entretien de Fatima Kamara avec Mamadou Mahmoud N’Dongo

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Deuxième œuvre de Mamadou Mahmoud N’Dongo – révélé en 1998 avec L’histoire du fauteuil qui s’amouracha d’une âme, un recueil de nouvelles (L’Harmattan) – L’errance de Sidiki Bâ (L’Harmattan, 1999) traite de la vie et de la folie d’un soldat africain livré corps et âme à l’enfer des guerres occidentales et pose ainsi la question de l’aliénation morale du combattant colonisé, générée par le choc brutal de deux mondes antagonistes.

Pourquoi avoir choisi de traiter du drame des tirailleurs sénégalais ?
Je suis né au Sénégal. Les tirailleurs sénégalais représentent un point important dans notre histoire. Et de nombreux membres de ma famille ont combattu durant la Seconde Guerre mondiale. Les discussions, au Sénégal, avec des amis et des anciens combattants m’ont interpellé sur la manière dont ils ont vécu la guerre en Occident. J’ai été frappé par l’aspect schizophrénique du combattant colonisé qui se bat pour le colonisateur et le libère de l’oppression ennemie. J’ai choisi de faire du drame des tirailleurs sénégalais un roman, genre qui offre une liberté unique et la possibilité retranscrire le récit intime comme l’épopée de ces hommes.
Qui est Sidiki Bâ, l’antihéros central de votre roman ?
Il a 60 ans. Au début, il est hospitalisé dans un institut psychiatrique et il tente de se réapproprier son identité perdue.
En quoi son identité est-elle aliénée ?
Dans les témoignages que j’ai recueillis, malgré les différences de vécu, pour nombre d’anciens combattants, cette guerre est une guerre de Blancs. La façon de se battre : se cacher, creuser des tranchées, différait totalement de leur vision guerrière. De même le froid, et ce choc issu de la rencontre avec l’autre. Ils se retrouvent brusquement aux prises avec une guerre industrielle, matérialisée par l’utilisation d’avions et d’obus. Sidiki Bâ subit et survit à cette guerre. Il a pour lui ce devoir de mémoire, essentiel à sa vie.
On est frappé dans cette œuvre par la fragmentation des mots, des phrases…
Il s’agit de fragments de mémoire du personnage. La chronologie est inexistante à l’intérieur de lui-même. Ce sont des associations d’idées, de souvenirs. Dans une errance, on ne sait nullement où l’on va. Sidiki Bâ veut savoir ce qu’il a pu être, ce qu’il a été. Dans l’institut psychiatrique où il est interné, les malades s’interpellent : c’est un exutoire difficile. De ces conversations émerge une représentation de l’horreur extrême de la guerre.
Quelle est la place du fameux mangeur d’hélium que l’on retrouve à un point culminant de l’œuvre ?
Les  » ballons  » que tient le mangeur d’hélium représentent les âmes des soldats. Le mangeur d’hélium est ainsi à l’image du croque-mitaine (pour les enfants), de la mort (pour les soldats). Il symbolise l’asphyxie mortelle. Pour Sidiki Bâ, respirer est important.
L’identité de Sidiki Bâ est aliénée par la société colonisatrice ?
Oui.

///Article N° : 1226

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