Boualem Sansal a fait une entrée fracassante en littérature avec son premier roman Le Serment des barbares (1999) – une charge virulente contre l’Algérie des Islamistes et du F.L.N. Depuis, il a publié L’arbre fou (2000) et Dis-moi le Paradis (2003). Mais c’est réellement avec Harraga, cette description d’une femme confrontée à l’errance des jeunes Algériens qui rêvent de l’Occident, qu’il retrouve le souffle du Serment des Barbares, enquête d’un vieux policier sur les disparitions en plein attentats islamistes.
Lamia, 35 ans, psychiatre est une vielle fille habitant seule dans une vielle maison familiale. Chaque jour, elle rumine ses souvenirs : celui des parents tous deux décédés, celui de Yacine son frère bien-aimé mort dans un accident de voiture, celui de Louiza, petite sur adorée tuée par un islamiste fanatique. Le seul frère vivant, Sofiane, vient de disparaître. Il est devenu un Harraga, littéralement » un brûleur de route « . Il séjourne à Oran en attendant son départ pour l’Espagne, via le Maroc. Un beau matin, sa petite amie, Chérifa, sonne à la porte de Lamia. Elle l’accueille. Au fil des jours, Lamia découvre que Chérifa attend un enfant de Sofiane. Mais la cohabitation s’avère difficile entre les deux femmes. Lamia est une lettrée à cheval sur les principes et Sofiane une midinette de la génération Star Academy. Commence alors entre les deux femmes une relation en dents de scie, ponctuée de fugues et de retours.
Par-delà la tragédie de Chérifa, c’est toute l’errance de la jeunesse algérienne livrée à elle-même que Boualem Sansal met en scène. Mais par-delà encore le sacrifice d’une jeunesse, c’est toute la misogynie d’une société phallocratique régie par un islamisme fanatique que dénonce le romancier. D’où cette verve langagière tantôt ironique tantôt lyrique, avec des clins d’il à Kateb Yacine, Camus, Boudjedra et Mimouni. Une manière pour l’écrivain algérien de se situer dans une généalogie prestigieuse et irrévérencieuse.
Harraga, de Boualem Sansal, Gallimard, 272 p., 16 ///Article N° : 4259