entretien d’Olivier Barlet avec Lionel Cousin

Chef opérateur français, sur le tournage de La Genèse

Hombori, février 1997
Print Friendly, PDF & Email

Cheick Oumar Sissoko tenait beaucoup à faire ses films sans l’intervention de techniciens étrangers : Nyamanton et Finzan ont été faits avec des équipes entièrement africaines. Puis, on a fait Guimba ensemble, je suppose à la suite de pressions pour la qualité à la commercialisation : une expérience où nous réussissions à mener la technique à un niveau différent influençant le système d’écriture cinématographique. La Genèse ouvre à la confrontation d’un thème commun à deux cultures. Le thème du film est la rivalité des agriculteurs et des nomades, des clans qui se font la guerre, c’est là où le film trouve son actualité. L’opérateur, pour ne pas gêner la maîtrise à laquelle Cheick tient, en reste à sa part technique. On suit le découpage assez scrupuleusement, ce qui était moins le cas sur Guimba où l’on réunissait certaines séquences dans des plans uniques.
Le CNPC trouve un élan formidable dès qu’un film se fait et chacun se forme un peu plus. On achète peu à peu du matériel qui reste ici et qui continue de servir. Et une véritable équipe technique se constitue.
José Laplaine ne savait pas où tourner Macadam Tribu. En cinq semaines, on a pu faire au Mali ce film qui comporte 80 % de nuit, des choses difficiles, peu d’argent. Il n’y a pas un pays au monde où l’on aurait trouvé une structure et des techniciens compétents qui auraient pu permettre de faire ce film avec ce budget. C’est un exemple de ce qu’on peut faire ici. Les accidents étaient dus à la gestion de production française et non à la compétence technique malienne.
Le souci de production domine tout. J’essaye de convaincre chacun de prendre les moyens de l’organisation qui permettrait de se concentrer sur le travail de création artistique. On pourrait gagner beaucoup avec une meilleure organisation en amont. Cheick ayant tout négocié au départ est l’homme-orchestre absolu, vieux schéma valable partout, bien qu’il essaye de déléguer.
Quand on a tourné en Europe après avoir tourné ici, tout semble facile car tout marche. Quand on branche une prise électrique, ça donne du 50 Hz, on règle sa caméra sans devoir tout contrôler comme ici. Le groupe électrogène qui vient de casser et avec lequel j’ai déjà fait plusieurs films est comme un vieillard rafistolé qui tient encore comme par miracle. Il a fallu construire des routes pour l’amener sur des plateaux inaccessibles… Et puis, miracle inespéré, le groupe est là et ronronne ; on branche et on a quelque chose d’approximatif, qui tourne autour du 220 et qu’on cherche à stabiliser par le contrôle. On travaille dans des marges nous donnant le plus de sécurité possible…
Au Mali, on hésite pas à recourir à des techniciens étrangers, notamment burkinabès, comme le chef électricien Hassane Mazou Maïga. Toute l’équipe commence à donner ses assurances : on peut être dégagé des problèmes pratiques et être plus proche du réalisateur, de l’éclairagiste etc.
Quand on avait fait Ta Donna qui est ma première expérience au Mali, on travaillait avec un groupe électrogène soviétique militaire très bruyant qu’il fallait mettre le plus loin possible mais qu’on entendait toujours. En bout de ligne qu’on doublait en parallèle pour ne pas perdre trop de courant, on avait 8 kilos fluctuants contre 20 produits au départ… On n’arrivait pas à régler quoi que ce soit mais on tournait quand même, et cela n’a pas empêché le film d’être sélectionné à Un certain regard et de faire le tour du monde.
Pourquoi l’Afrique ? Parce que c’est une aventure passionnante, sympathique, amusante. J’avais cette envie d’enfance de découvertes et j’ai abandonné la fiction pour le documentaire afin de voyager ainsi. J’avais ainsi été à plusieurs reprises au Mali et Adama Drabo m’a demandé de faire l’image de Ta Donna, qui fut une aventure formidable… C’est à chaque fois le plaisir de participer à une entreprise qui doit toujours se dépasser, et cela dans un pays fantastique où le cinéma est naissant mais où la culture est omniprésente.
Je suis un technicien : chaque opérateur apporte sa part en proposant un axe vis-à-vis de la lumière mais tente avant tout de répondre à la demande du réalisateur. Bien sûr, on aura une complicité plus ou moins grande, parfois des confrontations sur des affaires de logique de prise de vue… Le réalisateur est le créateur en dernière instance et emporte donc la décision. En Afrique, il convient de s’accommoder, de laisser passer des choses qui ne correspondraient pas à son instinct, à sa culture personnelle : la vision est différente ; cela se pose quotidiennement. Nous avons la tête farcie d’audiovisuel alors que l’Afrique n’est pas un monde d’images…
Les conditions pratiques sont terribles : comment faire lorsque la foule de figurants ne vient pas à la même heure que la veille si bien que la lumière est différente, ou comment faire des raccords sur des scènes tournées trop tard et qu’on doit reprendre le lendemain alors que le vent s’est mis à souffler et que la montagne disparaît dans la poussière ? Si des projecteurs tombent en panne, on a pas de remplacement car le budget prévoit au plus court : il faut faire avec et modifier son intention. Pour ces raisons pratiques, on tourne toujours à la même saison, l’hiver quand il n’y a pas de vent, ce qui a pour conséquence de montrer toujours la même vision du Sahel à un extérieur qui s’en fait une image figée de fin de sécheresse… La saison des pluies serait à montrer aussi en adaptant l’écriture.
On parle ici le songhaï, le foulfouldé ou le dogon alors que les techniciens parlent le bambara : il faut donc passer par des interprètes qui n’ont aucune idée du cinéma ! Les problèmes de communication sont énormes mais chacun s’adapte très vite en riant car on demande aux gens des choses complètement illogiques et qu’ils ne comprendront que lorsqu’il verront des films.
Entre techniciens blancs et noirs, la relation est humaine, comme partout. La volonté de réussite du film est énorme et la communion est totale pour mettre les compétences en commun. Emporter le prix dans un festival est un but en soi.

///Article N° : 2543

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire