entretien avec Achille A. Ngoye

Genèse d'un polar noir
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Historiquement parlant, Agence Black Bafoussa est le premier roman publié dans la série noire par un auteur africain. C’est une nouveauté… Pour moi, écrire ce roman était tout simplement un choix, étant donné que les auteurs africains n’exploitent pas beaucoup le genre policier. J’ai préféré les policiers puisque les autres genres littéraires avaient beaucoup d’auteurs de talent. Il existe certes quelques auteurs ayant publié des romans policiers, mais leur qualité laisse à désirer. Par exemple, Traite au Zaïre de Nzau sorti chez l’Harmattan au début des années 80. Dans la même collection  » Polar Noir « , un autre auteur sénégalais, Mobilo Sounkalo Keita, a sorti deux ou trois romans et Asse Guèye un polar intitulé No woman no cry. Ces titres ne m’avaient pas du tout convaincu à l’époque. Je m’étais dit qu’il fallait tenter une expérience un peu plus solide. Mais aujourd’hui, je reconnais que je l’ai écrit un peu à la hâte !
Les principes essentiels du policier demeurent : le suspense, le meurtre et une belle femme. On trouve ces principes dans toutes les sociétés. L’existence du policier n’est lié ni à l’économie d’un pays ni au niveau de vie. Toutes les sociétés ont un côté noir et triste. Le roman policier aussi. Le roman policier n’est donc pas l’apanage ni l’exclusivité de la société occidentale. Le fait de situer l’intrigue de mon roman en France était voulu. Je l’avais fait dans le but d’accrocher le lecteur occidental. Sinon, le marché et le lectorat occidentaux n’auraient pas réagi. L’intrigue de mon deuxième roman, Sorcellerie à bout portant, se passe en Afrique.
Comme premier roman d’un Africain dans la Série noire, j’ai voulu marqué un coup. Je voulais me différencier des autres auteurs de la collection. Avant mon livre, il y a eu 2412 romans. Je ne voulais pas faire la même chose.
Les problèmes des Africains en France, en particulier dans la banlieue parisienne, sont nos problèmes. Je voulais en parler dans mon livre. Mes personnages sont originaires de la république imaginaire du Kalina. En fait Kalina, c’est l’ancien quartier blanc de Kinshasa…Quand on connaît la réputation des Zaïrois, donc des Kalinais, la meilleure chose à faire pour un écrivain, c’est de parler de leur comportement. Kalina était un des lieutenants de Stanley, l’explorateur du Zaïre, qui s’est noyé aux abords du quartier qui a pris par la suite son nom. Je voulais en même temps pousser le lecteur à situer géographiquement le pays, mais il fallait savoir qui était Kalina. Je parle aussi de Pont-la-Montagne, une ville de la banlieue parisienne. C’est le nom de l’actuel Saint-Cloud pendant la Révolution française. A l’époque, celle-ci avait supprimé toutes les références aux saints. Saint-Cloud avait donc été débaptisée Pont-la Montagne. Ce genre d’écriture ne peut se faire sans un minimum de recherche.
Concernant l’argot, j’ai pris une petite revanche personnelle. Quand je lisais mes premiers romans policiers, notamment Peter Cheney, un auteur anglais, j’étais en Afrique et je ne comprenais rien. Je comprenais l’histoire mais je ne comprenais pas beaucoup de mots. J’avais beau fouiller dans le dictionnaire, ces mots n’existaient pas car ils faisaient partie du registre argotique. Plus tard, en France, j’ai toujours cherché à savoir la signification des mots argotiques quand je lisais des romans policiers. J’ai tenu à mettre l’argot et les africanismes dans mon roman.
L’accueil de Agence black Bafoussa a été très cordial. La Série noire a été créée il y a plus de cinquante ans et a un lectorat assez fidèle. Nombre de ses lecteurs ne manquent aucune parution. Il y a bien sûr la curiosité pour un Africain qui écrit des polars… Les Africains aussi ont réagi cordialement. J’ai été reçu dans beaucoup d’émissions africaines… Par contre, des journaux comme  » Libération  » où j’ai travaillé pendant très longtemps n’ont pas réagi.
S.A.S : Panique au Zaïre de Gérard de Villiers, et de Congo à gogo de Joseph Bruce, m’avaient déçu. On y voit des gens qui se comportent comme s’ils étaient à Paris. Alors qu’à Kinshasa, les bandits n’utilisent pas les armes à feu mais plutôt les tournevis. Dans Congo à gogo, la ville était dénaturée. On se serait cru dans un autre pays. J’essaie d’être le plus réaliste possible même si je fais un travail de fiction. L’auteur peut compliquer son crime comme Agatha Christie… Quand on maîtrise bien le sujet, on peut compliquer l’histoire et puis laisser au lecteur la possibilité de déduire.
J’avais envoyé mon manuscrit à toutes les grandes maisons d’édition et je n’ai reçu que des réponses négatives, sauf Gallimard. En général les Africains ont des complexes : il n’osent pas franchir le pas. Mais depuis que j’ai sorti mon roman, de jeunes auteurs africains commencent à envoyer leurs manuscrits policiers.

///Article N° : 283

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