Hagati Yacu, jusqu’au Rwanda : entre nous, pour eux, pour vous

Par la compagnie UZ et coutumes

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Entre nous tout au long d’une journée, avec trois rendez-vous et trois espaces pour se rencontrer. Un spectacle en trois parties qui va jusqu’au Rwanda, jusqu’à rejoindre celles et ceux qui ont tout perdu pendant les cent jours de 1994, parce qu’entre nous, il est interdit de perdre la mémoire. Entre nous les vivants et le souvenir des morts, lorsque le théâtre offre une sépulture / poème aux abandonnés.

Hagati Yacu, en rwandais ça veut dire « entre nous ». Hagati Yacu c’est un poème urbain en trois actes. C’était au festival d’Uzeste. Poème urbain de la guerre du soleil et de la mélancolie lit-on en sous-titre. Le propos est précis, il s’agit du génocide des Tutsis au Rwanda. Assister à ce spectacle si tant est qu’on puisse parler de spectacle, est une expérience bouleversante. Bouleversante sur le plan des sentiments bien sûr, mais également sur le plan intellectuel. Le récit se structure en trois chapitres, trois épisodes dans des lieux différents et à des heures différentes. Le rapport au temps et à l’espace ainsi créé illustre parfaitement pour le temps les longs processus qui, depuis 1959, ont conduit à ce massacre éclair de près d’un million de victimes en 1994 et les différents espaces évoquent évidemment l’exil, la mosaïque aléatoire des territoires, l’inconsistance des repères.
Chapitre premier, premier rendez-vous, les spectateurs sont réunis devant la mairie d’Uzeste. Un acteur les accueille et les mène vers l’endroit du récit. Dans un paisible jardin entouré de murets de pierres se refermant comme un piège, à l’ombre d’un figuier, on s’installe dans un décor minimaliste, entre nous, comme sur la place d’un village. Dans le silence, entre nous. « Le plus dur c’est de dire au revoir ». Le silence se brise, lui aussi. Des voix se répondent. Chacun porte un morceau du drame qui se construit inexorablement. Même si « on doit traverser », même si il y a déjà un « autre côté », on se ressemble encore. La précarité, l’urgence, la sourde menace d’un lendemain effroyable forcent une réflexion épurée de tout superflu ; ne rien oublier, le sens de l’objet. Dans un désarroi commun, chacun cultive la même angoisse, avec pour chacun une expression différente exacerbant les névroses. Le groupe se fissure. Qui suis-je ? Qui es-tu ? « De quel pays viens-tu ? ».
Quelques heures plus tard on se retrouve pour le deuxième chapitre. « En 1994 que faisiez-vous ? ». Des voix fusent d’un micro-trottoir, aussi diverses que les questions qu’elles suscitent : les relais de la presse internationale, le kilomètre sentimental, la banalisation de l’horreur, les jeux et enjeux politiques, ou comment donner quitus à une majorité silencieuse indispensable à une poignée de monstres hurlants. « Dieu est avec nous ». Où ? Avec qui ? A côté, le voisin, proximité et lieux communs, lien social rassurant. Voisin, non-voisin ? Jeux de miroirs Voisin-voisin, de quel côté du miroir le monstre va-t-il contempler son reflet ? Le cadre se réduit, la ligne de séparation est tracée définitivement. Roi sur l’échiquier, l’indispensable leader charismatique s’avance d’une case servant à ses pions une terminologie appropriée à déshumaniser l’ennemi désigné : « réjouissons-nous mes amis, les cafards exterminés ». Ils sortent, laissant les spectateurs devant les premiers cadavres de ce deuxième acte.
Pour le dernier épisode, on se retrouve en fin d’après-midi. On sait que c’est pour la dernière fois, pour l’inéluctable massacre. Sans rien enlever à la douleur, l’art fera son office. Dire l’indicible, montrer ce qu’on ne peut regarder, avec un immense respect et une parfaite dignité. L’univers a basculé dans une folie où le pantin, suspendu à ses seules certitudes, tire les ficelles. La folie est exponentielle. Le pantin, comme d’autres pantins avant lui, veut faire disparaître les hommes et en effacer le souvenir. Le récit est visuel. Sur des bandes de papier blanc d’une vingtaine de mètres, des corps enduits de peinture se meuvent lentement dans une étrange chorégraphie laissant l’empreinte de leur souffrance comme ultime message. Noir, blanc, rouge, sculptures calligraphes, leurs poses expriment les dernières forces vitales qui les poussent à aller vers une mort sur laquelle elles auront encore gagné quelques centimètres de cette bande de papier. Dernier geste d’amour, pour l’humanité, pour son éternité.
Les applaudissements étaient lourds. Ils disaient la gratitude du public pour ce merveilleux travail. Les applaudissements, ce n’était pas comme au spectacle. Ecriture, théâtre, danse, performance, vidéo tout était au service du sujet. Ce qui fait souvent une œuvre artistique c’est la manière dont le sujet est traité et non le sujet en lui-même. Même s’il y a identification, le public conserve une distance. Là, au fil de ces trois épisodes, le public a vécu le récit, perdant toute distance. Là, tout le savoir-faire des artistes, toute la virtuosité des créateurs sont restés en coulisse, l’esthétisme s’est effacé pudiquement pour servir le sujet et rien que le sujet.
Il en résulte une expérience unique, marquante, un moment de vérité en souvenir de ceux qu’on voulait effacer, un moment Entre nous.

Hagati Yacu / Entre Nous
au festival Coup de Chauffe / Cognac
le samedi 7 septembre 2013 à 15 h 30 (épisode 1), 17 h 30 (épisode 2), 20 h (épisode 3)
le dimanche 8 septembre 2013 à 11 h (épisode 1), 15 h (épisode 2), 18 h 15 (épisode 3)
rendez-vous: cour du Lycée Beaulieu.
plus de renseignements: www.avantscene.com

et
Hagati Yacu / Entre Nous
à Saison d’ARTO / Toulouse
le samedi 5 octobre 2013 à 11 h (épisode 1), 15 h (épisode 2) et 19 h (épisode 3)
Rendez-vous métro B Les Minimes / Claude Nougaro.///Article N° : 11761

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