Festival Kaay Fecc 2003 : une réussite spectaculaire

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Du 30 mai au 7 juin, Dakar a accueilli la seconde édition du festival international de danse Kaay Fecc. Initiée par des chorégraphes et danseurs d’origine africaine, cette manifestation a dépassé ses promesses. Dans ses dimensions professionnelle, sociale mais aussi esthétique et conviviale, Kaay Kecc s’est révélé une plate-forme d’une qualité remarquable. Qui marque une nouvelle reconnaissance politique de la danse au Sénégal.

Le festival Kaay Fecc (prononcez  » Kaï Fetch « ) a créé la surprise. Une vraie et stimulante surprise. Il y a deux ans, sa première édition avait déjà remporté un étonnant succès au regard de ses moyens limités et de son équipe inexpérimentée. A l’origine de ce projet, une poignée de jeunes danseurs et chorégraphes d’origine africaine, résidant à Dakar, bien décidés à se battre pour la reconnaissance de la danse et le statut des artistes au Sénégal.  » …dans le monde et chaque jour davantage, l’influence culturelle de l’Afrique se répand : des artistes du monde entier y sont de plus en plus sensibles. C’est pourquoi pour favoriser la formation professionnelle des artistes et pour permettre des créations modernes tout en conservant à notre danse ses caractéristiques propres, nous danseurs et chorégraphes, enseignants et théoriciens, nous tous, nous voulons voir stimulés à la fois le marché et la créativité. Aussi avons-nous voulu une manifestation ici, chez nous : ce sera Kaay Fecc, festival international de danse qui célébrera la création sous toutes ses formes « , écrivait ainsi l’équipe dirigeante en préambule de la première édition.
Deux ans plus tard, le chemin parcouru est considérable. Le festival est non seulement passé d’un statut amateur à un professionnalisme remarquable mais il s’affirme aussi comme l’une des initiatives culturelles privées les plus ambitieuses en Afrique francophone ces dernières années.
Un festival populaire
Il existe encore peu de festivals de danse internationaux sur le continent africain. Si la danse se pratique cependant partout, en milieu rural comme urbain, au cœur de la vie sociale, paradoxalement elle peine à être reconnue comme un art à part entière, susceptible de professionnalisation et d’évolution. L’un des objectifs de l’association Kaay Fecc est de changer cet état de fait au Sénégal, notamment par une sensibilisation du grand public.
Pour cela, le festival a choisi d’être un rendez-vous populaire, une sorte de grande fête  » de toutes les danses  » où chacun, quels que soient son origine et son milieu social, est convié (d’où le nom de la manifestation qui signifie en wolof  » Viens danser « ). 
Pour parvenir à toucher le public le plus large possible, le festival a choisi de ne pas se cantonner à des lieux institutionnels. A coté des très officiels Théâtre National Daniel Sorano et du Centre culturel Français où se déroulaient la majorité des représentations, c’est dans le quartier populaire de la Médina, à la Maison de la Culture Douta Seck, que battait le cœur du festival grâce à un village très convivial animé par des artisans et une large scène en plein air. Et sans doute parce que cela ne suffisait pas pour atteindre un nouveau public, peu habitué aux salles de spectacle, Kaay Fecc n’a pas hésité à s’aventurer plus avant dans les quartiers. En donnant, sur des places de Pikine, Dalifort ou HLM Fass, des démonstrations enflammées de sabar (danse extrêmement vivante et populaire au Sénégal) et de simb (jeu traditionnel du faux-lion) dans une ambiance de fête déchaînée.
