entretien de Jean-Claude Awono et Wilfried Mwenye avec Pabe Mongo, écrivain et fondateur de la Nouvelle Littérature Camerounaise (Nolica)

Pabe Mongo livre les recettes de sa théorie littéraire au regard des nouvelles écritures.

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Puisque la théorie se définit comme un ensemble organisé d’idées, de concepts qui se rapportent à un domaine d’idées ; doit-on considérer que la Nolica est une théorie au sens strict du terme ?
La Nolica est une théorie au sens stricte du terme. Elle n’est ni un manifeste, ni une doctrine, ni un code (civil, pénal ou littéraire), encore moins un dogme ou une idéologie. C’est une théorie littéraire. La Nolica essaie de comprendre ce qui fonde la réussite de certains mouvements littéraires et au rebours ce qui explique l’insignifiance (le plumitisme) des autres écritures. A partir de la loi de la pertinence, c’est-à-dire une certaine correspondance entre une époque et ses attentes artistiques, le succès semble assuré, la littérature trouve sa place dans la société ; tandis qu’à l’inverse, la non pertinence assure l’échec. La littérature camerounaise de ces derniers temps vogue majoritairement dans la non pertinence, qui n’est pas l’impertinence.
Existe t-il d’autres tentatives de théorisation de la littérature contemporaine, notamment africaine ?
Pas à ma connaissance. L’Afrique n’a pas instauré l’habitude de réfléchir sur son art et de se donner des défis pour toujours l’affiner et le parfaire. C’est la raison pour laquelle l’annonce d’une théorie en conception sème tant d’émoi à Yaoundé.
La Nolica c’est : la nouveauté, la camerounité, la littérarité. Comment associez-vous ces trois concepts qui font le ciment de votre projet ?
Le concept clé de la Nolica c’est la liberté. Nos pères de la négritude et des périodes dictatoriales ont écrit sous l’oppression et ont développé une littérature de résistance (que j’appelle Littérature du maquis) d’une très grande pertinence. Cette littérature est essentiellement caractérisée par une systématique esthétique guerrière faite de camouflages spatiaux et identitaires, d’attaques verbales violentes, de l’intrépidité des héros, etc. vivant aujourd’hui dans la liberté d’expression, les écrivains contemporains se contentent malheureusement, pour la plupart, de continuer d’imiter la littérature du maquis ou de sombrer dans le misérabilisme mental provoqué par la misère économique. La nouveauté, la camerounité, la littérarité, l’audace, l’universalité, etc. constituent quelques pistes de pertinence pour sortir de l’insignifiance.
Achille Mbembe présente le Cameroun comme un espace humain où l’imagination est bloquée, un lieu où règne la peur et l’esprit de décadence ; il parle également d’une époque d’ensauvagement où le phallus règne en maître absolu. Comment la Nolica appréhende t-elle un contexte si sombrement peint ?
Je ne sais pas de quand date ce cliché. Il n’est pas impossible que quelques uns de ces traits correspondent à une période quelque peu reculée maintenant de notre histoire. Le grossissement et la surcharge faisant partie de la rhétorique que nous pratiquons tous, ce n’est pas moi qui accuserai Achille de forcer le trait. La description contextuelle de la Nolica est autre: l’oppression hier, la misère aujourd’hui et le vaste monde autour de nous pour tout de même garder espoir. L’esprit audacieux et inventif peut fonctionner.
S’agissant de la nouveauté qui est consubstantielle à votre projet, la Nolica crée-t-elle ou annonce-t-elle des formes d’écritures récentes ?
La Nolica décèle des nouveautés dans la germination actuelle, les révèle, les encourage et renforce ces spontanéités par un fondement théorique.
En présentant la Nolica comme une rupture esthétique avec l’ordre ancien, cette présentation est-elle valable pour la poésie camerounaise qui, depuis sa naissance se réfère à une toponymie locale ? En d’autres termes, quelle est la nolicité de la poésie camerounaise ?
La poésie camerounaise ne s’est jamais réfugiée dans le maquis. Elle a vaillamment porté ses combats et ses étendards sans masques, profitant peut-être du fait qu’elle n’est pas lue. Son problème aujourd’hui risque d’être de cesser de ronronner et de jongler pour produire une parole à peu près audible qui touche.
Les poètes mettent aujourd’hui en procès le nom « Cameroun » qui renvoie à « crevettes » dans son étymon portugais. Or la Nolica fonde son objet sur l’impérieuse nécessité de désigner nos lieux dans nos écrits. Suffit-il de dire « Cameroun » pour résoudre l’équation identitaire de l’écrivain dans notre pays ?
J’adore votre poème dramatique intitulé le Cameroun n’est pas vrai que j’ai vu déclamer et dramatiser à plusieurs reprises. C’est l’un des rares poèmes qui ne fait pas dans le ronron, et qui produit une parole audible et touchante. Le projet littéraire recommandé par la Nolica n’est pas de louer, mais de traiter et de pétrir nos réalités. A moins que je ne l’ai pas visionné en entier, je pense que le poème que je viens d’évoquer n’est pas allé jusqu’au bout de son souffle épique. Il a vite rejeté les crevettes à la mer sans avoir exploré tous les aspects culinaires, identitaires et emblématiques de la crevette. On aurait pu s’attendre, à la fin, à un surprenant et magnifique retournement.
Croyez-vous avoir suffisamment répondu à ceux qui pensent que votre théorie est une sorte de moule qui bloque l’imaginaire ?
Ma théorie est tout au contraire fondée sur la liberté. Au demeurant, il s’agit d’une proposition pour aider notre littérature à retrouver sa place aux premières loges du village planétaire.

///Article N° : 3997

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