« Je suis l’enfant de ces îles »

Entretien de Soeuf Elbadawi avec Mikidache

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Mikidache vient de sortir un nouvel opus, Hima (World Connection). Lui aussi participe de la nouvelle génération qui se cherche une destinée entre les Comores et l’Europe. Salué par la critique, élu Découvertes RFI 99, il incarne les espoirs de cette génération d’artistes animée par le désir de renouer avec la mémoire ancestrale, afin de nourrir une expression contemporaine de plus en plus audacieuse.
Sa musique ressemble à ces îles en tous points. Elle est née de la relation entre des peuples, des cultures et des souffles de vie. Son album se lit comme une ode à ce qui a fait la force de ces îles : son ouverture au monde. Il y cultive, sur une dizaine de titres, l’accent du terroir et le rêve du global village à la fois. Servie par la richesse des mélodies, l’album ambitionne d’atteindre une certaine forme d’universalité. Comme il l’affirme lui-même à la fin de cet entretien : « je m’adresse à tout le monde« . Mikidache nous revient ainsi serein, inspiré et plein de conviction, malgré le temps qui passe et les repères qui se perdent. A travers sa musique, les mélanges se complexifient et les influences se renouvellent, à l’instar de cette culture qui fait de lui un Comorien.

Comment vous définiriez-vous aujourd’hui ?
C’est toujours très difficile de se définir, dans le sens où la musique que je fais est assez métissée. Je crois que je fais une musique d’essence africaine. Mais je suis comorien avant tout. Ma culture est faite de plusieurs influences, des influences arabes ou européennes entre autres. Sur le plan musical, nous nous abreuvons à plusieurs sources. Plusieurs rythmes ou encore des mélodies, venus du monde entier, nourrissent par exemple notre patrimoine. C’est donc normal pour moi de faire une musique éclatée avec de multiples influences. J’ai baigné dans la pluralité depuis mon enfance. Par ailleurs, je vis avec mon temps. Aujourd’hui, on échange beaucoup avec le reste du monde grâce aux moyens modernes de communications. Donc j’écoute les musiques de mon temps et ma musique se nourrit elle aussi de ces influences. Il ne faut pas oublier aussi que je vis en partie à Paris et que les musiques sont très présentes dans cette capitale.

Y a-t-il des permanences dans votre musique ?
Il n’y a pas une rythmique unique. Chaque composition correspond à un univers particuliers d’inspiration. Mais la ligne directrice de mes compositions réside – je pense – dans l’approche mélodique. Je suis très attaché à la mélodie. Il y a une unité que j’essaie de travailler en profondeur sur ce plan-là. Ceci étant, je recherche ce que tout artiste désire ou souhaite dans sa création, c’est-à-dire atteindre une certaine émotion. Emotion qui est bien sûr à partager avec le public. La mélodie a ceci d’intéressant d’ailleurs qu’elle permet d’aboutir parfois à une forme d’universalité.

Quel a été votre parcours…
Là aussi, c’est très difficile. On ne peut pas résumer une vie en quelques mots. Disons que j’ai commencé la musique très jeune. A l’adolescence, j’ai eu la chance d’être pris en charge par un sénégalais du nom de Sy, qui avait monté avec ses enfants un groupe de musique aux Comores. On a un peu tourné à l’étranger, sorti un maxi chez Sonodisc à Paris. Par la suite, j’ai repris le chemin des études, le bac, la fac, une vie soit disant normale. En réalité, je travaillais parallèlement mon projet musical. Puis, j’ai fait quelques rencontres qui m’ont permis de sortir mon premier album. Radio France Internationale l’a apprécié et m’a soutenu. Puis, le reste s’est fait tout seul. Comme pour tout artiste, je continue ma route, en espérant donner le meilleur de moi-même.

