Essai

Patrice Nganang, Le principe dissident, Ed. Interlignes, Yaoundé, 2005

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Le Principe dissident de Patrice Nganang est un pamphlet qui ne se lit pas avec les yeux de la tête comme un ânonnement d’écolier. L’écolier que nous fûmes à l’école publique de Nkol-Zibi ou de Ngock-Litouba ou encore de Bagangté, devant Le laboureur et ses enfants de La Fontaine. Il ne se ramasse non plus à la pelle légère d’une lecture-éclair, un ébouriffage évasif de feuilles mortes qui enfoncent l’âme dans le labyrinthe du rêve infécond que chantaient les Gautier de la France lointaine ; mais d’une longue traînée de l’esprit entre les lignes, en proie à l’embouteillage des questionnements. Les mots sont entre ses mains, de vertigineux marteaux qui fragmentent le faux Cameroun actuel pour que naisse le vrai. Ce grand homme de lettres qui se réclame du noble sang de Mongo Beti et de René Philombe, a choisi comme ses maîtres dont la plume ne désillusionne pas, de rouler à contre-courant de la vague des prédateurs de notre pays ; qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs. Notre pays devenu cannibale jusqu’à la charpente des os. Notre pays qui rit du chaos de sa troupe juvénile. Cette jeunesse innocente enrôlée de force dans l’armée d’un tunnel d’incertitudes et qui n’a pour pain quotidien que la flamme de l’errance. « C’est ces jeunes sans avenir que je décris dans mon premier roman La Promesse des fleurs » P.15, nous dit Nganang. Les jeunes sont-ils aussi désoeuvrés au Cameroun ? Posez cette question à un de nos politiciens, il vous accusera d’ingratitude envers l’Etat et, pour vous en persuader davantage, il vous déroulera un chapelet de recrutements militaires et de concours de police, même s’il mesure le poids de la corruption dans la balance interne de ces mascarades étatiques qui aident à dicter la démocratie. Démocratie à laquelle Nganang ne croit pas. Pendant sa conférence à l’université de Yaoundé I, campus auquel l’écrivain François Nkémé a consacré tout un roman dont le titre est : Le Cimetière des bacheliers, il a déclaré devant un parterre d’étudiants et d’enseignants : « Paul Biya est un dictateur ». Chose surprenante ! Personne ne l’a contrefait ! Pas même nos enseignants agrégés de ceci ou de cela et signataires d’une supplication en janvier 2004 dans laquelle ils priaient le chef d’Etat de se re…re…représenter aux élections présidentielles ; et contre laquelle s’insurge Nganang. Un enseignant l’a même béni de dire très haut le murmure des bureaux et l’a qualifié de « voix des sans voix » selon la célèbre phrase de Césaire. Pour le Grand prix littéraire d’Afrique noire, « le plus important, le plus attendu, n’a pas encore eu lieu : la chute du régime de Paul Biya ». Marcellin Mvounda Etoa, modérateur et par ailleurs enseignant de l’université hôte, l’a traité de « diseur de vérité » entre les youyous des étudiants qui n’ont pas masqué leur indignation face à cette incompréhensible ondoyance des enseignants qui savent bien jouer à « l’hypocrisie politique ». En tout cas « la culture ventriloquente de nos compatriotes » ne nous surprend plus. Et c’est ici que réside le danger de toute république car « cette disparition de l’opposition est le plus grand danger qui puisse exister »p.26. La diversité d’opinions s’efface pour un système monocorde qui rythme tout à son gré et vous inonde d’une cargaison d’images frivoles, d’images fragiles, d’images abracadabrantes à l’exemple du « ronron de notre paix ». Ce 07 mai 2005, l’écrivain a déploré les conditions d’étude dans les universités camerounaises. Il a fait remarquer aux étudiants qu’à son époque, dans les années 90, les études étaient gratuites et les étudiants, boursiers, les restaurants, aménagés… ; malgré l’exiguïté des moyens dont disposait l’Etat à cette époque. D’après