Sourire et allure de jeune homme, Georges Momboye ne ressemble pas encore à l’arbre séculaire et protecteur que son nom est censé signifier*. Avec sa femme Muriel et quelques « fous » qui y croient, il a pourtant créé ce nouveau lieu de « danses pluri-africaines et cultures du monde » où s’abritent et se déclinent différentes formes chorégraphiques du monde noir. Dans le haut de Ménilmontant, depuis juin 98, trois belles salles aux parquets neufs et aux murs clairs accueillent amateurs et professionnels. Mais personne n’a ici le sourire coincé que l’on arbore dans les lieux dits branchés. Car les danses pratiquées ici obligent à l’ouverture d’esprit.
Ouvrir un centre comme le vôtre était un pari risqué. Où avez-vous trouvé le courage de vous lancer ?
Nous avons fait une analyse : vis à vis du monde entier, Paris est une plaque tournante de la danse africaine et depuis le centre américain du boulevard Raspail**, il n’y a pas eu de relais. Pourtant, le nombre de professeurs ainsi que la fréquentation des cours permet de dire qu’il y a une grande demande du public pour la danse africaine en France. Je suis moi-même passé en quatre ans de un à cinq cours par semaine. De plus, nombre de profs exercent en solitaires, dans des lieux où l’isolation phonique pose des problèmes, sans qu’aucune vie d’après les cours puisse s’imaginer. Créer quelque chose devenait nécessaire.
Quel premier bilan peut-on faire aujourd’hui ?
Depuis septembre, nous avons eu cent nouvelles inscriptions chaque mois. Les élèves ont tous les âges : cela va de 12 à 55 ans ! Les catégories socio-professionnelles sont également très variées : étudiants, instituteurs, journalistes. mais aussi chômeurs ! On les voit entrer stressé et sortir épanouis. Grâce aux percussion, la danse africaine a quand même la vertu de porter et régénérer chacun tout en lui apprenant quelque chose, et tout ça dans la joie ! Dans le quartier, les gens sont très contents. Avec La Maroquinerie***, qui est juste à côté, on crée un petit pôle d’attraction assez nouveau dans le haut de Ménilmontant. En dehors des cours, de nombreux créateurs viennent travailler ici. Enfin, les Africains sont très fiers q’un lieu pareil existe. Il se sentent partie prenante de son succès et disent : « On a réussi ! »
Mais demeurer prof et directeur de compagnie n’était-ce pas plus simple ?
En tant que prof, j’impose une technique, un style. Mais le centre est une tout autre démarche. Pluriculturelle. Il porte mon nom mais il est alimenté par tout ce que chacun, profs comme chorégraphes ou élèves, y apporte.
Quels rapports entretenez-vous avec les profs de danse africaine connus de longue date à Paris ?
Tout le monde nous a félicité d’avoir eu les tripes de le faire. Tous ont compris notre préoccupation majeure : faire de cet espace un lieu sain et positif pour la danse africaine. Ceux qui le pouvaient sont venus travailler ici.
A votre avis le Centre Momboye va-t-il faire avancer la présence de la danse africaine dans le milieu plus large de la danse en France ?
Le problème est que les institutions ont tendance à considérer la danse africaine comme une pratique d’amateurs. Quand des professionnels non africains sont tentés par cette technique, ils ne savent comment la convertir et l’utiliser ensuite dans l’espace du « contemporain ». On programme encore trop peu de spectacles susceptibles de prouver au grand public qu’il y a un grand professionnalisme. D’un autre côté, le Ministère de la Culture, la Drac, la Cité de la Musique, Afrique en créatiion, le Conseil international de la danse de l’Unesco et encore bien d’autres organisations nous ont exprimé leur soutien. Les choses avancent sans doute malgré tout.
C’est peut-être la France qui est un peu trop « petite » pour les ambitions d’un ancien de chez Alvin Ailey.
Pas trop « petite » mais particulièrement « têtue » sur le plan des institutions. C’est un pays qui à la fois veut (et éprouve des difficultés à) encourager une culture de l’immigration. Entre parenthèses, de leur côté, les Américains eux, fantasment totalement sur l’Afrique ! En France, l’esprit de créativité demeure très grand. Je peux y travailler tout en admirant Alvin Ailey et Michaïl Baryschnikov.
Justement, comment définiriez-vous votre travail et votre style aujourd’hui ?
« Jeune danse africaine ». Quelque chose qui vient de la danse traditionnelle ivoirienne et s’évade sur tout le continent. Qui rencontre aussi le contemporain, le hip-hop, le jazz et même le classique car en danse africaine, contrairement à ce que l’on croit souvent, il existe aussi cette rigueur du classique.
Nous sommes plusieurs à nous battre : Koffi Koko, Norma Claire etc. comme les racines d’un même arbre.
*Momboye signifie le fromager, l’arbre protecteur en wobe.
** Le Centre Américain (sur le site de l’actuelle Fondation Cartier, boulevard Raspail) a accueilli notamment durant les années 80, une explosion de cours de danse « africaine », « afro-rythmes » etc. Ahmed Tidjani Cissé y faisait répéter ses Grands ballets d’Afrique noire. Mais le centre accueillait également les cours du Congolais Lucky Zebila, du Brésilien Guem, de la Guinéenne Nana Camara, du Haïtien Ernst Duplan.
*** Café-bar, lieu d’expression théâtrale.Centre Momboye
Danses pluri-africaines et cultures du monde
25 rue Boyer 75020 Paris
tél 01 43 58 85 01
email : [email protected]
site web : http://www.ladanse.com/momboye///Article N° : 655