Editorial

Revisiter la dette

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« Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques »
Léopold Sédar Senghor, Hosties noires (1948)

Dans une atmosphère où l’on se demande quel avion s’écrasera sur quoi demain, la suffisance de l’Occident est atteinte dans la clef de voûte de son système de domination tant économique que culturelle : la confiance. Avec les tours jumelles, s’est effondrée son invulnérabilité mais plus encore : sa certitude d’avoir raison. Un éditeur américain indiquait récemment à une rencontre internationale que les Etats-Unis n’ont pas les moyens de comprendre ce qui leur arrive. Dans leur quête d’analyses et de repères, les médias reprennent la formule à sensation du livre de Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations (1996). Mais n’est-ce pas avant tout un choc des ignorances ? Selon Huntington, l’universalisme occidental est dangereux car il pourrait provoquer une guerre entre les Etats-phares de civilisations différentes. Mais la solution est pour lui d’occidentaliser le monde et de maintenir la supériorité technique et militaire de l’Occident sur les autres civilisations ! Comme le rappelait Edward W. Saïd dans Le Monde du 27 octobre, sa thèse « est un gadget comme « La Guerre des mondes », plus efficace pour renforcer un orgueil défensif que pour accéder à une compréhension critique de la stupéfiante interdépendance de notre époque« . L’histoire humaine est heureusement la permanence de métissages féconds et de partages. Elle est malheureusement aussi une série de barbarismes réactifs au Nord comme au Sud. Ces civilisations apparemment en opposition entretiennent ainsi des similitudes et des liens plus étroits que ne nous le disent les éditoriaux ou ces mots malheureux suscitant la peur et la haine comme « croisade » ou « jihad ».
Même, l’imbrication est telle que le scandale est de ne pas la reconnaître. N’est-ce pas ce qu’expriment les jeunes Français d’origine algérienne qui envahissent la pelouse et interrompent le match amical France-Algérie ? A quoi bon célébrer une réconciliation que contredit le vécu quotidien des enfants d’immigrés ? Ce n’est pas de grandes messes illusoires que la France et ses anciennes colonies ont besoin, mais d’un profond changement de mentalités. Il ne pourra intervenir qu’en regardant son histoire en face, ses chimères, ses terribles ombres autant que ses lumières. Il ne pourra se faire qu’en décortiquant les préjugés pour mieux les déconstruire.
C’est pourquoi il importe de revisiter la colonie. Pour mieux saisir ce qu’il en reste dans nos têtes à tous, Européens et Africains. Le futur sort du passé, disent les griots. Il ne s’agit pas de se flageller mais de se regarder en face. Il ne s’agit pas d’aiguiser la honte ou la victimisation, toutes deux alibis sources de malentendus et de régression, mais de mettre sur le tapis les débats, même douloureux, même ambigus. On lira dans la mise au point de la page 67 les raisons qui nous poussent à publier, bien sûr contextualisés, des textes auxquels nous ne souscrivons pas forcément. Car les mots sont révélateurs de l’état de l’imaginaire et de l’état du débat.
Ce sont encore les mots chargés qui dominèrent la conférence sur le racisme de Durban (cf p. 110). Un échec ? Dans ses amalgames, certes, mais pas dans sa conclusion. Car il y fut enfin reconnu que la traite négrière était « un crime contre l’humanité ». C’est le préalable à ce que l’aide au développement se débarrasse des culpabilités inavouées. C’est le préalable à ce que la ponction et la déstructuration opérée durant des siècles trouve une réparation dans un rééquilibrage mondial. La dette des pays du Sud doit être effacée pour éponger la dette négrière et coloniale. C’est l’étape suivante. Le combat continue.

///Article N° : 2056

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