Par rapport à l’opus précédent, qu’est-ce qui change avec le son de ce nouvel album ?
Il y a une continuité entre le premier et le deuxième album au niveau de l’esprit. Il y a peut-être une différence importance, due au fait que j’ai bénéficié de temps et de moyens pour réaliser le second. Cela se ressent peut-être au niveau des compositions. Avec le premier, on ne savait pas où on allait. Cette fois-ci, les choses sont plus claires. Par ailleurs, j’ai eu la possibilité de collaborer sur ce nouvel album avec quelques artistes de renom. Je parlerais par exemple de Régis Gizavo, l’accordéoniste malgache. Il y a aussi Brice Wouassy, batteur percussionniste camerounais. Je citerais au passage Magic Malik, flûtiste de génie. Je n’oublie pas de citer la présence sur l’album de Minino Garay, percussionniste de folie. Des gens avec qui j’ai pris un réel plaisir à travailler et qui apportent d’autres couleurs musicales à ma création musicale.

Vous parlez de Régis Gizavo l’accordéoniste. Globalement, il y a une influence malgache très perceptible sur quelques uns de vos morceaux, qui va au-delà de vos liens de sang avec Madagascar du côté maternel…
Ce qui me fascine chez les malgaches, c’est une certaine pratique du jeu musical. C’est une musique – je devrais dire musiques au pluriel – très riche. Sans avoir vécu à Madagascar, il s’est trouvé que certaines façons de faire, typiques de cette musique, sont apparus dans mon propre jeu musical. De façon naturelle. Peut-être que les échanges entre ma terre natale et Madagascar y ont été pour quelque chose, peut-être pas. Ce que je sais, c’est que je n’ai pas eu à forcer, ni à chercher longtemps pour que ça sonne parfois malgache. Je n’ai pas imité non plus. Je me suis contenté de jouer des sons qui sortaient du fond de mes tripes. Je les ai d’abord ressenti, avant de les jouer. Et puis, il ne faut pas oublier qu’il existe aujourd’hui une culture de cousinage ou de voisinage que l’on peut appeler « océano-indienne » ou « indianocéane ». Disons qu’on partage un peu la même histoire entre Comoriens, Malgaches, Réunionnais, Mauriciens, Seychellois, etc.

L’histoire justement des relations entre ces îles du sud-ouest de l’océan Indien n’a pas toujours été simple. Si j’insiste par exemple sur les rapports avec Madagascar, c’est aussi parque c’est une île qui revient souvent dans l’imaginaire culturel comorien.
Je ne vois rien d’anormal jusque-là. Je vous dis qu’on a des valeurs à partager entre les gens des îles du sud-ouest de l’océan Indien. D’ailleurs, la politique essaie de renforcer cette donnée. Il y a quelques années, s’est créée une commission de l’océan Indien et une université régionale. Cela va dans le même sens. Nous n’allons pas renier la culture commune. Si vous prenez l’une des chansons du nouvel album, Sure sure, vous allez voir qu’il s’agit d’un langage qui puise à la fois dans le vocabulaire malgache et comorien. Et vous vous rendrez compte qu’on ne peut rien expliquer au fond. Il s’agit en fait d’une comptine d’enfance qui mélangeait les deux cultures et sur laquelle même les adultes ne peuvent avancer aujourd’hui d’explication. On la chante mais ce n’est peut-être pas important de vouloir la charger de commentaires, un peu comme notre culture vivante. A travers elle, il y a une part d’histoire mélangée qui s’exprime. D’ailleurs, j’ai tenu à la laisser aussi brute qu’elle l’était au départ.

Pourtant, les Malgaches n’ont pas laissé que de bons souvenirs aux Comores : on repense encore aux razzias esclavagistes, à l’aventure malheureuse du sultan Andrian Souli à Mayotte et au massacre organisé d’une partie de la communauté comorienne installée à Madagascar en 1976.
Il est peut-être temps justement de panser les plaies et de cultiver ce qui nous réunit.

