entretien de Sylvie Chalaye avec Marcela Pizzaro

Abidjan, février 1999
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Vous êtes une jeune  » metteure en scène  » canadienne. Comment vous êtes-vous retrouvée dans cette expérience africaine ?
J’ai fondé une Compagnie, EnsembleSauvagePublic, en 1995 avec plusieurs amis. C’est une compagnie de la relève théâtrale. Notre motivation était de créer un nouveau langage scénique pour le 21e siècle, une nouvelle façon de jouer qui mélange la danse, le mouvement, le corps, le texte et les nouvelles technologies. On est une compagnie internationale, notre ambition est de tourner à l’extérieur, partout dans le monde et de monter des coproductions avec d’autres pays. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet d’Une hyène à jeun., puisqu’il s’agit d’une coproduction entre le Mali, la France et le Canada-Québec.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet ?
Ce projet était aussi associé à toute la dynamique autour du Festival des Réalités qu’a créé Adama Traoré : amener des artistes étrangers, stimuler de vraies rencontres artistiques… J’ai trouvé que ces objectifs correspondaient tout à fait à ceux de notre compagnie. Je me reconnaissais là-dedans. Dans cette idée de théâtre de recherche, un théâtre qui fasse bouger les choses.
Pourquoi avez vous choisi de monter une pièce historique ?
Ce texte nous a été proposé, à Patrick Janvier et à moi, par Christophe Merle et Adama Traoré qui se connaissent depuis 10 ans. Ils ont travaillé ensemble sur plusieurs projets et avaient depuis longtemps le rêve de monter ce texte. D’un coup les choses ont pu se concrétiser grâce à une série de rencontres. Christophe m’a rencontré à Montréal au Festival des Amériques. Il avait rencontré Patrick Janvier dans un projet de théâtre de rue qu’il avait fait l’année précédente. C’est Christophe qui a su coordonner tout cela et nous a proposé la co-mise en scène.
Pourquoi Christophe Merle et Adama Traoré tenaient-ils autant à cette pièce ?
Ce texte porte toutes les valeurs de la société traditionnelle malienne : le respect de la parole donnée, l’esprit de chevalerie, la cola, la kora… Toutes les bases de la culture orale malienne sont là : son passé glorieux, son histoire… Et dans la perspective d’une exportation du spectacle en Europe ou au Canada, il paraissait essentiel de montrer la vraie dimension de la culture malienne pour contrecarrer cette image du Mali qui s’attache aux charters et aux immigrés sans papiers.
Comment s’est décidé le choix d’une structure de plein air adaptée à la rue ? Etait-ce une contrainte de départ ?
Non, c’est un choix artistique délibéré. On s’est d’abord rencontrés au festival de Limoges, puis ont s’est retrouvés au Mali. On a réfléchi, on est allé visiter la famille de l’auteur. On a lu d’autres oeuvres de Massa Makan Diabaté. En discutant, il nous est apparu évident qu’on ne pourrait pas travailler dans un théâtre à l’italienne. Il y a très peu de salles aménagées en Afrique de l’Ouest. Et surtout, il fallait aller là où les gens se trouvent. Dans un pays où 90 % des gens vivent dehors, le théâtre de rue offrait une option réelle puisque nous voulions nous adresser à tout le monde, au grand public, pas seulement à une élite.
Au-delà de la dimension artistique, ce spectacle s’attache aussi à aller à la rencontre des gens dans les quartiers…
C’était extraordinaire pour la première journée lors de la générale : on a eu 70 % d’enfants sur lesquels on n’avait aucun contrôle ! On n’avait pas fermé l’accès et comme il y a du feu au début notamment, ils ont eu très peur. La plupart n’avaient jamais vu de théâtre, et se sauvaient paniqués. On est très heureux d’avoir joué là, même si on a eu des difficultés par rapport à l’écoute. Le texte est très difficile : il est très bavard et je crois que nous l’avons peut-être trop respecté. Cette langue griotique truffée de proverbes nous a d’abord fascinés.
La structure de la pièce est aussi très classique, c’est une tragédie racinienne.
L’auteur est un griot qui a reçu la tradition orale par son oncle. Mais il a été envoyé à l’âge de 17 ans en France. Il a reçu les lettres françaises. Et sa tante, qui était française et l’a élevé, lui a enseigné le français à coups de martinet. C’est un homme qui a une véritable dévotion pour la langue française et qui se conçoit comme un pont entre l’Occident et l’Afrique. Il le dit notamment dans un très beau document sonore :  » Je suis une chauve-souris, j’ai un bec, mais je ne suis pas un oiseau, j’ai des ailes mais je ne suis pas un oiseau, je ne peux pas me définir par rapport à l’Afrique, je ne peux pas me définir par rapport à l’Occident, mais je suis riche de cette double appartenance « . C’est à peu près la citation. C’est ce qui nous a touchés, la découverte d’un auteur qui comme nous se trouve entre la modernité et la tradition, entre l’oralité et l’écrit. C’est ce qui donne à son texte cette facture très classique. Mais il nous a fallu la rompre, la casser et je crois que nous n’avons pas fini, ce spectacle est encore en évolution.
Cette rupture passe essentiellement par l’éclatement de la scénographie qui d’ailleurs m’a beaucoup fait penser aux dispositifs des mystères sacrés.
C’est Patrick Janvier qui a conçu la scénographie. Il a une compagnie de Théâtre de rue depuis 15 ans qui s’appelle L’Obubambulle et est basée du côté de Cahors en France. Il s’intéresse en effet beaucoup au médiéval. Il travaille sur l’image, le feu, les charrettes, sur une esthétique avant tout visuelle. Il connaît très bien la rue et la difficulté à faire passer un texte. Il a fait des parades devant mille ou deux mille personnes. C’est pourquoi il a pensé à ces proscéniums qui enferment un peu le public. On a travaillé avec des matériaux locaux, notamment la tara qui est une espèce de bambou. On s’est aussi attaché à reposer l’oreille du spectateur par des images, des chants, de la musique. Il y avait une nécessité de dynamiser ce texte, lui donner de la vie.
Les musiques et les chants ont été créés au moment du spectacle ?
La musique a été composée par des musiciens qui travaillent aussi pour le ballet national et une vraie griote : Maritou Kouyaté, qui est de la même famille que l’auteur.
La pièce est historique, mais il y a une inventivité dans les costumes et une harmonie chromatique qui tire le spectacle du côté du mythe.
L’auteur dit au début de son oeuvre qu’il a voulu faire une épopée. On a travaillé avec un plasticien malien, un artiste qui travaille beaucoup pour le cinéma : Abdoulaye Ouologuem. C’est aussi un artisan : tous les costumes ont été fait à la main. Le parti pris était de se rapprocher des récits épiques. C’est pourquoi c’est très uni : il n’y avait pas à l’époque tous ces motifs comme le bogolan, il n’y avait pas de relief, tout était blanc ou ocre. Et l’on raconte que Samory était tout de blanc vêtu…

///Article N° : 817

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