entretien d’Olivier Barlet avec Henri Duparc (Côte d’Ivoire)

Ouagadougou, Fespaco, février 1997
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Vous connaissez de grosses difficultés de financement…
Les contraintes de financement que nous avons maintenant sont de loin plus restrictives que celles que nous avions il y a vingt ans. Depuis trois ans, aucune chaîne de télévision ne diffusent nos films : c’est un manque à gagner car on réfléchit en termes d’audimat. L’exigence de dépenser l’argent en France posée par les institutions me fait poser la question pourquoi on m’en donne : autant ouvrir un crédit au laboratoire ! D’autres organismes ne commencent à nous verser l’argent qu’au premier jour de tournage, ce qui nous oblige à faire appel à des crédits bancaires hors de prix pour ce qui est à dépenser avant. On finit par se demander si on ne veut pas nous empêcher de réussir dans ce métier. Après quatre ou cinq films à succès, on devrait pouvoir lâcher du lest pour certains et ne pas mettre tout le monde dans le même panier. Je comprends qu’on soit exigeant par rapport à un jeune qui fait sa première expérience, mais que l’on donne plus de liberté et de possibilités à ceux qui ont une certaine expérience pour aller un peu plus en avant.
Ce n’est pas trop épuisant ?
C’est vraiment fatiguant. En France un film sert de tremplin pour le second, pas en Afrique. Même après Bal Poussière, j’ai repris les démarches à zéro.
On a l’impression que le sujet immigration et réalité française ne passe pas…
Le sujet ne passe pas au niveau des bailleurs de fonds appartenant à la fonction publique française, peut-être parce que le sujet est trop sensible pour eux. Mais je ne peux pas m’autocensurer. Le problème de l’immigration en France me gêne autant qu’eux. Moi, il me gêne parce que je me demande ce que ces gens font là-bas : ils feraient mieux de revenir en Afrique. Certains me font honte mais ce n’est pas une raison pour tous les mettre dans le même sac. On ne va pas mettre en prison tous les Libanais d’Afrique parce qu’il y en a un qui a magouillé avec la douane ! Les problèmes de société sont une chose et un individu ne fait pas une entité. J’ai rencontré pas mal d’obstacles pour mon film, mais je les contourne : à défaut de développer mon film à Paris, je vais le faire au Maroc. On ne peut empêcher un créateur de créer sous prétexte de l’image qu’on se donne de la chose. La presse française peut me démolir, c’est une autre affaire, mais j’ai l’habitude !
Qu’est-ce qui vous intéresse dans le sujet ?
Rue Princesse était un film sur les prostituées : je ne leur jettait pas la pierre. Une prostituée est une femme qui a ses émotions, ses amours… J’ai essayé de les traiter d’une façon différente, de montrer qu’elles peuvent être aimables, et qu’elles ne font ce métier que parce qu’il y a une demande. Je peux faire le trottoir, ce sera sans succès. Le problème est chez les hommes. C’est le même problème pour ce film. En France, personne dans le paysage politique ne s’arrête pour discuter avec un immigré, pour l’écouter et comprendre que cet homme a quelque chose à dire. Mon histoire d’immigré, c’est un homme très sympathique qui fait parfois le con, mais pas pour donner de lui une image négative. Il arrive à tout homme de faire le con ! Je cherche aussi à montrer que l’image que se fait le Français de France de l’immigré est fausse.
Vous êtes vous-même d’origine guinéenne vivant en Côte d’Ivoire.
Si je refuse les appellations de cinéma sénégalais, ivoirien etc, c’est un peu à cause de mon parcours personnel, mais aussi parce que je crois sincèrement que si on veut construire l’Afrique, ce n’est pas en créant des petites entités. L’Afrique aura bientôt 700 millions d’habitants. Unis, ils peuvent beaucoup. Je préfère dire cinéaste africain que de préciser l’origine. Mes sujets ne sont jamais propres à un pays donné, c’est peut-être pour cela qu’ils marchent partout.
Des sujets sociaux accommodés avec de l’humour semble être une sauce qui marche. Pourquoi ce type de cinéma populaire est-il si rare ?
Parce qu’on dit : je vais faire du cinéma burkinabè, lequel ne peut intéresser que le Burkina. Nous avons tant de sujets propres à tout le continent africain… Donnons d’abord de la soupe africaine à un public qui mange de la soupe américaine, avant de s’intéresser à nos cultures spécifiques. Mes films sont connus dans toute l’Afrique et les gens courent le voir à Abidjan comme à Conakry, Libreville ou Douala simplement en sachant que c’est moi qui les ai fait !
Vous aviez vous-même ouvert une salle à Abidjan, le Pharaon.
La dévaluation a rendu son exploitation impossible. Je ne pouvais plus acquérir de nouveaux films qui avaient doublé de prix alors que je ne voulais pas passer des films ayant déjà fait le tour d’Abidjan. Si j’avais eu un distributeur pour des films en exclusivité, je n’aurais pas fermé. J’ai perdu trop d’argent ; je n’en parle même plus ! Il faudrait une structure pour sortir de l’isolement. Cela ne bougera que si il y a une volonté politique, mais on l’attend encore.
Vous pensez à un organisme panafricain ?
Je reste sceptique sur la valeur d’un organisme comme le CIDC : on ne peut créer un organisme pour le seul cinéma africain ; ce ne serait pas viable car la production n’est pas suffisante. Par contre, il faudrait qu’une harmonisation entre les pays se mette en place en termes de production. Les coproductions avec l’étranger sont nécessaires, mais si chaque Etat achetait les droits de diffusion, cela ferait une mise de fonds permettant de négocier équitablement avec des producteurs étrangers. Et la télévision nationale aurait des films africains à programmer !
Au lieu d’attendre qu’ils passent sur Canal France International.
CFI, c’est la plus grande roublardise du siècle ! Pourquoi les télévisions s’impliqueraient-elles puisqu’elles ont ainsi les films gratuitement ?

///Article N° : 2484

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