Avec Ta Dona, j’avais voulu faire un film sur l’environnement avec le problème des feux de brousse. Avant de venir au cinéma, j’étais instituteur et avais donc un certain vécu avec les paysans, ce qui me poussait à vouloir sensibiliser contre ce fléau. Mais le film était aussi marqué par la fermentation de la vie économique et politique dans un Mali dominé par la dictature depuis 23 ans. Ceux qui lisaient le scénario me déconseillaient d’y intégrer cette réalité…
J’ai du mal à faire quelque chose de linéaire : tout est imbriqué. Chaque séquence est une touche de peinture mais un fil conducteur sous-tend le tout, auquel on revient sans cesse. C’est la poésie qui permet d’enchaîner les choses. Cette structure complexe est liée à la façon qu’ont les griots de raconter une histoire. Dans mon enfance, ils m’ont beaucoup marqué par leur manière de régulièrement sortir du conte pour faire le lien avec la réalité. C’est ce que j’ai essayé de faire !
Au Mali, nous sommes très marqués par notre culture et sa richesse. Le verbe est très fort. Les textes bambaras de Guimba (Cheik Oumar Sissoko, 1995), par exemple, sont extraordinaires de force poétique mais leur traduction en français ne peut être qu’un massacre. Nous avons ainsi à notre disposition un sens de l’harmonie et de la poésie couvrant tous les domaines. Le griot est terre à terre et s’évade par degrés vers la spiritualité en une série de va et vient très poétiques.
Dans Ta Dona, le septième canari est la septième vertu d’une plante médicinale apte à guérir chacun, qu’il soit Blanc ou Noir. Si on extrapole, ce n’est pas le médicament en soi mais la vérité qui est universelle. Le chiffre 7 représente chez nous la conjonction de 4, la femme et de 3, l’homme, et est source de vie. Le septième canari est ainsi le médicament qui rend la vie, au sens où il donne vie à la société.
C’était mon premier long métrage où je pouvais vraiment m’exprimer en déjouant la censure de l’Etat de Moussa Traoré, et j’y ai mis toute ma force. Je craignais aussi que ce soit mon dernier film, étant donné le contenu. Je voulais donc tout y mettre, ce qui explique le foisonnement… Mais, heureusement, je ne suis pas mort et cela va me permettre d’aller en profondeur dans l’écriture.
Une uvre d’art est un tout : je ne voudrais pas séparer la thématique et l’écriture. Aujourd’hui, le niveau de maîtrise technique est encore trop bas dans le cinéma africain ! Il ne faut pas se cacher derrière le manque de moyens. Je crois qu’il faut faire avec ce qu’on peut avoir et ne pas rêver. Sinon, c’est mal fait et ça ne rend pas service au film. Il faut trouver les idées qui permettent d’exprimer ce qu’on veut dire avec le budget qu’on a.
Notre génération a ses propres préoccupations et sa manière de filmer. Techniquement, elle sait travailler si elle en a les moyens. La génération précédente s’était contentée de dénoncer, tandis que nous plongeons dans notre société avec le désir de faire bouger et progresser les choses, en phase avec le vent de démocratisation. Je ne pense pas que nous puissions encore faire du cinéma pour le cinéma. Cela viendra plus tard. Nous vivons avec nos sociétés : nous en voyons les problèmes et voulons participer au changement. Les producteurs européens ont leur manière de voir l’Afrique et tentent parfois de détacher les réalisateurs de ce qui se passe dans leur société, alors que nous, nous sommes déchirés et ne pouvons rester insensibles !
Taafe Fanga part d’une légende dogon : l’arrivée des masques sur la terre. Le masque est un attribut des esprits de la falaise. Une femme s’accapare le masque : les hommes prennent peur et les femmes très opprimées en profitent pour reprendre le pouvoir. Dans nos sociétés, quand le masque apparaît, les femmes doivent se cacher. Or c’est par leur action que nous avons le masque aujourd’hui. Tant qu’il y aura cette différence, la femme ne pourra s’émanciper. On peut faire des colloques, le fond ne change pas. Je souhaite que le film soulève le débat.
Il faut aller avec son temps et faire évoluer l’image vers une plus grande fluidité, vers quelque chose de moins figé. Je n’ai pas forcément besoin d’une grue pour cela ! Mais, avec un public marqué par l’image américaine, le rythme ne peut plus être trop lent. On ne peut plus lutter contre cela. Il faudrait intégrer à notre cinéma les qualités du cinéma américain ! Nous sommes encore dans une phase de définition : les choses remuent et c’est passionnant !
Pour cette histoire qui pose un sujet très sensible, la question du pouvoir entre hommes et femmes, il fallait passer par l’humour et l’émotion. Pour cette dernière, il fallait se rapprocher pour capter les expressions, mettre à vif la personnalité des caractères. Dans Ta Donna, les personnages étaient moins campés, le récit étant davantage une quête mystique.
Une fois le film fini, je me suis dit que j’aurais pu me rapprocher parfois davantage… Mais nous sommes confrontés à la lutte contre le soleil, une lumière qui change très vite d’heure en heure, rien d’uniforme comme en Europe. L’unité d’une séquence demande un tournage rapide. On l’assure avec un plan large et lorsque viendraient des plans rapprochés, la lumière a changé…
Pour les scènes de nuit, je ne voulais pas de lampe mais un village éclairé par la lune uniquement. Lionel Cousin a fait un travail magnifique…
J’ai étudié la cosmogonie dogon et l’apprécie, même si après quinze ans d’étude, je ne la saisis pas entièrement car elle est très complexe. J’aurais pu tourner des scènes de falaises à Koulikoro, à 60 km de Bamako… mais j’ai tenu à tourner en pays dogon. Je me suis présenté : Adama Drabo. Le chef dogon m’a demandé si je savais qui j’étais. Je lui ai répondu que je savais être Drabo, venant de la région de Tougan, qui fait partie du Burkina Faso depuis 1949. Il m’a demandé d’où venaient les Drabo. J’étais coincé. Il m’a alors appris que les Drabo étaient des Dogons. Lorsque les Dogons ont quitté le Mandé, l’aîné des huit frères, selon la coutume, a laissé la préséance au plus jeune et est allé s’installer plus loin : sa descendance sont les Drabo. Cela explique sans doute mon attachement à cette culture et ce film est un hommage. Mais c’était la première fois qu’on tournait une fiction en pays dogon, et de plus touchant à un sujet délicat. J’ai fait comprendre aux villageois que je respectais leur culture comme étant aussi la mienne, ce qui leur a permis d’accepter de jouer des scènes aussi inhabituelles.
On me reproche de ne pas avoir gardé le style aérien des trois premiers quarts du film sur la fin. Je dédie ce film aux femmes africaines car je reconnais leur effort et les brimades qu’elles subissent. J’en assume donc la partie didactique pour que le message ne se perde pas dans des considérations artistiques. Percevant ainsi les choses de par ma culture, je voudrais qu’on me permette de l’exprimer ainsi : c’est pour moi la meilleure manière de toucher mon public. Je n’ai pas à me calquer sur une écriture européenne. Je souhaite que ce film change les choses et qu’il soit bien compris.
entretiens réalisés en 1995 et au Fespaco de 1997///Article N° : 2474