Echanges culturels Maghreb-Afrique noire

Réduire le désert

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Alors qu’il campe solidement sur des jambes qui prennent racines dans le sud africain, le Maghreb reste tourné vers le Nord (l’Europe du Sud) et également vers l’Est (Moyen Orient) dans ses aspirations, prétentions et échanges culturels. Il y a beaucoup à faire pour réduire le désert qui sépare les deux parties du continent. Tour d’horizon.

En matière culturelle, le Maghreb oriente presque automatiquement son regard et ses intentions en direction de l’Europe. Les musiciens, les chanteurs, les hommes de lettre et de théâtre empruntent les avions en partance pour Paris, Rome, Madrid voire Londres lorsqu’ils cherchent à élargir leur public, à se faire connaître où tout simplement à renforcer leurs connaissances et leur savoir. Ils prennent le même chemin lorsqu’il s’agit pour eux de trouver un refuge et d’échapper à la persécution, à la censure et à l’intolérance.
Ils montent au nord pour plusieurs raisons : parce que des liens historiques, linguistiques et culturels les lient encore profondément à l’ex-métropole colonisatrice et parce qu’ils peuvent y trouver (même si c’est de plus en plus difficile aujourd’hui) un havre de paix et des sociétés démocratiques qui leur permettent de poursuivre leur travail créatif et critique. Il est vrai aussi qu’ils ne peuvent trouver ce bol d’air frais dans un « pays frère ». Non que les sociétés africaines soient moins accueillantes, mais parce qu’elles-mêmes souffrent de maux identiques.
Depuis les indépendances, les relations entre le Nord et le Sud du continent dans le domaine culturel ont été bien maigres. En près de quarante ans d’histoire, l’événement culturel le plus considérable fut incontestablement Le Festival Panafricain d’Alger de 1969. Pendant plus de quinze jours, la capitale algérienne avait vibré au son des musiques et au rythme des paroles venues de toute l’Afrique. Les Algériens découvraient leur continent à travers les ondes de la radio et les images de la télévision. Alors que les Algérois, ébahis, voyaient défiler dans les rues et sur les places publiques du grand port méditerranéen les trésors culturels venus d’Abidjan, de Kinshasa, de Nairobi, de Dakar, de Dar Es Salam, de Cotonou ou d’Accra. Ce fut un moment exceptionnel, un ravissement qui correspondait aussi à une période particulière où le discours unitaire de l’Afrique était très puissant : c’était l’époque où les Nkrumah, Sekou Touré, Boumédienne faisaient la pluie et le beau temps. C’était le temps de l’engagement politique fort, de la confrontation Nord-Sud, du non-alignement. C’était aussi l’époque où la capitale algérienne était la Mecque de tous les révolutionnaires du monde et de l’Afrique en particulier. Les mouvements de libération d’Afrique du Sud, de l’Angola, du Mozambique, les Black Panthers et bien d’autres trouvaient asile, aide et encouragement au coeur du Maghreb. C’était le temps où Manu Dibango faisait ses gammes dans les boites algériennes et chantait Night in Zeralda.
Le temps du discours unitaire
Mais en dehors de ce moment culturel remarquable, les échanges se sont limités aux voyages d’études et à la formation universitaire. Quelques milliers de cadres africains ont été formés au Maghreb et particulièrement dans les universités algériennes. Aujourd’hui encore, ce pays compte un grand nombre d’étudiants venus d’Afrique francophone et lusophone dans ses amphithéâtres.
Théâtre ou cinéma restent à la traîne. Dans le domaine du cinéma, il y a bien sûr les festivals de Ouagadougou et de Carthage. Mais dans les deux cas, les organisateurs font une place plus importante respectivement à la filmographie noire et arabe. Il reste quand même une sorte de protectionnisme. Les portes sont entrebâillées vers l’autre plus que vraiment ouvertes. Il existe très peu de coproductions afro-africaines. Là aussi, les principaux faits remontent aux années 60 et 70 et ne concernaient une fois de plus qu’un seul pays du Maghreb, l’Algérie, dont la cinématographie était relativement florissante. Quant à la présentation de films africains dans les salles commerciales de Casablanca, d’Alger ou de Tunis, elle relève plus de l’anecdote que de la réalité. Les programmes des chaînes de télévision sont encore moins ouvertes à ce type d’initiative.
Les publics maghrébins connaissent aussi très peu de choses de l’Afrique noire sur le plan théâtral. Pour des raisons linguistiques (le théâtre est à quelque exceptions près d’expression arabophone), les échanges avec l’Afrique subsaharienne étaient et sont toujours quasiment nuls. Le Maghreb étant exclusivement tourné dans cette discipline vers l’Égypte, la Syrie ou l’Irak. Les beaux-arts, dont la situation est déjà très marginalisée sur tout le continent, n’échappent pas à cette grande aridité. Plasticiens, peintres, sculpteurs, designers du nord et du sud de l’Afrique n’apprennent souvent à se connaître et ne découvrent leur travail respectif qu’à l’occasion des biennales ou des grandes expositions collectives organisées sur terrain neutre, c’est-à-dire en Europe ou en Amérique.
