Président de Microsoft en Afrique depuis un an, l’astrophysicien malien Cheick Modibo Diarra, s’est lancé un défi finalement plus ardu que de faire naviguer une sonde de la Terre vers Mars ou Vénus : participer au développement de l’Afrique par le biais des TIC. Il explique pourquoi l’Africain peut être gagnant dans un monde désormais régi non plus seulement par le savoir acquis à l’école, mais aussi par le savoir tacite dans lequel il excelle. Un savoir aujourd’hui recherché par les grandes sociétés comme la NASA et Microsoft. Celui qui se définit comme un « soldat du développement de l’Afrique » égratigne au passage toutes les organisations internationales qui s’émeuvent de la fuite des cerveaux tout « en volant les cerveaux africains » ! Entretien.
On parle du retard de l’Afrique dans le champ du numérique. Comment se manifeste-t-il et dans quelles conditions le continent peut-il rattraper son retard sur les pays développés ou émergents dans le domaine des technologies de l’information et de la communication ?
Les technologies de l’information et de la communication sont simplement des outils permettant aux retardataires de faire un bon qualitatif et même de prendre de l’avance. En effet, les sociétés actuellement les plus avancées ont effectué des investissements initiaux dans les infrastructures et, s’agissant d’une technologie qui bouge très rapidement, de nouvelles formes de cette technologie se manifestent bien avant que ces investissements ne soient amortis. De ce fait, ces pays sont de plus en plus obligés de créer des systèmes hybrides, en construisant sur la base existante et en ajoutant un peu de neuf ; leurs infrastructures n’étant pas amorties, leur démantèlement total n’est pas, en effet, envisageable. Dans ces conditions, nous qui n’avons pas encore bâti nos infrastructures, nous avons, d’entrée de jeu, la possibilité de gagner du terrain en instaurant immédiatement le « dernier cri ». Et comme il s’agit d’une technologie transversale, on peut l’appliquer au commerce, à l’agriculture, faire de la télémédecine ou de l’E-gouvernement. Ces technologies sont incontestablement des accélérateurs potentiels du développement.
Quand on parle de retard, il faut donc considérer deux aspects : technologie et ressources humaines. L’Afrique dispose aujourd’hui de nombreux jeunes très compétents, tout à fait capables d’utiliser ces technologies comme leurs homologues du monde entier ; mais ils vivent dans une région où les investissements n’ont pas suivi, ni dans les infrastructures, ni dans les programmes de recherche. Ainsi, nous bénéficions d’une jeune génération qualifiée, malheureusement pas en mesure, en Afrique, de faire valoir ses compétences
désoeuvrée, en quelque sorte. Ces jeunes tournent en rond ou finissent par aller travailler en dehors du continent. C’est donc bien d’un retard infrastructurel dont nous souffrons. En revanche, sur le plan des ressources humaines, nous possédons les experts nécessaires pour former nos populations.
Comment jugez-vous l’engagement des dirigeants africains eu égard au développement des technologies de l’information et de la communication ? Estimez-vous qu’au-delà des discours, des actions stratégiques sont entreprises ?
Je pense que nos dirigeants sont de bonne foi, mais rencontrent une difficulté : pour une raison que j’ignore, quand ils sont détenteurs d’une idée, ils ne savent pas la transférer aux mains d’experts pour la transformer en projets finançables. Le NEPAD, une idée merveilleuse, illustre parfaitement cet état de fait. Nos dirigeants promènent ce concept de NEPAD, mais n’ont jamais atteint l’étape consistant à procéder à un recensement des compétences susceptibles de les aider à le concrétiser, à transformer leur vision en projets, puis à identifier, à l’échelon mondial, des entités capables de s’associer à la réalisation de ces projets. On en reste au chapitre de l’idée et des discours sans entrevoir la connexion à établir entre le politique, maître de la décision, et le technicien habilité à transposer l’idée en réalité.
Faites le tour des institutions africaines, de l’Union africaine à l’UEMOA en passant par la CEDEAO. Vous n’y trouverez pas une seule banque de données comportant les noms et contacts de l’ensemble des compétences africaines en Afrique et dans la diaspora.
Puis-je vous faire remarquer que Me Wade, dans le premier numéro des Echos de la Banque Mondiale, se plaignait de la rareté des ressources humaines sur le sol africain ?
Je crois qu’il voulait mentionner l’absence de lieux où trouver la liste de ce type de ressources humaines. Et pourtant, la mise en place d’une telle base de données ne prendrait pas plus de six mois et ne coûterait pas plus d’un demi-million de dollars ! Il nous faut nous départir de l’idée que tout est question d’argent, car le coût d’un tel outil est dérisoire tandis que son apport est considérable non seulement pour le NEPAD, mais aussi pour tous les projets de développement dans chaque pays.
Au-delà de cette banque de données des ressources humaines, quelles autres actions stratégiques à court terme préconisez-vous ?