lui, rien ne justifie la régression politique, économique et sociale de notre pays. Comment donc parler de paix si le peuple est prostitué ? Comment parler de paix dans un pays où le pillage est légitimé par l’impunité ? Comment parler de paix quand le pousseur du marché Mokolo « notre Sisyphe national » promène dans ses poches un baccalauréat, une licence, une maîtrise ou même un diplôme d’ingénieur des travaux publics ? Comment parler de paix si « nos pères, nos mères, nos sœurs (…) ploient sous l’écrasante dictature de notre pays, ces gens que personne ne voit jamais (…) qui sont obligés de faire des pas de danse avec la mort ? ». Comment ? Oui ! Comment parler de paix si la magie de nos mots « ne transformera jamais un loup en agneau ? » quand un écrivain camerounais « ne rêve pas qu’un des dictateurs de nos républiques bananières qui le préoccupe tant, disons Paul Biya, tremble de honte et devienne démocrate après avoir lu un livre qui lui montre le visage hideux de son collège de crimes, par exemple : En attendant le vote des bêtes sauvages ? »P.42. non ! Il n’y a pas de paix possible dans la jungle camerounaise ! Notre prétendue paix n’est qu’un « ronron », une monotonie oh combien ennuyeuse !
Le Grand Prix littéraire de l’Afrique Noire pousse plus loin sa réflexion. A travers un pont d’arguments, il réussit à relier Yaoundé à Abidjan. Ainsi revient-il en 1990, pendant les années de braise où il est né à l’université de Yaoundé, une sorte de foyer de rébellion : le parlement qui aurait pu faire d’un leader estudiantin comme Senfo Tonkam, un Guillaume Soro ou un Blé Goudé issus eux, de la Sorbonne, sorte de parlement des étudiants ivoiriens. L’écrivain s’interroge : « Comment penser à la révolte parlementaire des années de braise, sans voir cette autre révolte qui fit imploser un beau soir la toute aussi paisible Côte-d’Ivoire de Houphouët-Boigny à laquelle notre pays est si similaire ? ». Cette question pourrait se poser autrement : comment penser à la révolte sorbonique dans les rues ivoiriennes, sans voir cette autre révolte qui fera imploser un jour le tout aussi paisible Cameroun de Paul Biya auquel nous appartenons tous ? En réalité, il n’y a pas de paix chez nous et tout le monde le sait. C’est la peur de la guerre qui nous étreint. C’est avec le dieu bourgeois des églises que le peuple se dépeuple, qu’il se peuple d’espérance, qu’il tombe, qu’il se relève, qu’il attend depuis une éternité, la fin de cette ennuyeuse éternité de quatre mandats et le début d’une ère neuve. En attendant ce grand jour, souvenons-nous que « nous vivons avec les monstres qui frappent à notre porte (…) nous vivons à la lisière du cauchemar »p.19.
Heureusement ! Nous avons le tribunal de l’écriture pour juger et punir les méchants, nous avons entre la plume et la feuille, la hache des mots pour charcuter la barbarie. C’est pour cela que la vie aura toujours une valeur chez nous, en dépit de « l’incertitude » à laquelle « nous livrent » « les Biya » « en s’enrichissant »  » avec le soutien, comme on sait, de la France, qui, là, comme d’ailleurs au Rwanda, aura trempé dans un meurtre de masse »p20.
Patrice Nganang n’écrit donc pas pour plaire au roi un peu comme les Rhétoriqueurs du XVIe siècle français. Il ne pratique pas l’écriture de la flagornerie banale, l’écriture de la main tendue comme ceux qu’ils qualifient de « griots littéraires » dans son interview au journal Mutations N°1370 du jeudi 24 mars 2005.
Ah ! Si vous l’aviez vu ! Sa petite taille d’environ 1,70 mètres, sa corpulence de grand combattant, son sourire supérieur épuré de toute hypocrisie et relevé par une paire de lunettes. Ces espèces de jumelles qui lisent l’avenir et le disent avec conscience ; surtout son humilité et sa simplicité !

///Article N° : 4226

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