Produire ou se produire en Afrique est difficile, si bien que des vagues entières de jeunes talents, partant du continent et armés de tous les espoirs, se laissent aspirer par les vents de l’immigration chaque année vers les capitales européennes. De galère en galère…
Habib Konaté, Malien, musicien, résume sa » tragédie du voyage » comme il l’appelle : » On débarque à Paris en exigeant de la destinée qu’elle nous donne tout ce qu’elle nous a refusé là-bas. Tous ces mots auxquels parfois on ne pige rien par manque d’habitude… producteur, tourneur, manager, studio… on a envie soudain de les saisir à bras-le-corps. Les premiers jours, on croit que tout est possible. Ici, la culture s’affiche partout. Et pas par mimétisme, mais parce que c’est un business comme un autre. Un artiste doit rapporter de l’argent et en gagner. Il est écouté, lorsqu’il a du talent, encadré, estimé, respecté. Enfin, se dit-on, la vie va nous sourire… « .
» Mais c’est là que commence le parcours du combattant « , ajoute-t-il. » Car les places sont chères. La galère des débuts nous enfonce dans une véritable jungle. Problèmes de papier, besoin de fric, travail au noir, petits boulots… à la longue, on ne trouve plus le temps de rêver. Généralement, on comprend assez vite que les lumières de Paris ne sont que des illusions. Qu’ici comme là-bas, il faut se battre. Que ce n’est pas parce qu’il existe des structures professionnelles, que tout fonctionne facilement pour un jeune artiste « . Si c’était le cas, on le saurait, affirment les gens du métier. Seydou est Burkinabè, il est venu en France il y a cinq ans pour apprendre le métier de producteur de spectacle. Pour vivre, il fait des chantiers dans le bâtiment. » La galère, c’est rien. On s’y habitue. Mon but, affirme-t-il, n’est pas de rester ici. Moi, je n’ai pas eu l’occasion de pousser plus loin dans mes études. Tout ce que je sais, je l’ai appris sur le tas. Et un jour, je me suis convaincu que séjourner dans une ville comme Paris, qui attire les cultures du monde entier, me permettrait de voir les choses autrement. Je suis là pour l’expérience. Ne serait-ce qu’au niveau des contacts. Le meilleur moyen pour se rencontrer entre deux Africains est souvent Paris. Le meilleur chemin entre Abidjan et Moroni, c’est aussi Paris. Si demain je me lance dans le métier de la production au pays, j’aurais des ouvertures vers l’étranger grâce à toutes les relations professionnelles que je me serais faites ici. Et il y aussi l’environnement professionnel qui joue. Voir dans quelles conditions techniques les gens travaillent ici me permet de penser que je mettrai la barre très haut à mon retour chez moi « .
Tout le monde n’est pas aussi enthousiaste. Mohamed Laroui est Marocain. Il est comédien, étudiant en arts du spectacle à l’université de Paris X-Nanterre et parle, lui, de politique. » Je ne compte pas rentrer tout de suite après mon diplôme. Là-bas, j’aurais peut-être l’estime d’une certaine élite, si je travaille bien. Mais je n’aurais pas la possibilité de continuer ce métier longtemps, à moins d’une chance inouïe. Ce à quoi je me destine n’est peut-être pas politiquement correct là-bas. On me mettrait vite sous les barreaux. Je crois que le mieux pour nous, quand on a eu la chance de venir dans ces pays occidentaux et qu’on a un peu de talent, est d’abord d’établir une bonne carrière ici. Quand la profession, le public, les médias nous saluent à l’étranger, cela force le respect des nôtres quand on revient au pays. Le public suit, les politiques se méfient mais ne dérapent pas… On a une certaine liberté pour y travailler. Il faut donc à mon avis y retourner uniquement quand tout va bien. Sinon, c’est peine perdue. Je connais beaucoup de copains qui sont rentrés et qui ont fini par trouver un boulot dans l’administration ou dans le privé, sans pouvoir continuer leur rêve « .
Alphonse Ngoupeyou, Camerounais, est plasticien. Il pense que le nerf de la guerre est ailleurs. Pour lui, la réponse est dans le manque de moyens. » Dans nos pays, on n’encourage pas un artiste. Il n’y aucune volonté politique à ce niveau-là. Ce n’est pas nouveau. Mais quand je vois ce que rapporte la musique ou le théâtre à New-York, à Londres ou à Paris, je me dis qu’il nous faudrait une volonté économique. Beaucoup d’étudiants africains apprennent la gestion d’entreprise en Europe. Lorsqu’ils rentrent au pays, ils préfèrent l’administration, l’argent facile, etc. Je crois que c’est cette jeunesse-là pourtant qui trouvera une réponse aux métiers de la productions culturelle chez nous. S’il se rendaient compte que tout le monde ne peut devenir ministre, que la création peut être un secteur économiquement viable, les choses changeraient. Il ne s’agit pas de se couper du monde. Mais comme ils ont été ici, ils ont vu comment ça se passait professionnellement. En rentrant, ils pourraient se lancer dans le business culturel, monter les structures adéquates, créer un marché. Mais non, tout le monde préfère en rentrant gagner de l’argent facilement et être calife à la place du calife. Parmi les produits africains, toutes catégories confondues, qui marchent en Occident, le culturel a une bonne place. Mais ce sont des producteurs et des marchands étrangers à l’Afrique qui fructifient ce potentiel. Le pire, c’est que ça marche… Et en tant qu’artiste, je ne devrais peut-être pas tenir un tel langage. Mais parfois, il faut dire les choses telles qu’elles sont… Je ne demande pas au président de mon pays de m’apprécier, je demande à mes compatriotes entrepreneurs de me faire aimer… au monde entier «
Edmon, malgache, est musicien-danseur. De passage en France, il pense qu’Alphonse a raison. » De toutes les façons, les données changent de plus en plus. On n’est plus obligé de se déplacer pour tenter sa chance à tout prix dans une capitale occidentale. Les artistes africains qui réussissent en Europe sont de deux sortes maintenant. La première tendance est complètement intégrée au paysage culturel d’ici. Ils n’ont pas toujours la place qu’ils méritent, mais ils sont acceptés. Leur vie est ici depuis au moins vingt ou trente ans. Ils produisent une culture écartelée, entre deux rives, qui n’est pas toujours aussi authentique qu’on voudrait le croire. L’autre tendance, de plus en plus sollicitée, est en Afrique et dans l’Océan Indien. Sur place. Elle est ancrée dans le terroir. Les producteurs et les tourneurs font aujourd’hui appel à ceux-là. D’abord parce qu’ils coûtent relativement moins cher qu’un Manu Dibango, ensuite parce qu’ils paraissent plus vrais, plus roots. On les amène ici, on les fait tourner et on les ramène là-bas. Et je pense que si personne n’organise cette nouvelle manne, si nos homme d’affaires n’investissent pas dans ce milieu de la création, s’ils ne risquent pas leur argent dans cette entreprise, les générations futures parleront encore une fois du pillage de l’Afrique et de l’Océan Indien. S’il y avait eu de bon courtiers, africains et conscients de leurs intérêts, à l’époque où l’on pillait l’Art nègre en toute impunité, les choses se seraient passées autrement « . Tout le reste ne serait que donc… que littératures.
///Article N° : 626