Héritages de la colonisation : Black Lives Matter ravive la controverse à Saint-Louis

La révolution et après ? Une série du magazine Frictions

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Deux visions de l’histoire s’affrontent dès le milieu du 19eme siècle. Saint-Louis ou Ndar, selon celui qui parle, est le théâtre d’une rivalité sur la mémoire liée à la colonisation. Exacerbée ces dernières années, elle est devenue plus vivace avec le mouvement Black Lives Matter puis la mort de l’Afro-américain George Floyd. Reportage de Moussa Diop pour le magazine Frictions dont est partenaire Africultures. 

Vendredi 25 septembre, à l’heure où certains préfèrent se rassembler afin de se tourner vers la Kaaba, une femme et un homme traversent le Pont Faidherbe, passent devant la gouvernance et se retrouvent au milieu d’un chantier gigantesque. « C’est ici », pointe la jeune femme, avec sa voix fluette. Ici, c’est place Faidherbe. C’est l’objet du litige pour Ndeye Coumba Kane, 25 ans, juriste de formation et « activiste et citoyenne » et pour Thierno Dicko, 33 ans, informaticien, activiste et membre fondateur du réseau des blogueurs de Saint-Louis qui regroupe en son sein le mouvement « Faidherbe doit tomber ». Après avoir soulevé la vigilance de quelques ouvriers, de leur chef, d’une ingénieure au format et à la démarche de mannequin dont seules les chaussures de sécurité rappellent qu’elle ne foule pas les podiums d’un défilé, le petit groupe est autorisé après l’aval d’un responsable joint au téléphone depuis Dakar, à entrer dans la place en chantier. Non sans escorte. L’ingénieure aux frêles épaules reste ferme. « Vous n’êtes pas autorisés à prendre des photos du chantier », prévient-elle. On peut la comprendre. A l’intérieur, tout est en chantier. Tout est surtout en retard. Débutés en septembre 2019 pour 20 mois, les travaux n’ont pas beaucoup avancé. Entre parpaings et trous béants creusés, nous slalomons au milieu des engins et grues pour se retrouver devant une stèle sans son objet d’ornement. En effet, la statue de Faidherbe ne toise plus les riverains.

« Epitaphe de la dignité »


Après plusieurs dégradations et actes de vandalisme, comme en novembre 2017, faits par d’autres activistes, elle a été déplacée officiellement pour « travaux ». « Elle est au Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal », précisera plus tard, Fatima Fall Niang, Directrice et Conservatrice du Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal (CRDS). Sur un pan de la stèle : « Né à Lille le 3 juin 1818, élève de l’école Polytechnique, officier du génie, Gouverneur du Sénégal du 16 décembre 1854 au 4 décembre 1861 et du 14 juillet 1863 au 12 juillet 1865 (…) ». Sur un autre côté, « A son gouverneur Faidherbe, le Sénégal reconnaissant – 1886 ». « C’est une épitaphe pour la dignité. Nous devons nous identifier à des références et pas à ceux qui représentent la partie sombre de notre histoire. Ce colonisateur est un auteur de massacres. Je cautionne difficilement l’idée de le célébrer », regrette Ndèye Coumba Kane, la juriste et activiste. Une partie de la rue, bruyante, n’entend plus ces patronymes liés à la colonisation. Brûlante voire bouillante, l’autre s’est lassée de ces sonorités d’un temps révolu.

Les faïences des otages

Comme pour son nom, Saint-Louis ou Ndar, la ville qui fut capitale de l’Afrique occidentale française, une fédération de huit colonies françaises de 1895 à 1958 présente deux facettes liées à l’histoire et à la mémoire. Ici, géographes et urbanistes pourraient se pencher sur le phénomène de « conurbation de marchés ». Ils se juxtaposent pour finir par en former un seul sur près d’un kilomètre. Dès la descente du pont Faidherbe, côté continent, les étales clandestins se succèdent. Les flaques d’eau mélangées au bitume cuisiné aux ardents rayons de soleil grattent les bas-fonds des voies olfactives. Besoin d’air, d’eau. Au loin, un bâtiment vétuste dont l’architecture se démarque du paysage habituel. Des faïences. Un objet de décoration marquant le milieu du XIXe siècle comme une césure historique. Ces fameux ornements marquent depuis plus d’un siècle et demi l’adresse de la célèbre École des otages, créée en 1855 par Faidherbe, le gouverneur de ce qui était la colonie du Sénégal. Elle accueillait, de force, les fils de chefs et de notables locaux afin de les surveiller et les former pour devenir des auxiliaires au pouvoir colonial. Parmi les recrutés, l’opposition de deux marquèrent l’histoire. Il s’agit de celle entre Yoro Diaw Booli Mbodj qui sortira plus tard comme chef de canton ; et de Sidya Diop, Prince du Waalo, un royaume situé dans le nord de l’actuel Sénégal, et fils de la reine Ndatté Yalla, pionnière de la résistance à la colonisation et référente de plusieurs générations de féministes locaux. Les deux promotionnaires ont deux idées différentes de la colonisation. Yoro Diaw Booli Mbodj fut un agent zélé de l’administration coloniale qui participa activement à la répression de la résistance armée du Prince du Waalo Sidya Diop en 1876.

« Continuité historique »

L’opposition des deux est symbolique de ce qui se joue actuellement à Saint-Louis. « C’est une continuité », analyse Fatima Fall Niang, directrice et conservatrice du CRDS qui porte le nom de Yoro Diaw Boly Mbodj, le collabo de la colonisation. L’histoire officielle aurait-elle choisi son camp ? Les secousses qui ont suivi la mort de l’Afro-américain George Floyd et la résurgence du mouvement Black Lives Matter ont renforcé l’antagonisme. « Cela a ravivé les débats sur les symboles coloniaux même si notre combat a débuté depuis 2011 », précise Thierno Dicko. « Pour dénoncer la mort de Floyd, le racisme et par extension les symboles coloniaux, nous avions organisé un sit-in le 9 juin dernier à la Pointe Sud de l’Ile, informe Ndèye Coumba Kane. Il avait été dispersé par la police qui interdisait les rassemblements avec la mise en place des mesures pour lutter contre le Covid-19 ».

Lire la suite de l’article sur Frictions : https://frictions.co/la-revolution-et-apres/heritages-de-la-colonisation-black-lives-matter-ravive-la-controverse-a-saint-louis/

Extrait de la série « La révolution et après ? » : Quand le peuple reprend la parole, et mène sa révolution, dans les quatre coins du monde, on les écoute.

Frictions est une revue littéraire en ligne qui a pour ambition de raconter notre époque mondialisée, au travers de récits, de fictions, de reportages et de podcasts venus du monde entier.

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