En 2002, beaucoup de Malgaches, où qu’ils soient dans le monde, ont pu suivre, à défaut de vivre, la crise politique qui a secoué leur pays. Pour une fois, la circulation de l’information n’a pas été contrôlée grâce à ce média relativement nouveau qu’est Internet. Si on a évoqué, vers la fin de la crise, la réussite d’une « révolution virtuelle « , l’important n’était pas de renverser un dirigeant pour le remplacer par un autre. Il s’agit en vérité d’une révolution culturelle qui a eu lieu sur une nouvelle plate-forme de débat citoyen, où les idées les plus contradictoires et passionnées se sont heurtées.
En 1991, une génération a vu les radio privées s’éclorent dans un contexte politique confus, où les forces vives essayaient de renverser l’Amiral Ratsiraka à la tête de l’Etat depuis 1975. En 2002, une autre génération a participé à une vaste entreprise citoyenne dénonçant ce qu’elle croyait injuste et revendiquant ce qu’elle appelait légitime, jouissant d’une liberté d’expression souvent sans limite sur Internet. Nul besoin d’être un fou du « computer » pour communiquer sur le web. Beaucoup d’utilisateurs ont découvert l’ordinateur dans les cybercafés. Le souffle de l’épopée du web aura permis de balayer certaines réticences en matière de communication et d’expression en public. Une liberté soudaine qui s’explique en partie par le confort de l’anonymat.
Durant la crise politique de l’an 2002, les malgaches ont eu plus que jamais ressenti le besoin d’être informé et surtout de s’échanger des informations. Une petite communauté s’est formée autour d’Internet. Les deux protagonistes de l’élection présidentielle avaient chacun un site Internet qui leur était dédié : www.ratsiraka2001.mg pour Didier Ratsiraka et www.tiako-i-madagasikara.org pour son challenger Marc Ravalomanana. Les sites web des trois quotidiens de la capitale, à savoir Midi-Madagasikara (www.dts.mg/midi), www.Madagascar-tribune.mg, et www.lexpressmada.com, ont aussi été assaillis par les internautes. Un petit portail nommé www.dts.mg qui n’était encore qu’un site web comprenant une vingtaine de pages statiques au début de la crise, s’est aussi lancé dans la diffusion d’informations.
Le portail www.dts.mg de l’époque a été associé à la révolution virtuelle malgache du fait d’un forum de discussion dont le thème « Actualités » recevait des centaines de messages tous les jours. Toutes les opinions y étaient admises, la modération était assez souple. Ce qui a fait la force et en même temps la faiblesse du site. Il y avait des dizaines de messages sans complaisance qui critiquaient directement le site aussi bien pour son forum que pour sa ligne éditoriale. En cette période-là, les internautes étaient politiquement engagés, au point de vouloir connaître l’affinité politique d’un site web.
Ainsi, le portail dts.mg était qualifié de pro-Ratsiraka un jour et partisan de Ravalomanana le lendemain. Et encore, le fournisseur d’accès Internet qui était derrière pris entre deux feux. Dans les rangs du comité de soutien du candidat Ravalomanana, on accusait ouvertement le provider d’un sabotage » perpétré dans le but d’isoler la Grande Ile du reste du monde en matière d’information. Durant cette période, la liaison satellite qui fournissait la bande passante Internet était en réalité perturbée par ce que l’on appelle interférence solaire. La liaison avec l’international était alors impossible durant quelques jours.
Dans les rangs des partisans de l’Amiral, on a fait appel à une autorité française dans le domaine de l’informatique pour faire pression sur le provider malgache. Le problème était simple : les nouveaux responsables du site officiel de Didier Ratsiraka n’avaient pas accès aux fichiers en ligne car le mot de passe n’est pas valide sur un ordinateur avec une adresse IP à l’étranger. De là à crier au sabotage politique, il n’y avait qu’un pas. Entre temps, la personne qui avait le droit de modifier le mot de passe tout comme les paramètres de connexion du site en question a eu des ennuis avec la justice. Finalement, les partisans de l’Amiral ont pu mettre à jour leur site sans se lancer véritablement dans une campagne post-électorale.
Un jeune homme a été tué suite à l’explosion d’une grenade alors que la foule essayait d’installer le « Premier Ministre » Jacques Sylla au Palais de la Primature à Mahazoarivo. Pour une fois, la vitesse de l’information permettait de rendre compte des faits à l’autre bout du monde, sachant que des Malgaches sont connectés presque en permanence. Quelques minutes après, la discussion est entamée sur le forum. Aussitôt, les listes de diffusion, un autre moyen de communication que beaucoup de malgaches ont découvert durant la crise 2002, prennent la relève.
