« Il nous faut des prairies
des arbres des oiseaux
pour réinventer le pays à venir
laissons aux rivières
le soin de façonner à leur guise
son visage »
Alain Mabanckou
« Les arbres aussi versent des larmes », L’Harmattan 1997, p.109.
Rappelons les faits : l’abbé Fulbert Youlou devient président de la République du Congo-Brazzaville le 15 août 1960. Les journées révolutionnaires d’août 1963 le feront démissionner et dès 1966, la primauté d’un parti unique sur le gouvernement est institutionnalisée. De Mouvement national de la Révolution (MNR), il deviendra Parti des travailleurs congolais (PCT) en 1969, en même temps qu’une nouvelle Constitution ne prévoit pas d’Assemblée nationale dans une « République populaire du Congo ». Le PCT nommera Denis Sassou Nguesso chef de l’Etat en 1979. Mais le vent du multipartisme atteint le Congo en 1990 : deux mois plus tard, le PCT abandonne ses références au marxisme-léninisme. Il n’aura que 19 sièges sur 125 aux élections législatives de 1992. Pascal Lissouba est élu président de la République dans la foulée. Les troubles se succèdent à Brazzaville et une première guerre civile en 1993-94 voit des affrontements entre l’armée et l’opposition, entre milices rivales. Malgré le Pacte de paix de 1995, l’armée et les milices « cobras » de Denis Sassou Nguesso s’opposent à nouveau à Brazzaville en 1997. Le conflit s’étend vers le nord du pays tandis que Bernard Kolélas est nommé Premier ministre. Les forces des deux hommes s’opposent, au profit de Sassou qui bénéficie du soutien angolais, ce qui lui permet de s’investir président de la République. Un Forum sur l’unité et la réconciliation nationale se tient en janvier 1998 mais des mandats d’arrêt contre Lissouba et Kolélas sont lancés par le gouvernement en novembre. De violents accrochages opposent l’armée congolaise et les miliciens « ninjas » de Kolélas à Brazzaville en décembre. Massacres, exactions, viols : la barbarie s’installe. Des milliers de personnes fuient la capitale : exode, exil ou forêt. L’armée angolaise prête main forte au président Sassou Nguesso mais un accord de cessation des hostilités n’intervient qu’en décembre 99, et les rebelles ninjas se rendent en février 2000.
Comme l’écrivait encore Alain Mabanckou : « l’aube porte une balafre en plein visage, le soleil a du mal à panser les entailles d’un coucher sur un nid d’aiguilles » (p. 103)
Autant dire que le Congo panse encore ses souffrances. Cela se sent à Brazzaville. Chacun a perdu l’ami, le frère. Chacun craint encore ces terribles bégaiements de l’Histoire. Et pourtant, non seulement la vie reprend mais au niveau artistique, c’est l’explosion. Chacun y va de son initiative. Comme pour se dépêcher de conjurer le passé. Une gravité est là, palpable, mais aussi l’espoir fou que demain sera un autre jour.
Je me demandais à Brazzaville où ce petit pays d’à peine trois millions d’habitants a puisé sa capacité à donner à l’Afrique une bonne partie de ses plus grands écrivains, dramaturges, musiciens
On me répondit que c’était la langue, ce lingala si imagé et sensuel. On me répondit aussi que c’était la forte scolarisation de la jeunesse. Même si les moyens manquent drastiquement, le renouveau artistique est là, dont ce dossier témoigne.
Il n’est pas produit à distance mais sur place, par les acteurs de ce renouveau, dans la lignée de ces dossiers qui visent à rendre compte de la vitalité artistique d’un pays déterminé. Après le Bénin, le Gabon et l’Afrique du Sud viendront encore le Mali, la RDC, la Côte d’Ivoire, les Comores, le Cameroun, Madagascar, Haïti
En France, la campagne électorale joue le nombrilisme exacerbé : comment les centaines de milliers de jeunes issus de l’immigration africaine peuvent-ils se retrouver dans un débat sécuritaire coupé du monde, alors même que c’est l’état du monde qui détermine tout ce qui se passe ici ? Où sont-ils pris en compte dans leur interculturalité ? Où leur parle-t-on de leur racines ?
Ils n’habitent pas en Afrique mais l’Afrique les habite, comme l’avait si bien dit Tchicaya U Tam’si à propos du Congo. Les drames des guerres civiles africaines les tourmentent, malgré l’éloignement, comme en témoigne le succès de Passi avec Bisso na bisso. Pour eux, pour nous, la renaissance congolaise est un espoir. La musique, l’art, un moyen de le dire, de lui donner corps, de le partager.
Ce dossier prouve que l’espoir est là. Il y a une leçon congolaise. Une leçon à méditer.
///Article N° : 2107