Quel est votre parcours littéraire ?
Je suis né en 1937 et ai commencé à écrire il y a une quarantaine d’années. Les premières choses que j’ai écrites sont des récits mais je suis surtout connu comme poète sous le pseudonyme de Joao Vario. En 1989, j’ai publié un roman, O estado impenitente da fragilidade que l’on pourrait traduire par L’état impénitent de la fragilité. Ce sont mes débuts dans la prose. Je suis également l’auteur de trois recueils de contes intitulés Contes Macaronésiens. Il faut rappeler que les Cap-verdiens ont deux identités : africaine et macaronésienne (archipels atlantiques : Madère, Açores, Canaries). Le deuxième volume vient de paraître.
J’écris sous divers pseudonymes dont Timoteo Tio Tiofe qui signe une poésie qui veut penser l’archipel dans le cadre de l’Afrique. Pendant longtemps, nous nous pensions dans notre héritage occidentalo-portugais ; c’est avec les mouvements de libération que nous nous sommes replacés dans une perspective africaine.
A partir de quel moment s’opère une revendication de l’identité africaine ?
Avec les luttes de libération, bien que certains écrivains dans le cadre du mouvement Claridoso en aient déjà eu conscience auparavant. Mais il s’agissait surtout de mentions à caractère ethnologique.
Y-a-t-il une influence des écrivains de la Négritude ?
Je ne saurais le dire. Les écrivains ne lisaient pas beaucoup
Même s’il y a une mention à Senghor, c’est de manière indirecte à travers les écrits d’Amilcar Cabral.
Quel est l’apport des écrivains au mouvement de libération ?
A ma connaissance, un seul poète s’est engagé dans le PAIGC. Il y a bien un poète engagé, Ovidio Martins, mais contrairement à Felisberto Vieira, il n’y pas de présence africaine. Il s’agit d’une poésie de lutte contre le régime fasciste au Portugal ; il a d’ailleurs été emprisonné plusieurs fois. Je l’ai rencontré lorsque j’étais étudiant à Lisbonne : un jour il m’a dit qu’il ne voyait pas ce à quoi je voulais arriver avec le genre de poèmes que j’écris.
Votre poésie est contemplative, intérieure ?
Non elle n’est pas intérieure, c’est une poésie qui médite sur l’homme. Vous savez, on m’a souvent reproché de faire une poésie qui n’avait rien à voir avec mon pays. Ma poésie parle de la mort, de la destinée, de la souffrance… de la condition humaine… Mais il est faux de dire que ce genre de poésie est de type occidental. Ce pays est extrêmement pauvre, nous avons subi des famines aggravées par des épidémies ; c’est un peuple qui a connu la mort, la pénurie de manière quasi permanente
Je ne vois donc pas comment un écrivain pourrait être accusé de faire de la poésie existentialiste.
Dans une société comme les sociétés africaines, la poésie intimiste peut-être perçue comme une forme d’égoïsme ou de retrait par rapport aux réalités sociales ?
Levons un malentendu : je n’utilise jamais le « je » mais le nous ; il s’agit d’un nous collectif, d’un homme impersonnel… Il y a évidemment des éléments de ma vie mais ils servent uniquement à alimenter une méditation de type collectif.
Je ne vois pas de contradiction entre le fait collectif et le fait individuel. Il s’agit d’un faux débat …
Moi non plus !
Vous donnez l’impression de vous défendre ?
Je veux seulement éviter le malentendu qui résulte de l’emploi du mot intimiste dans sa dimension nombriliste.
Et pourquoi ne pas faire ce type de poésie ?
Je ne veux pas faire de hiérarchie. Chacun fait ce qu’il peut. Je ne peux pas faire de poésie psychologique : ce n’est pas dans ma personnalité et j’entends traiter de mon pays et de l’Afrique.
Mais vous pouvez parler aussi de l’homme en dehors du Cap-Vert et de l’Afrique : l’homme universel. Partout où il y a des lieux de souffrance…
Ricoeur disait qu’un récit narratif est un récit de la souffrance et de l’agir. Je traite du mal, de la souffrance, du pardon et du caractère impondérable de la vraisemblance. La vérité de la même manière que le pardon, est au-delà de la capacité de l’homme. C’est pourquoi j’utilise une poésie narrative : des poèmes longs qui recouvrent un vaste champ tandis que la poésie intimiste touche à la singularité du fait de sa brièveté.
Joao Manuel Varela est professeur de médecine, poète, conteur, essayiste///Article N° : 1279