Installé dans un des quartiers périphériques de Dakar Saré est devenu au fil des années un des réparateurs d’appareils les plus recherchés du Sénégal. Technicien émérite, passionné de tout ce qui touche à l’image, sa faculté d’adapter l’appareil au contexte d’utilisation africain n’a d’égal que son sens de la synthèse et de la récup.
Comment devient-on réparateur d’appareils photo au Sénégal ?
Pour ma part, un peu par hasard. Tout a commencé en 1981 lorsque j’étais étudiant. Je venais d’avoir mon bac technique série E avec mention. Je devais sortir du pays mais ma demande de bourse était partie beaucoup trop tard. J’ai dû m’inscrire à l’université Cheikh Anta Diop à Dakar, en mathsphysique. Cela me convenait. J’étais un fanatique de bricolage et j’avais des notions techniques assez solides. Je m’étais acheté un vieux « Zénith » mais ne l’utilisais pratiquement pas. Au cour d’une sortie à la plage, il est tombé à l’eau. Je l’ai amené chez plusieurs réparateurs à Dakar : ils m’ont tous dit qu’il était mort. Je me disais que ce n’était que de la mécanique alors je l’ai ouvert. Je suis resté plus de seize heures dessus. Le lendemain, j’ai fait un test et il fonctionnait. A la fac, beaucoup d’étudiants se plaignaient de leurs appareils en panne sans savoir où les amener. J’ai mis devant ma porte : « Zénith ». Et ce fut la ruée. En général, les pannes étaient toujours les mêmes : objectif, optique, vitesse, diaphragme. Avec l’arrivée des Coréens au Sénégal, les laboratoires de développement rapide ont poussé comme des champignons. J’y ai fait quelques services comme technicien en appareil. A la fin de mes études, j’ai travaillé dans le laboratoire de Salla Casset, un des grand portraitiste du pays. Gratuitement. Quand j’ai appris qu’il se faisait de l’argent sur mon dos, cela ne m’a pas vraiment affecté parce que j’avais été gagné par la passion. J’ai longtemps hésité avant d’ouvrir un atelier en 1987. Je ne savais si je pouvais commercialiser ce savoir. J’ai été voir un des vieux réparateur du Sénégal, le plus célèbre, le vieux Cheikh Mbaye qui habite toujours dans la banlieue de Dakar à Thiaroye. Je me suis rendu compte que j’en savais plus que lui. J’étais un intellectuel, j’avais fait de l’électronique. Et puis je suivais l’évolution technologique des appareils à travers différentes revues comme « Chasseurs d’images » ou « Photographie ». A cette époque, les gens avaient des difficultés à faire réparer leurs appareils. Jusqu’en 1998, je réparais en moyenne 10 appareils par jour. J’ai plus de 3000 carcasses dans mon atelier et j’en ai 200 environ chez moi. J’ai formé quatre gosses qui ont leurs ateliers.
Comment exercer un métier quand il se fonde sur un milieu comme la photographie qui à Dakar est régit par les lois de l’informel ?
Un peu de la même façon. En jouant sur l’informel. Ici, la réparation d’appareils photo c’est comme quand vous allez faire réparer votre voiture. Il n’y a pas de représentant de pièces au Sénégal. Alors on fait avec. J’achète un lot de carcasses. Et puis je fais des symbioses. Souvent, il faut revoir le pignon, le rideau. Ce genre de pièce est souvent faite de la même façon. Par exemple, les Yashika et les Contax ont pas mal de pièces interchangeables. Au niveau des rideaux surtout. On peut également le changer avec celui du Nikkon F801. Celui du Canon T60 peut être changé par celui du Pentax ME. Pour les objectifs c’est pareil. Les lentilles frontales d’un Canon 1/117 peuvent se changer avec celles du Pentax 50 mn. Parfois les appareils que je remets paraissent plus neufs qu’à leur arrivée. Qu’il s’agisse d’un Minolta ou d’un Canon, je prends la coupole d’un Pentax. Le rideau d’un Nikkon, le pignon d’un Contax etc
En sommes, c’est « vous me filez une 2CV et j’en fais une Ferrari ».
C’est un peu ça. Et quand je ne trouve pas les pièces dans les carcasses, je fais un prototype que je confie au bijoutier ou au mouleur. J’ai un ami informaticien qui m’aide parfois à les concevoir sur ordinateur. Certains appareils présentent des pannes chroniques devenues des normes. Les Olympus, par exemple, ne déclenchent pas certains flashs. En suivant l’itinéraire de déclenchement, j’ai remarqué qu’il s’agissait d’un composant, un diode régresseur, qu’il suffisait de changer pour que n’importe quel flash puisse s’adapter. Le climat aussi est important. Par exemple, le Canon EOS 500 digère difficilement les batteries an dessus de 30 °. Elles ne tiennent pas deux jours avec la chaleur. Il suffit d’ablater la mémoire pour qu’elles puissent tenir au moins deux mois. C’est une sorte de tropicalisation des appareils. Il faut les adapter au contexte
Pourquoi n’avoir jamais songé à développer votre entreprise, à la perfectionner ? Tout le monde semble vous y avoir poussé !
C’est que je n’ai jamais mis l’accent sur le côté lucratif. Je facture en fonction de la délicatesse de l’intervention et du profil de l’utilisateur. Je suis un passionné et je réagis à son degré de passion. Pour moi, ce qui est important c’est de trouver la panne. Sinon je suis torturé. Je fais des recherches et je peux rester des jours sur un petite panne. C’est vrai que mon entourage m’a souvent reproché ce laxisme. Mais même s’il y a beaucoup de photographes à Dakar, ce n’est plus forcément un marché porteur. Avant les gens n’avaient pas facilement la possibilité d’avoir des appareils et l’emmenaient systématiquement chez le réparateur dès qu’il y avait un problème. Maintenant, c’est un ou deux appareils par jour voir pas du tout. On continue à m’appeler dans les régions, mais un appareil ne me rapporte qu’entre 3000 à 5000 FCFA (30 à 50 FF). C’est pourquoi, actuellement je me suis mis à faire de la vidéo. Il n’y a pas énormément de différences. L’appareil fixe l’instant, la caméra le fait se succéder. Pour une caméra, je peux avoir de 80 à 150 000 FCFA. J’ai un peu travaillé sur des appareils numériques aussi, mais les gens n’en utilisent pas encore beaucoup. Si ce secteur se développe je n’hésiterai pas, parce que j’aime tout ce qui touche à l’image.
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