De tous les arts, c’est sans doute la littérature qui échappe le mieux au cloisonnement que nous venons de décrire. Si elle y arrive, c’est surtout grâce aux départements de littérature africaine existant dans la plupart des universités du continent. Mais qui dit départements universitaires, dit bien sûr champ élitiste et donc forcément restreint. C’est cependant mieux que le néant.
Le sport, heureusement
La presse écrite n’est guère mieux lotie ou plus ouverte. Il s’en faut de beaucoup. Essayez de trouver un quotidien sénégalais ou un périodique ivoirien à Alger ou à Tunis. Fouillez dans les librairies de Cotonou, d’Abidjan ou de Ouagadougou dans l’espoir d’acheter un quotidien marocain…Dans les colonnes de ces mêmes journaux, qu’ils soient du Nord ou du Sud, la place réservée aux nouvelles venues d’Afrique est vraiment ridicule. Les lecteurs africains en savent plus sur les frasques de la princesse de Monaco que sur les soubresauts qui peuvent agiter un autre pays d’Afrique. Fait significatif, peu de quotidiens ou de périodiques possèdent une rubrique régulière consacrée à l’Afrique. Les informations concernant le continent noir sont souvent casées dans une vague rubrique internationale au même titre que les nouvelles concernant le Vatican ou la Biélorussie.
Ce cloisonnement des deux blocs géographiques et humains est exploité et conforté par l’Europe et notamment les anciens tuteurs coloniaux. En effet, la plupart des acteurs agissant dans le secteur de la coopération culturelle appuient – volontairement ou involontairement – sur la plaie lorsqu’ils décident de monter des événements culturels. Les festivals, les biennales, les rencontres sont toujours intitulés d’Afrique noire ou du Maghreb, rarement simplement africains. Comme s’il ne fallait pas mélanger les torchons et les serviettes. La ségrégation peut continuer. L’Afrique noire et l’Afrique arabe et blanche peuvent persister à se tourner le dos. Un comportement contre nature que tout le monde trouve pourtant naturel. A commencer par les dirigeants politiques et culturels africains eux-mêmes. Il y a vingt ans, il existait au moins ce fameux discours unitaire et fraternel que les « réalistes » jugeaient démagogique et utopiste. Un discours qui avait néanmoins le mérite de maintenir une toute petite flamme…
Une flamme qu’a pu entretenir le sport. C’est en effet le seul domaine où existent des échanges concrets, permanents et de plus en plus importants. Cette agréable réalité a été rendue possible par des éléments extérieurs. En effet, l’organisation mondiale du sport imposait à l’Afrique de mettre sur pied ses échanges interafricains pour pouvoir prétendre à une représentation à l’échelle internationale. Les Fédérations Internationales et le Comité International Olympique ont toujours eu besoin d’interlocuteurs et de partenaires de niveau continental. Le monde du sport est organisé sur la base des cinq continents. A l’orée des Indépendances, l’Afrique était obligée de suivre les mêmes règles. C’est ainsi que sont nées, au fur et à mesure, les grandes compétitions continentales dans toutes les disciplines et le football en particulier. Aujourd’hui, les sportifs africains voyagent énormément du Nord au Sud et du Sud au Nord. L’Afrique du sport a réussi à faire ce que l’Afrique culturelle n’a jamais vraiment cherché à mettre sur pied. C’est dans le sport que l’Afrique a découvert son unité et l’a approfondie. Lors des grands rendez-vous mondiaux, un Maghrébin se sent souvent concerné par les performances des « Super-Eagles » du Nigeria comme un Camerounais se sent impliqué par les performances des Lions de l’Atlas du Maroc. Une certaine âme africaine est née grâce au sport. D’ailleurs, l’une des plus grandes actions unitaires réussies depuis près de quarante ans sur le continent a été le boycott sans faille de l’Afrique du Sud sur le plan sportif durant le régime de l’apartheid et dont le point d’orgue fut le retrait quasi unanime des délégations africaines des Jeux Olympiques de Montréal en 1976.
En attendant le réveil des politiques, dont en espère la prise en compte de ce besoin d’échanges culturels entre deux entités d’un même corps, le salut provisoire peut venir du ciel et du réseau immatériel qu’est Internet. Du ciel tombent des flots d’images dont l’Afrique arrive à intercepter quelques gouttes. Grâce aux satellites, les publics africains peuvent aujourd’hui accéder à des bribes culturelles venant de tous les coins du continent même si elles sont souvent retransmises par des canaux occidentaux. Ce n’est ni la découverte ni l’échange culturel idéal, mais c’est quand même le début de quelque chose d’important. Quant à internet, formidable outil de communication et d’ouverture, il en est encore à ses tous premiers balbutiements en terre d’Afrique.

///Article N° : 567

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