« Les forums sont des endroits de vie où les idées circulent en permanence. Pendant la crise, on ne comptait pas moins d’un millier de messages par jour sur le forum de Tiako-i-Madagasikara.org » rappelle Guy Randrianarison le fondateur du site. Il affirme que « de nombreux sympathisants ont pu se rencontrer sur le forum et mettre en place des actions concrètes pour le pays ». « L’une des forces du site est indéniablement son interactivité, l’information n’est pas à sens unique » ajoute Guy Randrianarison. Pour lui, le forum est un véritable baromètre à même de fournir aux autorités responsables un « feed-back » quasi-instantané sur leurs décisions.
Une des facettes de la révolution culturelle est l’échange d’information via e-mail. L’internaute envoie son information et cette dernière est envoyée à tous ceux qui sont inscris sur la même liste de diffusion. L’intérêt du procédé est d’apprendre des informations non traitées par les médias, ou encore parler de la vie de la nation avec un ton passionné et libéré, loin de la pratique journalistique. Rumeurs, diffamations, vrais scoop, coups d’humeur
les internautes donnaient un net avantage à Marc Ravalomanana, au détriment de Didier Ratsiraka qui faisait l’objet de révélations, non démenties, ternissant son image. Le couronnement de la révolution virtuelle de 2002 serait la grande marche organisée par des citoyens malgaches dans les rues de Paris, fin juin.
Durant ce que l’on appelle communément, la crise malgache, l’Auto-proclamé Président » Marc Ravalomanana et ses supporteurs de l’époque avaient une bataille à livrer contre ce qu’ils qualifiaient de manuvres de désinformation perpétrées par le régime sortant. Les informations officielles venant de la France ont été maintes fois contestées. Le cas malgache a fait l’objet d’une impasse journalistique reconnu quelque mois plus tard dans l’Hexagone. Les journaux télévisés des chaînes publiques françaises étaient plus qu’en retard par rapport aux évolutions de la situation, utilisant explicitement des images d’archives.
L’illustre Patrick Poivre d’Arvor de TF1 s’est même expliqué sur la question. La position de la communauté internationale à propos de la crise malgache était plus que dépendant des médias français. L’offensive est partie du Groupe Serasera malagasy sur Yahoo : « Ce soir sur TF1 (29 avril 2002), PPDA a encore orchestré une symphonie désinformatrice se servant de son pouvoir dans la division Chiraquienne pour faire passer l’héroïsme et la dignité du peuple malgache et de son président élu Marc Ravalomanana pour les principaux instigateurs du chaos qui règne à Madagascar
»
Le célèbre journaliste aurait tout de même tenu à s’expliquer sur le sujet en envoyant une lettre à une dame, missive aussitôt diffusée sur Internet : « Voici exactement le texte de mes propos le 29 avril : « Quatre mois après les élections, la haute cour constitutionnelle malgache a annoncé tout à l’heure que Marc Ravalomanana avait été élu au premier tour de l’élection présidentielle, avec 51,46 % des voix. Aussitôt, une province du Nord favorable au président sortant, a annoncé qu’elle allait déclarer son indépendance. Patrick BOURRAT. »
Il s’ensuivit, durant une courte période, un fort sentiment anti-français. Supporters « naturels » de l’équipe de France, les Malgaches ont presque fêté l’élimination des Bleus de Roger Lemerre à la coupe du monde de football. Paradoxalement, le petit portail dts.mg, celui qui connait la parole à tout le monde, qui facilitait l’accès aux informations a connu des jours moins glorieux vers la fin de la crise. D’abord, il a changé de nom, affichant une marque internationale mais française avant tout, cela à une époque où les Malgaches ne portent pas la France dans leur cur. Le site a diffusé des dépêches de l’AFP traitant de la crise malgache. La révolte s’est vite organisée sur le forum du même site. Les internautes réclamaient la vision malgache des faits. Une campagne contre l’AFP s’ensuivit. Des personnes apparemment avisées ont essayé de dénoncer la manipulation de l’information par ce média du service public de l’Héxagone en communiquant sur Internet des dépêches d’origine et la version corrigée puis diffusée par l’Agence de presse.
