Le mystère du néologisme de cette fiction où le mouvement l’emporte sur les lieux invite le lecteur à chercher du côté des tropiques et plus précisément des îles de La Réunion et de Madagascar, ce mythique lieu « au-delà de la géographie » (6) où l’on retrouve ses racines tout en restant libre de courir le monde. Si la question (comme le mot) semble complexe, le ton intimiste de la première personne, l’emboîtement des aventures, les trajectoires des personnages et la galerie infinie de petits portraits garantissent une traversée de ce texte en une seule et passionnante étape. Le narrateur, malgache comme l’auteur, écrivain, fait du surf à La Réunion où il a suivi B., dont il ne décrira que les yeux, deux saphirs. Il donne d’abord une sorte de chronique de surfeur au Pic avec des descriptions précises des figures dans les vagues et des amateurs parfois surpris par la mort. Les vagues, dans leur flux et leur reflux, leur danger et leur attrait, par la succession de la vie et de la mort, offrent le motif d’une histoire qui s’organise ensuite comme on ouvre des boîtes gigognes. Le narrateur reconstitue, à partir de ses carnets, l’histoire de « l’autre » (95), du « petit » (76) Andy, grâce auquel il a rencontré B. à Madagascar et qui « croyait tellement à ce lien avec la terre qu’il y est resté. À jamais » (76). Le récit retourne à Paris, parmi les étudiants que sont alors B. et Andy, reprend intégralement le journal que celui-ci tient lors de sa quête dans la région forestière reculée des Zafimaniry (sur laquelle l’auteur vient de publier Zafimaniry intime) puis, reprenant son point de vue, décrit les derniers jours du jeune homme terrassé par le choléra avant de revenir dans le présent de l’écriture, au point d’aboutissement réunionnais qui, après cette longue traversée, se transformera en nouveau point de départ (ou de retour). Une circulation donc des uns et des autres, une apparente dispersion avec des récits qui paraissent des chemins de traverse au long desquels surgissent tant (trop ?) de personnages secondaires. Si le lecteur se laisse par moments transporter sur le spot réunionnais, dans le brouillard de la forêt ou parmi les aventuriers du saphir de l’Ouest malgache, la distance imposée par la construction rétroactive l’aide à voir dans ces étapes pittoresques les signes d’une quête de sens partagée par Andy le mort et le narrateur, le vivant. Unis par la terre malgache dont ils se sont éloignés, l’amour des mots, les références littéraires (Rabearivelo, Laferrière et bien d’autres) et B., ils partagent le besoin de se reconstruire. Dès l’ouverture, le narrateur reconnaît sa dette : « sans lui, je ne serais pas là » (7). Ce double dont il revisite la brève vie et qui lui a presque légué B. comme les vagues qu’il traverse malgré le danger lui laissent une « leçon » : « Lorsqu’on bouge, on perd une place et on gagne celle de déplacé. Une inconnue. [ ] Je m’accroche à la paroi avec ces lignes. Porter l’empreinte de mes racines tout en déployant mes ailes, pour que de place en place je me retrouve moi-même » (195). Bien sûr, ce narrateur est en grande partie le porte-parole de l’auteur qui offre ici son premier long texte après avoir publié de nombreuses nouvelles dans des recueils collectifs. Un texte, on l’aura compris, dont les multiples fils se croisent, dans lequel les registres se superposent pour en faire à la fois un hymne à l’amour et à la littérature, une réflexion sur l’exil, une peinture pointilliste des sociétés malgache et réunionnaise et une représentation métaphorique d’un monde ouvert dans lequel chacun traverse sa vie de vague en vague, d’ivresse en danger.
6 décembre 2010.
Voir l’entretien entre Johary Ravaloson et Dominique Ranaivoson sur le site d’Africultures :[ici]///Article N° : 9851