années soixante, l’alphabétisation en langues nationales à l’école : elles ne sont pas complémentaires aux langues européennes mais concurrentielles à celles-ci. Les supports matériels sont des syllabaires, rédigés malheureusement sans études approfondies suffisantes. Et pourtant, très vite, les langues nationales devinrent des langues d’enseignement, sans devenir pour autant des outils de recherche et d’acquisition des connaissances modernes.
Des dégâts se firent rapidement sentir et le retour à la situation antérieure fut douloureux : des générations entières furent sacrifiées au nom d’une expérience improvisée. Aujourd’hui cependant il est prouvé que l’enseignement des langues nationales facilite l’apprentissage des langues étrangères. Le Nigeria conduit une bonne expérience en la matière. L’enseignement du swahili en est un autre exemple, d’ailleurs l’UNESCO travaille beaucoup sur cette question.
Ce n’est donc pas faute d’avoir pris des initiatives que l’enseignement a été précipité à un niveau bas, mais des solutions adéquates aux problèmes de l’enseignement n’ont pu être trouvées aux bons moments. Si elles sont pour la plupart issues de bonnes intentions, bon nombre de ces initiatives prises dans la précipitation et l’urgence des événements, mériteraient aujourd’hui d’être revues de manière rationnelle.
L’enseignement sous la seconde République
A l’avènement de la seconde République, dans les années 80 et 90, dans le cadre du programme d’éducation pour tous, des écoles ont été construites sur l’ensemble du territoire guinéen. Du côté de l’enseignement privé, beaucoup d’écoles, d’Universités, d’instituts ont vu le jour ; l’Etat lui-même est tenu d’octroyer des bourses en Guinée aux étudiants qui ne peuvent trouver de place dans les universités publiques.
Le projet Tokien financé par le PNUD et qui a duré un certain nombre d’années, permettait la venue de professeurs étrangers en vue de la qualification de notre enseignement. Ce projet mérite d’être repris et combiné avec un jumelage des universités guinéennes avec celles des pays francophones, particulièrement la France.
J’insisterais pour terminer, sur ce besoin de rapprochement des universités, des instituts, mais aussi de la formation professionnelle au sein de la francophonie.
L’exemple de la formation professionnelle
En effet, ambassadrice à Paris, je constate la frénésie, l’envie irrésistible de beaucoup de jeunes bacheliers, voire de collégiens, de venir en France, en Europe pour y parfaire leur formation universitaire aux frais exclusifs des parents. Ces derniers ne sont pas à même de toujours payer. Pour finir, ces étudiants vivent dans des conditions difficiles set les services de l’immigration en rattrapent certains. Or s’ils peuvent trouver des conditions favorables d’études de qualités à travers des échanges de programmes et de professeurs venant d’universités de renom, beaucoup d’entre eux resteront au pays.
Quant à la formation professionnelle, elle reste indispensable à l’avènement industriel dans les pays africains. La politique de l’enseignement de masse a favorisé la formation de plus de cadres supérieurs de conception que de main-d’œuvre d’exécution, d’ouvriers et d’artisans dont notre économie a le plus besoin.
Avec l’arrivée de la Chine, les pays africains vont ouvrir de très grands chantiers. Le financement chinois amène ses propres ouvriers parce qu’ils ne trouvent pas sur place la main-d’œuvre qualifiée. Il faut pallier ce manque par une formation professionnelle de la grande masse. Les industries qui s’installent dans un pays comme le mien qui regorge de ressources (aluminium, fer, or, bauxite et autres) n’a pas de main-d’œuvre spécialisée pour conduire les grands engins.
Les relations France-Guinée : tourner la page
Nous sommes heureux de constater qu’à l’occasion de ce cinquantenaire beaucoup d’actions visibles ont été faites comme le défilé du 14 juillet. Le ministre Jacques Toubon a fait le tour de tous ces Etats. La France a besoin de l’Afrique pour tenir sa place sur l’arène internationale ne serait-ce qu’à cause de la langue. La Francophonie est maintenue en vie grâce aux pays africains. L’Afrique a aussi besoin de la France. Nous diffusons cette langue comme une langue de travail. Nous avons une histoire commune, des codes communs. Le droit africain est inspiré du code Dalloz, du droit français. Toute notre manière de faire et de concevoir, nous la tenons de la France. Ce besoin que nous avons, il faut non seulement le renforcer mais en faire une opération gagnant-gagnant.
L’histoire de la Guinée avec la France continue toujours comme une histoire de mariage fâché. Pourtant personne ne veut sortir de ce mariage. Il faut que ce mariage marche et qu’on cesse de stigmatiser la Guinée comme la rebelle de 58. Or cela continue. Le 14 juillet, tous les pays indépendants ont été invités. Demain les personnalités africaines du cinquantenaire des indépendances vont être décorées à la Sorbonne. Et la Guinée n’a pas été invitée parce qu’elle n’était pas indépendante en 1960. Or la Guinée a besoin de la France et la France de la Guinée. Il faut mettre un tampon et tourner la page. Ceux qui ont fait l’histoire ne sont même plus là. Il ne faut pas que ce soit un héritage lourd pour les générations qui arrivent mais dépasser cette histoire qui pour moi est une histoire ancienne. Mesdames et Messieurs, je veux comprendre le message du ministre qui est là pour qu’il comprenne aussi que la volonté de la Guinée est d’avancer sur ce chemin surtout que la France reste encore le premier partenaire et bailleur de fonds de l’aide publique à la Guinée. L’Europe s’est réconciliée. Il faut que la France se réconcilie avec ses colonies quel que fut leur passé douloureux.

Je vous remercie de votre attention

///Article N° : 10107

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