entretien de Landry-Wilfrid Miampika avec Juan Luis Guerra

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Né à Saint-Domingue le 7 juin 1957, Juan Luis Guerra a fait des études de musique aux Etats-Unis dans la prestigieuse  » Berkeley School of Music « . Il y recevra une formation essentiellement axée sur le jazz, mais, devenu musicien, il exploite au mieux les possibilités et les racines du merengue, le rythme national de son pays. Richesse poétique des textes, orchestration stylisée, répertoire riche et varié, l’intégration des rythmes étrangers au merengue, l’engagement social par la chanson… Juan Luis Guerra s’est imposé en moins de dix ans comme une figure mythique du merengue et de la salsa.
L’écrivain cubain, Leonardo Padura, a rencontré Juan Luis Guerra à Saint-Domingue après plusieurs années de silence, sans interviews ni sorties ni scènes. Nous publions les extraits de cet entretien qui concernent la musique.
Fin 1998, Juan Luis Guerra est revenu sur scène avec Ni es lo mismo ni es igual (Karen). Les onze morceaux de ce nouvel album révèlent des trouvailles thématiques et stylistiques. On y écoute non sans plaisir des rythmes fort variés : merengue, merengue-rap, boléro bachata, son traditionnel cubain, chanson inspirée de la Nueva trova cubaine… Amor de conuco – l’un de ses premiers succès – est repris sous cette dernière forme. De plus, toutes ces compositions et interprétations qui font découvrir son talent de guitariste et de soliste, portent l’empreinte (textes poétiques, engagement social, orchestration et arrangements stylisés) de l’auteur de Ojalá que llueva café. Par rapport à sa production antérieure, le titre de ce nouvel album est largement suggestif : ni es lo mismo ni es igual.
Malgré son succès international (un million de disques vendus en Espagne en 1994) et le nombre croissant de ses fans, Paris lui est encore une Cité interdite.
Comment te situes-tu dans la rénovation du merengue par rapport à des figures comme Johnny Ventura et Wilfrido Vargas ? Es-tu un continuateur ou quelqu’un qui rompt une tradition ?
Il est très difficile de se situer soi-même par rapport à des musiciens aussi importants pour le merengue, parce que Johnny est, en quelque sorte, le symbole du merengue ; il est l’incontournable. De même, je ne saurais dire ce qui tranche dans sa musique : est-ce sa musique, sa façon de danser ou sa présentation sur scène ? Il transcende tout ce que les grands merengueros qui l’ont précédé avaient fait, comme Joseíto Mateo. Quant à Wilfrido, il a été aussi un grand innovateur car il a enrichi et renforcé le merengue et lui a donné une place hors du pays. Mais chacun a fait, à son époque, ce que son époque lui permettait et exigeait : Johnny et Wilfrido ont enrichi le merengue à leur façon, et plus tard, je l’ai fait à ma façon. Voilà pourquoi je ne me considère pas comme un continuateur, mais plutôt comme quelqu’un qui essaie de rompre avec la tradition. Il y a, certes, une évolution dans le merengue que nous faisons car nous y apportons de la nouveauté. Je suis également sûr que celui qui viendra après, s’il a talent et empuje, y apportera aussi du sien…
Juan Luis Guerra, à quoi attribuez-vous qu’un rythme aussi répétitif que le merengue rencontre à partir des années 80 un tel succès international pour finir par s’imposer dans le monde entier ?
La première des choses fut d’ouvrir le merengue. Nous avons commencé avec les influences du jazz des big-bands et des groupes vocaux… Nous y avons ajouté du rock et de la musique pop, ainsi que des éléments des choeurs de gospels et de be-bop. Ainsi donc, nous avons enrichi l’harmonie et les arrangements du merengue et nous avons pu lui donner une autre dimension, une nouvelle capacité : il cessé d’être une musique monotone. Je crois que cela a removio tout le son du merengue. Sans compter le travail sur les lyrics et la mélodie que nous avons poussé très loin en suivant – par exemple pour les paroles – les leçons de Silvio Rodríguez et Pablo Milanés ou Rubén Blades. Tout cela a fait qu’un public beaucoup plus large accepte le merengue et par ailleurs que le merengue évolue au point de devenir une musique plus compétitive et diversifiée.
Et la récupération de ce que l’on connaît comme boléro-son à Cuba et comme bachata à Saint-Domingue ? Est-ce conscient, avec une intention de recherche ?
Je crois qu’il y a une influence des bachateros dominicains qui ont cultivé ce genre pendant des années. En assumant ce genre, nous nous sommes appropriés des sonorités du son cubain et de la ranchera mexicaine que les bachateros avaient procesado avant nous. Ce genre de musique déjà constituée est ce que j’assume et que j’essaie de recréer, par exemple avec un lyrisme plus élaboré. C’est de là que vient la bachata de 4.40. Honnêtement, nous la soneamos plus que les Cubains, qui la jouent plus proche du boléro que du son.
Quels sont tes rapports avec la musique cubaine ?
Bon, comme Caribéen, les influences et les rapports avec la musique cubaine sont évidents, parce que c’est une musique trop importante pour ne pas être en contact avec elle. Je la connais très bien : j’ai grandis en l’écoutant… Mon père avait des disques de Benny Moré et d’autres musiciens cubains des années 50, et après, quand je suis allé étudier le jazz à Berkeley, où j’ai découvert Machito et Chano Pozo et leurs collaborations avec Dizzy Gillespie et Charlie Parker. Par la suite, les musiciens de la Nueva trova comme Silvio Rodríguez et Pablo Milanés ont exercé sur moi une influence déterminante, surtout pour les paroles. Mais à cet égard, j’ai aussi une dette envers Rubén Blades, bien qu’il ait choisi la salsa, car ses narrations et chroniques musicales sont un véritable modèle de ce que l’on peut faire avec la musique populaire.
Quel rapport vois-tu entre ta musique et la salsa ? Es-tu sûr que ce que tu fais ne rentre pas dans la salsa ?
A vrai dire, je ne me considère pas un salsero mais un merenguero, même si cela est peu compliqué parce qu’il n’est pas facile de définir les limites entre ces genres ou styles : moi-même je joue de la salsa sans être un véritable salsero, et les salseros jouent le merengue, souvent très bien. Nous transformons tous ces rythmes selon nos qualités et styles.

///Article N° : 782

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