A l’heure où j’écris, attisées par de terribles images reprises sur toutes les télévisions, les haines se déchaînent au Proche-Orient. Comment ne pas voir dans ces bandes dessinées d’Afrique – dont ce court dossier tente de montrer la vitalité mais aussi l’extrême difficulté de survie – des images d’un autre ordre, celles d’une véritable intervention artistique, d’un 9ème art qui se cherche entre volonté de témoignage et exploration des passions qui hantent la vie sociale. Si j’éteins la radio et ouvre la nouvelle revue Africanissimo publiée à Kinshasa, les planches Jungle urbaine du Congolais Thembo Muhindo Kashauri « Kash » remettent les pendules à l’heure : le héros Bwana n’est pas seulement le véritable témoin d’une ville qui explose de tension, il a le recul nécessaire pour garder son sang-froid. Me viennent en tête les images du film Chef ! du Camerounais Jean-Marie Teno : un voleur de poulets manque de se faire lyncher par les passants. La présence de la caméra calmera les passions et le spectateur prend lui aussi de la hauteur.
Alors que les cinéastes, engoncés dans le coût exorbitant du cinéma, peinent à produire, les bédéistes, ces pauvres de l’image et de la plume, touchent toutes les catégories sociales, à commencer par les jeunes. Si la littérature de fiction est une philosophie sans philosophe, la BD, c’est le cinéma sans le fric ! On aurait tort de négliger ces explorateurs de l’imaginaire, qui offrent aujourd’hui une lumineuse alternative à ces magazines longtemps concoctés à Paris, diffusés à des centaines de milliers d’exemplaires en Afrique, et qui sous couvert de sport, de musique, de science ou de traditions africaines, véhiculaient allégrement les idéologies dominantes par la mythification des pouvoirs en place. Il y a beaucoup à apprendre de la BD africaine, parce que nos visions sont encore à l’école de la BD de gare occidentale nourrie de l’imaginaire du nègre et de la négresse mais aussi de ces planches d’exposition coloniale que continue de nous fournir, sauf quelques bols d’air, la BD d’art franco-belge sur l’Afrique.
N’enfermons pas la BD dans un amusement pour enfants : elle est une véritable école du soir, jouant un rôle important dans l’apprentissage non seulement de la lecture mais de l’écriture des langues locales. Les initiatives dûment soutenues de Kinshasa et Libreville contribuent efficacement à la faire sortir de la méconnaissance. Elle doit être appuyée, étudiée, collectée, archivée pour s’enrichir et ne pas se perdre dans les sables. Car ces planches d’apparence anodine contribuent elles aussi à la résolution des tensions d’un monde en explosion.
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