Hate Radio, la radio de la haine

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La pièce Hate Radio du dramaturge et metteur en scène suisse-allemand Milo Rau était présentée pour la première fois en France à La Villette (Paris, 19e) du 4 au 15 décembre 2012. Elle nous plonge au cœur du génocide rwandais en 1994. En reconstituant une émission de la radio des Mille collines, le spectateur en devient un auditeur, en direct. Glaçant, le spectacle nous amène à réfléchir sur le pouvoir des mots. Des mots qui tuent. Des mots qui ont permis de propager le discours de la haine.

Si on avait cherché un moyen efficace et rapide d’empêcher le génocide au Rwanda, arrêter les émissions de la radio RTLM(1) aurait pu être un bon début.
Tout est dit dans ce préambule de Hate Radio à travers ces mots du journaliste américain Philip Gourevitch.
Sur scène, des portraits vidéo des témoins de l’époque sont projetés. Des rescapés témoignent : « On entendait des choses incroyables », « c’était des mots, c’était irréel », « ils faisaient rire, même les gens qu’ils traquaient ». Le Belge Georges Ruggiu, un des animateurs de la radio rwandaise, qui émit du 8 juillet 1993 au 31 juillet 1994, avoue sa participation active dans le génocide. Casque sur les oreilles, nous les écoutons nous raconter cette époque qui devint tristement historique. C’était il y a dix-huit ans, en avril 1994. L’avion du président Habyarimana était abattu et donnait le signal à cette entreprise de destruction humaine massive qui conduira à l’assassinat de 800 000 à 1 million de Tutsis et de Hutus modérés, en l’espace de cent jours.
Puis, le rideau se lève sur une cage de verre où quatre animateurs de radio, Valérie Bemeriki, le Belge Georges Ruggiu, le très populaire journaliste sportif Habimana Kantano et le DJ (respectivement interprétés par Nancy Nkusi, Sébastien Foucault, Diogène Ntarindwa, Afazali Dewaele) se relaient au micro pour une émission bien particulière.
Durant près d’une heure, dans ce studio de la haine reconstitué minutieusement par le metteur en scène, les animateurs rient, boivent de la bière et fument. Entre informations internationales et sportives, tubes musicaux congolais, américain ou français (Rape Me de Nirvana ou I like to move it de Reel 2 Real), les paroles des animateurs diffusent des messages cachés où « travailler mieux » et « résister » signifie tuer. « Occupez-vous bien des cafards », « surveillez-les et chassez-les », « nous félicitons les gens qui travaillent aux barrières ». La rhétorique des génocidaires qui emploie au départ des périphrases devient au fur et à mesure beaucoup plus explicite. « Si nous ne les tuons pas d’abord, ce sont eux qui nous tueront ». Nous assistons à une entreprise de déshumanisation des uns (Tutsi et Hutu modérés) et à la radicalisation sauvage des autres.
L’auditeur-spectateur écoute, horrifié, cette émission de radio proposer de manière égale des leçons d’histoire sous forme de quizz pour justifier le meurtre et le dernier bulletin sportif. Les acteurs sont la plupart du temps assis derrière leur micro. Parfois, lors d’une pause musicale, ils font quelques pas, échangent des mots que l’on n’entend pas, mais que l’on devine très banals. Au fur et à mesure que l’émission avance, Kantano qui parle uniquement en kinyarwanda (et dont la traduction s’effectue par des sous-titres) paraît de plus en plus excité, voir exalté, pour finir par danser. La succession de toutes ces paroles et la mise en scène rendent compte de cette dichotomie entre vie quotidienne et atrocité meurtrière, entre divertissement et extermination.
Toutes ces paroles sont tirées de retranscriptions des vraies émissions de la radio de l’époque. Milo Rau a fait des recherches durant deux ans pour recueillir la parole des témoins, de rescapés mais également interroger des acteurs de l’époque comme Valérie Bemeriki. Alors qu’elle purge toujours sa peine de prison, elle a pu lui faire une description détaillée du local de la radio. Cette reconstitution très précise fait partie du travail qu’il mène avec l’Institut international du crime politique. Ainsi, il avait déjà monté sur le même principe une pièce mettant en scène les derniers jours du couple Ceausescu en décembre 1989. Un travail de recherche approfondi sur les archives et des interviews de témoins constituent le fondement des projets de l’Institut.
Hate Radio est une tentative de compréhension de l’incompréhensible, une tentative de représenter l’irreprésentable, selon les mots d’Assumpta Mugiraneza, directrice du Centre Iriba pour le Patrimoine multimédia au Rwanda. Chargée après chaque représentation à la Villette d’introduire les rencontres thématiques, en présence d’un invité et des acteurs de la pièce, elles permettent une nécessaire mise en perspective. À l’approche des commémorations de 2014, vingt ans après le génocide, on peut espérer que cette pièce sera jouée à nouveau pour poursuivre ces questionnements face à l’irréparable.

Anaïs Pachabezian

1. ndlr : Radio télévision libre des Mille collines///Article N° : 11218

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