Une autre histoire est celle de la relation entre Mayotte où vous êtes né et ses îles sœurs…
Je suis mahorais. Je suis né sur cette île, j’ai ensuite vécu à Ngazidja dans un quartier, où vivait beaucoup d’Anjouanais. Je ne vois pas ce qui me différencie d’un Mohélien au sens strict du terme. Je pense que refuser d’être comorien, c’est renier l’Histoire. La culture est là pour témoigner de cette réalité historique. Maintenant, il y a la politique au sens strict, les uns se battent pour rester français, les autres pour être comorien dans les état civils. Si j’ai une carte d’identité française, cela ne m’empêche pas d’avoir une culture comorienne. Après, chacun est libre de voir conjuguer son identité à sa sauce. Un Guyanais est français, caribéen, américain même… Je considère cela comme une richesse. Et je ne renie, ni l’un, ni l’autre de ces éléments. Je suis mahorais. Et parce que je le suis, cela fait de moi un Comorien et un Français à la fois. Je refuse de rentrer dans des polémiques inutiles.

Je vous pose ces questions, parce qu’à votre premier album, on a dit que vous étiez un artiste mahorais d’origine malgache. Ce qui avait choqué le reste de vos fans dans les autres îles de l’Archipel…
Je vais vous raconter une anecdote. Quand vous allez à Mayotte, les gens sont choqués lorsque vous dites que vous êtes comorien. Pour différentes raisons que l’on peut comprendre aisément, beaucoup préfèrent désormais dire Mayotte et les Comores. Si vous allez dans le reste de l’archipel, les gens affirment le contraire sans tenir compte de ce qui s’est passé à Mayotte depuis 27 ans. Je crois qu’il est temps de rediscuter de cette histoire, sans s’insulter, ni rentrer dans les extrémités politiques. En ce qui concerne ma promotion lors du premier album, il se trouve qu’on m’a présenté ainsi mais que je n’avais pas tout à fait réfléchi à cette question. Donc je persiste à croire que je suis un enfant de ces îles. Avec toute la complexité que cela peut représenter pour celui qui ne connaît pas l’histoire de l’archipel.

Vos textes d’ailleurs ont l’air de s’adresser à l’ensemble de l’archipel…
Il faut dire que je m’adresse à tout le monde, y compris à d’autres peuples. Les Africains peuvent se retrouver dans mes textes, comme les Européens ou les Américains. Parler d’amour par exemple est un thème universel. Quand je cause de l’enfance sur le titre Lada ya moina, je m’attaque à un sujet qui n’est pas exclusif aux Comores, ni à Mayotte. Le plaisir d’avoir un enfant dépasse les clivages, tout comme la musique que l’on dit être le langage le plus universel qui soit. Maintenant, je parle aussi à mon peuple sur certains morceaux. Sur le titre éponyme de l’album, Hima, j’en appelle aux forces vives de ces îles à prendre en charge la destinée de leur pays, à ne surtout pas oublier la richesse de la culture qui nous est commune. Culture qui peut nous aider à avancer et qui se situe loin du discours de la division. Que l’on s’entende entre nous pour porter le pays à bouts de bras. Sur Kazatova, titre qui parle de la polygamie, je débute le morceau, en disant : « ô Mahorais, ô Comoriens ». Encore une fois, j’essaie de relier mon île natale à l’ensemble de l’archipel.

1. Le sultan qui a cédé Mayotte à la France. Roitelet malgache, vaincu par l’armée de la reine Ranavalona 1ère, il quitte Madagascar en 1832 et se réfugie à Mayotte auprès du sultan Boina Combo, un allié. Après avoir intrigué contre ce dernier, il prend possession de l’île et la revend le 25 avril 1841 au commandant français Passot contre une rente viagère de 1000 piastres. Une vente entérinée par le roi de France, Louis-Philippe en février 1843.
2. A la suite d’un incident mineur entre deux familles, les Comoriens de Majunga sont attaqués par les Malgaches du 20 au 22 décembre 1976. Plus de 1400 Comoriens sont morts lors de ce massacre et leurs maisons sont pillées et brûlées. Plus de 17 000 d’entre eux sont obligés de rentrer au pays d’origine, la plupart n’y ayant jamais mis les pieds, parce que installés à Madagascar depuis une ou deux générations. Beaucoup partent blessés et ne parlent pas le comorien.
///Article N° : 2532

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