 » S’il ne se déplace pas, c’est à nous d’aller vers le public, de lui donner envie de découvrir d’autres spectacles, d’autres danses, affirme Nganti Towo, la directrice du festival. Nous essayons de participer à son éducation artistique. Notamment en le sensibilisant au respect des œuvres et des artistes, en lui apprenant à ne pas photographier au flash ou à respecter l’interdiction de filmer. C’est difficile car à la base en Afrique, le spectacle intègre tout le monde. Ce n’est pas la même notion qu’en Occident. L’idéal serait d’avoir une scène mobile qui nous permettrait de montrer des spectacles de création à des publics très éloignés.  »
En attendant un tel équipement, Kaay Fecc mise sur la gratuité de tous les spectacles et sur une forte communication médiatique, particulièrement à la télévision. Et cela fonctionne. Salles combles, village animé jusque tard dans la nuit, émotion fébrile aux soirées d’ouverture et de clôture, le public a répondu nombreux à l’appel. Et à observer sa diversité – beaucoup de jeunes mais aussi des familles qu’elles soient sénégalaises ou d’expatriés – le rôle social d’un tel festival saute aux yeux. Un enjeu que l’équipe du festival revendique haut et fort et qui irrigue l’ensemble de la manifestation.
Réconcilier les danses et les publics
Alors que la grande majorité des opérateurs culturels tend à opposer des catégories distinctes : tradition et modernité, amateurs et professionnels, danses populaires et danses de création, le parti pris de Kaay Fecc est au contraire de les réunir. Cela constitue l’un des engagements et des attraits les plus forts du festival. Difficile en effet d’imaginer programmation plus éclectique : danses contemporaines européenne et africaine, ballets néo-traditionnels, danse-théâtre, spectacles d’enfants… et même  » danse de sensibilisation « , comme l’on parle de théâtre de sensibilisation, sur le thème du sida.
Au total, 31 spectacles qui ont non seulement donné lieu à un étonnant foisonnement de démarches, de styles, d’origines et d’âges mais qui ont aussi prouvé qu’il est possible de réconcilier les danses et les publics. Les Dakarois sont venus aussi nombreux applaudir le très contemporain et cérébral O. More du Franco-Guyano-Vietnamien Bernardo Montet que les ballets néo-traditionnels Sinomew et Bakalama. Quant aux compagnies enfantines sénégalaises, ‘Les Etincelles’et ‘Les Dofs de la danse’, elles n’ont pas fait de la simple figuration… Etonnamment à l’aise et présents sur scène, leurs danseurs en herbe (entre 8 et 18 ans) ont bousculé et conquis le public. En s’inspirant notamment du quotidien des enfants des rues de Dakar, leurs spectacles n’avaient rien de convenu.
Dans le domaine de la recherche chorégraphique, cinq compagnies africaines ont présenté des pièces aussi différentes dans leur esthétique que dans leur propos. Avec Bujuman (qui signifie en wolof ‘clochard ‘), la compagnie sénégalaise 5ème Dimension (dont le chorégraphe Jean Tamba est aussi le directeur artistique du festival) explore l’aliénation de l’homme dans la société moderne. Dans un décor apocalyptique, le sol et les murs de la scène étant entièrement couverts de rebus (fripes, sacs et bouteilles en plastique), quatre danseurs (dont la lumineuse Simone Gomis) et deux musiciens expriment l’expérience de la marginalisation et du rejet de la société. Si la chorégraphie et la scénographie ne manquent pas d’originalité, dommage que la dramaturgie de la pièce se dilue. Cela n’empêche pas quelques scènes très percutantes, notamment lorsque, à travers la gestuelle, la détresse rejoint le burlesque.
Si Jean Tamba a choisi une esthétique de l’accumulation, Andreya Ouamba, autre figure reconnue de la danse contemporaine au Sénégal (ce chorégraphe d’origine congolaise vit depuis quatre ans à Dakar), opte à contrario pour un total dépouillement. Dans Pression, sa gestuelle sculpturale très personnelle – à la fois lente, ample et désarticulée – atteint une expressivité aiguë. Mais là encore, on peut regretter une faiblesse dramaturgique. Les tableaux se succèdent hélas sans lisibilité pour le spectateur.
