La deuxième édition du festival Cines del Sur s’est déroulée du 30 mai au 7 juin 2008 à Grenade en Espagne : un festival jeune, né au coeur de l’Andalousie pour ouvrir le goût du public aux mille et une visions du monde.
Si Cines del Sur a été créé en 2007 à Grenade, en Andalousie, c’était pour ouvrir une fenêtre sur les cinématographies d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, comme beaucoup d’autres festivals internationaux dédiés aux trois continents du Sud. La direction du festival – le directeur José Sánchez-Montes et les deux programmeurs Alberto Elena et Casimiro Torreiro – s’est tourné en priorité vers un public régional, sans omettre de promouvoir les échanges internationaux entre festivals et professionnels du secteur (réalisateurs, acteurs, producteurs).
Malgré la présence dans le jury officiel de deux femmes africaines – la réalisatrice marocaine Yasmine Kassari et l’actrice sénégalaise Fatoumata Coulibaly – le palmarès du festival a plutôt primé des films d’Asie et d’Amérique Latine en attribuant l’Alhambra d’or (50.000 euros pour le film et 20.000 euros pour le distributeur espagnol) à Jogo de cena realisé par le brésilien Eduardo Coutinho, l’Alhambra d’argent (30.000 euros) à Frozen du réalisateur indien Shivajee Chandrabhushan (qui a également reçu le Prix du public) et l’Alhambra de bronze – Prix Spécial du Jury – à We Went to Wonderland de la réalisatrice chinoise Xiaolu Guo.
Cette absence de l’Afrique renvoie aux difficultés des cinéastes africains et l’impasse dans laquelle se trouve la production cinématographique du continent, mais est aussi un signe de la complète autonomie d’un jury qui n’a pas privilégié une stratégie d’équilibre entre continents que l’on retrouve souvent dans les festivals dédiés aux cinématographies du Sud.
Dommage certes pour des films comme Fi intidar Pasolini (En attendant Pasolini) du marocain Daoud Aoulad-Syad, qui convainc par son regard cinéphilique et nostalgique entre Italie et Maroc, ou Confessions of a Gambler de l’écrivaine et réalisatrice sud-africaine Rayda Jacobs, première oeuvre anticonformiste et féministe sur la communauté musulmane de Cape Town, interprétée par la même réalisatrice. Mais le grand absent du palmarès est surtout le dernier film du réalisateur égyptien Yousry Nasrallah, Genenet al Asmak (L’Aquarium), dont les qualités s’imposent : la délicatesse et la profondeur des tons, l’insolite et inquiétante vision nocturne du Caire, le jeu des miroirs entre désirs refoulés et conformisme social, le recul esthétique opéré à travers la citation du mélo à la Sirk, la narration visionnaire et elliptique d’un des grands talents du cinéma égyptien.
Dans la section Mediterráneos, par contre, l’Afrique revient avec le beau long métrage de réalisatrice marocaine Izza Genini, Nûba d’or et de lumière, un documentaire magique sur la musique andalouse dans le bassin méditerranéen : une musique qui plonge ses racines dans l’Espagne arabo-musulmane et étend ses rameaux à travers le Maghreb et le Moyen Orient, en construisant un pont de paix au-delà des différentes cultures et religions (musulmane, juive, chrétienne). Le Prix Mediterráneos, soutenu par l’Andalusian Radio and Television Group (RTVA), offre, outre sa dotation de 6000 euros, l’acquisition des droits télévisuels pour la diffusion du film sur la chaîne RTVA.
Les autres sections du festival donnaient à voir nombre de films africains ou de films ayant comme sujet l’Afrique, notamment Le Chaos (Heya fawda), le dernier film du grand maître égyptien Youssef Chahine qui vient de disparaître, co-réalisé avec son ami Khaled Youssef, ou bien le Ceddo de Sembène Ousmane (1977), lui aussi récemment disparu. Cines del Sur a également présenté le désormais légendaire documentaire musical Transes (1981) du réalisateur marocain Ahmed El Maanouni, produit à l’époque par la même Izza Genini.
Parmi les regards européens sur l’Afrique, notons celui de la réalisatrice portugaise Teresa Prata qui présente son premier long métrage Terra sonâmbula, sur un enfant à la recherche de sa mère disparue à travers la violence de la guerre civile en Mozambique. Côté documentaire, Retour à Gorée du Français Pierre-Yves Borgeaud, suit le périple de Youssou N’Dour sur les traces des esclaves noirs et de la musique qu’ils ont développée en Amérique. Mais aussi deux récentes productions afro-espagnoles. Le docu-fiction Princesa de Africa de Juan Laguna se penche sur la vie quotidienne d’une couple mixte espagnol-sénégalais et les rêves croisés d’une danseuse espagnole qui découvre l’Afrique et d’une jeune danseuse sénégalaise qui découvre l’Europe. Gabriela Gutiérez Dewar et Sally Gutiérez Dewar choisissent une narration plus classique dans Tapologo pour documenter le programme de lutte contre le sida menée par une association de femmes sud-africaines.
Les défis de la globalisation, la richesse du métissage culturel, les problèmes et les espoirs des migrations vers les rivages européens ont été abordés grâce à la grande section rétrospective El Sueño de Europa (Le rêve de l’Europe) en une quinzaine de titres, de Traversées (Mahmoud Ben Mahmoud, 1982) à Paris, la métisse (2005), en passant par des films d’Afrique (Le Cri du cur de Idrissa Ouédraogo, L’Enfant endormi de Yasmine Kassari, Mémoires d’immigrés, l’héritage maghrébin de Yamina Benguigui) ou de la diaspora noire en Grande-Bretagne (Babymother de Julian Henriques) et en Europe (les comédies de l’intégration du réalisateur hollandais Albert ter Heerdt).
La rétrospective a été accompagnée aussi d’un livre : El sueño de Europa : cine y migraciones desde el Sur (Dreams of Europe : Cinema and Migrations from the South), écrit par José Enrique Monterde et édité par Cines del Sur en version bilingue, espagnol et anglais (Madrid, Ocho y Medio/Consejería de Cultura/Filmoteca de Andalucía, 2008, 582 pp.). Une publication très utile, qui aborde le sujet à travers un regard croisé entre géographie, histoire et approche thématique et qui offre, en plus, deux riches annexes (filmographie et bibliographie).
En guise de conclusion, je ne peux que souhaiter une bonne continuation à un festival qui bouge et qui a su vaincre le premier défi : fidéliser un public attentif et nombreux (les entrées ont plus que doublé par rapport à la première édition de 2007). La route est tracée et Cines del Sur peut continuer à travailler sur la qualité et la variété, sans oublier la présence de la critique et des professionnels internationaux pour élargir les potentialités de ce festival prometteur.
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