Toujours sur le web, la communauté malgache a vigoureusement contesté l’information officielle diffusée à partir de la France. Ce qui révoltait ces internautes-là était le fait d’assimiler le cas malgache à un conflit typiquement africain (guerre civile, milices, lutte pour le pouvoir
) alors que ce qu’il croyait être légitime était déjà devenu, à leurs yeux, légal. Il était alors facile de dénoncer une manipulation de l’information par la France au profit de sa « politique africaine ». La conséquence majeure de cette révolution virtuelle est la prise de conscience par les Malgaches. Désormais, l’ouverture sur le monde ne passe plus, aussi naturellement, par Paris.
Le forum a l’air d’un jeu, mais au fond, c’est beaucoup plus sérieux que cela. Au-delà de la polémique et parfois de l’outrance, il y avait de vraies interrogations et de vraies réponses, un peu d’analyses ainsi que des idées originales
le tout sur la vie et la destinée de la nation. Difficile équation pour le modérateur que celle de vouloir équilibrer les tendances des messages. Les attaques à l’endroit de Didier Ratsiraka étaient nombreuses, tout comme les plébiscites adressées à Marc Ravalomanana. Les internautes malgaches ont communiqué avec un cynisme presque intuitif. Des outrances verbales qui utilisent des mots chargés de sens. L’objectif est simple : que le message puisse provoquer le même effet qu’un coup de marteau sur la main.
Le site Tiako-i-Madagasikara.org a fait éclater à la face du monde, l’ampleur du mouvement populaire porté par Marc Ravalomanana, alors candidat à la Présidence de Madagascar, affirme avec fierté Guy Randrianarison fondateur et webmaster du site. Ainsi, la mise en ligne d’éléments factuels tels que les photos des manifestations rassemblant près d’un million de personnes a montré objectivement au monde entier le soutien massif du peuple à Marc Ravalomanana », devait-il expliquer.
En face, la résistance fait cruellement défaut. Les partisans de l’ancien président Ratsiraka ont ignoré les pouvoirs de l’Internet. Avant la fin de la crise, le traitement de l’information par les médias occidentaux leur était politiquement favorable. La campagne post-électorale a été lancée de façon désorganisée sur Internet suite à quelques initiatives personnelles.
Le microcosme social malgache qui s’exprime sur le web a choisi son camp. Le message était clair : montrer une attitude de révolte vis-à-vis de l’Amiral Ratsiraka d’une part, marquer son adhésion au maire d’Antananarivo qui revendiquait une victoire au premier tour de l’élection présidentielle du 16 décembre 2001. Adhésion que les médias favorables au camp adverse s’étaient évertués à occulter ou à minimiser, entretenant le doute au sein des observateurs et de la presse internationale, fait remarquer Guy Randrianarison.
Le site de Tiako-i-Madagasikara dont les informations sont logiquement partisanes, a fait des efforts pour asseoir sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion. La politique éditoriale visait plus à maintenir la fougue des partisans que de démentir », la presse internationale. Les documents sonores donnant la teneur originale des discours du candidat ont permis d’en limiter les fausses interprétations, souvent sources de déstabilisation des militants, explique Guy Randrianarison.
Durant la crise post-électorale de Madagascar, les joutes entre pro-Ravalomanana et « Ratsirakistes » ont fait partie du quotidien du site web de Tiako-i-Madagasikara. Evidemment, les dérapages sont parfois inévitables, reconnaît Guy Randrianarison. La modération du site se limite à la suppression des messages grossiers ou véhiculant une incitation à la haine raciale. D’un ton victorieux, le fondateur du site savoure aujourd’hui : « parvenir à faire communiquer spontanément entre elles des entités farouchement opposées, c’est encore un miracle de l’Internet !
La vie et l’avis des Malgaches étaient influencés par deux hommes qui ont disputé un bras de fer politique au mépris de l’économie, de la dignité humaine, de la paix et de l’entente sociale que l’on appelle fihavanana. Les « privilégiés » qui ont accès à Internet ont pris des engagements citoyens, pas forcément politiques, auxquels ils n’auraient jamais pensé auparavant. Ils n’avaient pas à faire face à des barrages comme ceux érigés sur les routes nationales ou dans les quartiers d’Antananarivo. Révolution politique ou virtuelle ? Plutôt une révolution culturelle qui a permis de gravir la première marche vers une société ouverte où tout citoyen a droit à la parole. Une révolution douce malgré son agressivité.
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