Enfin, Marianne Niox, autre référence à Dakar, s’essaye dans Cabaret Show à la fusion entre esthétique du cabaret et certaines danses traditionnelles sénégalaises. Cofondatrice du festival il y a deux ans, cette artiste polono-camerounaise s’est finalement retirée du comité d’organisation. Très critique à l’égard de l’évolution de la danse en Afrique, Marianne Niox redoute un certain fourvoiement des chorégraphes :  » Le contemporain n’est pas une technique mais un assemblage de techniques, prévient-elle. C’est le fruit de tout un cursus. Or, en Afrique, on veut brûler les étapes. C’est dangereux. J’ai le sentiment que l’on veut nous acculturer en nous faisant croire que la danse, c’est le contemporain. Même si notre public ne s’y retrouve pas. Je suis contre ce mensonge ; il va finir par nous mener dans une impasse. Cette danse ne correspond pas à notre vécu.  »
Cette inquiétude, beaucoup de danseurs la partagent en Afrique, notamment au Burkina Faso. Originaire de ce pays, Auguste Ouedraogo est l’un des jeunes chorégraphes-interprètes les plus prometteurs de sa génération. Sa pièce Buudu ou le songe du peuple, présentée en clôture du festival, renvoie à ce questionnement. Ainsi en guise d’introduction écrit-il :  » Prendre conscience des héritages que nous devons conserver pour défendre les développements culturels, économiques et spirituels futurs, savoir ce qu’est et était mon peuple, avant de penser à ce qu’il veut devenir.  » Trio masculin qui n’est pas sans rappeler celui de la compagnie phare burkinabè Salia Ni Seydou dans la pièce Figninto, Buudu revisite les mythes, les coutumes et les rites mossis. A noter son habile construction et sa chorégraphie d’une extrême précision.
La palme du raffinement et de l’inventivité revient cependant à la compagnie cap-verdienne Raiz Di Polon. Avec CV Matrix 25 et le savoureux duo féminin Duas Sem Tres, le chorégraphe Mano Preto signe deux bijoux d’originalité et de justesse. Tant dans leurs trouvailles scénographiques (branchages que les danseuses ramassent comme les femmes le font traditionnellement, structure en bois polymorphe, aspirateur qui se transforme en micro de scène, etc.), musicales (la présence sur scène de l’excellente chanteuse et guitariste Sara Tavares ainsi qu’une large utilisation du patrimoine musical cap-verdien) que chorégraphiques, ces deux pièces témoignent non seulement d’une écriture très maîtrisée mais aussi d’un ancrage profond dans la culture populaire insulaire.
La programmation de cette seconde édition s’est donc distinguée par sa diversité et sa qualité. A ce titre le Ballet sénégalais Takku Liggey a parfaitement incarné la philosophie du festival. Cette troupe issue du Centre des handicapes moteurs de Mbour rassemble 25 artistes valides et handicapes. Leur spectacle Yewu a été l’un des moments les plus intenses du festival. Non seulement par sa qualité esthétique et professionnelle mais aussi par la force de son message social :  »  Le handicap, c’est le regard des autres  » résume le slogan de la troupe. Ces danseurs a part entière ont donné une formidable leçon d’art et de vie à chacun. En les intégrant normalement à la programmation, Kaay Fecc affirme a la fois son rôle d’intégration sociale et une spécificité africaine par rapport aux manifestations occidentales.
Reconnaissance politique
C’est cette maturité artistique et philosophique qui fait de Kaay Fecc une réussite spectaculaire. Enfin un festival culturel en Afrique qui rivalise avec le professionnalisme de ceux du Nord tout en revendiquant une approche spécifique qui ne se contente pas de plagier le modèle occidental ! Cette prouesse, on la doit en grande partie à la petite équipe qui a rêvé puis créé le festival. Notamment à deux femmes qui ont su inventer, prendre des risques, convaincre.
Nganti Towo, directrice, et Gassirah Diagne, administratrice, ont un parcours similaire. Métisses par leurs origines franco-africaines comme par leur nomadisme professionnel (toutes deux ont vécu aux Etats-Unis et en France avant de s’établir au Sénégal), ces trentenaires battantes et émancipées sont avant tout passionnées par la danse. Mais leurs études supérieures et leur bagage intellectuel, qui font souvent défaut aux artistes sur le continent, leur a permis de s’aventurer avec succès dans l’entreprenariat culturel. Et d’insuffler un nouvel esprit à leur manifestation.
Tout d’abord, en obtenant une réelle implication des pouvoirs publics sénégalais. Ainsi la Mairie de Dakar et la Présidence de la République comptent parmi les principaux sponsors de cette seconde édition. Un appui exceptionnel qui a énormément contribué à la qualité et au professionnalisme du festival.  » C’est une grande première en Afrique, convient Nganti Towo. Le Sénégal est notre premier partenaire en terme financier. C’est très important. Cela montre que l’on nous fait confiance. C’est un déclic pour la reconnaissance des artistes au Sénégal.  »
A l’origine de ce soutien, le coup de cœur de Syndiély Wade, la fille du président sénégalais, pour le concept de Kaay Fecc. En adhérant au projet, elle a permis a l’équipe du festival d’accéder à un certain nombre de services. A l’arrivée, le réel succès de Kaay Fecc a réveillé bien des espoirs.  » Nous avons montré qu’un vrai professionnalisme est possible en Afrique. C’est la plus grande réussite du festival. Cela nous donne une grande confiance. La danse et la culture en général peuvent être des outils de développement. Il est temps que les gouvernements s’en aperçoivent  « , estime l’administratrice Gassirah Diagne.
Pour tenir ses promesses, le festival a choisi d’être biennal. Ce qui n’empêche pas l’association Kaay Fecc de mener de nombreuses activités entre deux éditions. Sessions de formation pour danseurs, projet de création avec le Ballet Takku Liggey, accueil en résidence de chorégraphes étrangers : c’est un véritable pôle d’activités dédiées à la danse qui se constitue donc actuellement au Sénégal. Une façon de poursuivre une histoire interrompue avec la fermeture, à la fin des années 80, de la première école de danse panafricaine, Mudra Afrique, créée par Maurice Béjart à Dakar. Aujourd’hui, la danse est plus que jamais vivante au Sénégal, portée par une jeune génération d’artistes africains, conscients plus que jamais de la valeur culturelle du continent.

LES COMPAGNIES INVITEES
Bernardo Montet (France) ; Raiz Di Polon (Cap-Vert) ; Dance Factory National Theatre (Ghana) ; Editta Braun (Autriche) ; Nyata-Nyata (Congo-Canada) ; Savog (Togo-Allemagne) ; Fist And Heel Dance Company, Reggie Wilson (USA) ; Matteo Moles (Belgique) ; Szerelem (France) ; Ta (Burkina Faso) ;
1er Temps, Andreya Ouamba ; Artea ; 5e Dimension ; Takku Liguey ; Ballet Kibaro Baleya ; Troupe Théatrale Nouveau Né ; Les Etincelles ; Davidson Boys ; Les Dofs de la Danse ; Théatre de l’Espace Sobo Bade ; Pasteef ; Ballet Sinomew ; Onye & Doudou ; Bakalama ;Yeel’Art ; Ballet Africa Matimbo ; Troupe Bassari Zingtag ; Troupe Fissourou de Moudery ; Etoiles Boys ; Ballet Kolaam Sereer ; Ballets Africains de Sangomar (Sénégal).
CONTACT : Association Kaay Fecc – BP 12828 Dakar Sénégal – Tel : (221) 820 06 20 – Fax : (221) 869 55 84 – E-Mail : [email protected] – site web : www.au-senegal.com/kaayfecc////Article N° : 3145

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Les images de l'article
Compagnie Bakalama © Antoine Tempé
© Antoine Tempé
Cabaret Show, spectacle de Mariane Niox
Duas Sem Tres, Compagnie Raiz di Polon © Antoine Tempé
Nganti Towo, directrice du festival Kaay Fecc © A.M





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