Il est inutile de réinventer la roue ! Dans les années 20, les États-Unis étaient dans un marasme économique et intellectuel incroyable. Ce à quoi le Président Roosevelt a répondu par le « New Deal », en expliquant aux citoyens la nécessité de bâtir des infrastructures pour donner du travail aux Américains. Et aujourd’hui encore, les États-Unis bénéficient de ces ponts, routes, écoles
construits à cette époque. Il nous faut donc, en Afrique, un décideur porteur de cette vision, capable d’y faire adhérer les populations. Cette adhésion est capitale en ce qu’elle protège la vision des changements de régime et plus généralement des aléas politiques ; et les projets à mettre sur pied seront de dimension nationale ou continentale, à moyen ou à long terme et non des initiatives circonstanciées aux calendriers électoraux.
Mais les dirigeants actuels ont-ils un calendrier autre qu’électoral ?
Je sens que ce continent est dans une période de mutation. En tout cas, partout en Afrique, les populations subodorent que quelque chose va se passer dans les prochaines années, avec de nouveaux leaders émergeant de la sphère politique comme de la société civile. De plus en plus, on se rend compte que la seule façon de nous en sortir, c’est de nous prendre en charge et que l’aide extérieure ne peut être qu’un appoint pour accélérer le développement. On voit bien d’ailleurs que l’Afrique s’organise autour d’ONG, de fondations, d’entités civiques locales dans les quartiers et c’est cela qui va constituer l’ossature de ce mouvement en gestation.
Dans cette dynamique, comment percevez-vous le rôle la Banque mondiale ?
Ce qui me désole en réalité, c’est que des agences de développement comme la Banque mondiale ont tendance à travailler avec les gouvernements plutôt qu’avec la société civile. Si ces institutions donnaient aux gouvernements et à la société civile le même accès aux ressources financières – sous forme de prêts ou de dons selon les cas -, l’impact de cet appoint que constitue l’aide extérieure serait plus important et quasi immédiat. Cela donnerait une autre dimension à la coopération.
Les gouvernements posent parfois des problèmes de transparence. Et, quoi qu’il en soit, les procédures sont plus longues et les gouvernants sont sensibles aux échéances électorales. Regardez les problèmes de l’éducation en Afrique. Les enfants ne votant pas, on ne se soucie pas vraiment de ce qui les concerne ; on donne la priorité aux électeurs ! C’est la stratégie des politiques. Mais sur l’autre bord, il y a la société civile, désireuse de mettre en valeur ce que l’Afrique a comme avantage compétitif, c’est-à-dire sa jeunesse. Et développer cette jeunesse devient la responsabilité de la société civile. Or cette dernière n’a pas accès aux ressources et elle ne comprend même pas la langue dans laquelle ces institutions communiquent.
Revenons à vos fonctions de président de Microsoft en Afrique. Envisagez-vous de rendre plus accessible l’ordinateur aux Africains à faible pouvoir d’achat ?
Il faut d’abord préciser que Microsoft ne fabrique pas des ordinateurs, nous n’écrivons que des logiciels. Cela dit, l’accès n’est pas qu’une question de coût, c’est aussi le langage dans lequel ce logiciel fonctionne. Il y a six mois, j’ai présenté au Président de la République du Sénégal, ici même à Dakar, le projet de traduire notre système d’exploitation Windows et notre paquet Office en Wolof (une des principales langues nationales du Sénégal). Nous avons déjà réalisé ces traductions en Zulu, en Swahili et nous travaillons sur dix autres langues africaines. Notre firme joue donc bel et bien sa partition dans le domaine de l’accès.
Au-delà du langage, intervient la capacité d’utiliser l’outil. Dans ce cas précis, Bill Gates, le président de Microsoft, m’a confié, en juillet 2006, la responsabilité de former 45 millions d’Africains d’ici à 2010. Et nous nous y attelons partout avec « Partners in Learning », un programme destiné à donner aux enseignants du primaire et du secondaire les capacités de former leurs élèves dans le domaine des TIC. Existe également notre programme « Unlimited Potential » qui nous permettra de créer et d’équiper des centres de TIC afin de former les personnes dans leur communauté de base.
Bien que ne fabriquant pas d’ordinateurs, nous investissons de l’argent en Afrique dans le domaine de l’éducation en finançant le reconditionnement d’ordinateurs de seconde main – déjà plus d’un million d’unités en ont fait l’objet – dans lesquelles nous insérons gratuitement nos logiciels avant de les mettre gracieusement à la disposition des écoles. Et nous formons parallèlement les enseignants.
Concernant les coûts, la structure de prix de Microsoft varie selon les revenus des pays. À qualité égale, nous vendons nos produits à des prix différents selon le niveau de développement du pays. Mais l’accès relève également de la responsabilité de l’État : fourniture d’électricité, sociétés de télécommunication pour la connectivité, etc. Nous travaillons sur tous ces aspects et sommes d’ailleurs impliqués dans le programme E-School du NEPAD visant à doter 600 000 écoles, urbaines comme villageoises, d’ordinateurs
même là où l’électricité n’est pas distribuée. Et ce, au travers d’un consortium ; Seize pays, dont le Sénégal, ont déjà été choisis pour la phase pilote.
N’est-ce pas un moyen pour Microsoft d’instaurer son monopole sur le continent ?
Nous sommes plus de dix compagnies différentes dans ce consortium ! Et c’est le NEPAD qui a fait appel à nous, sur une base de volontariat. Nous, Microsoft, nous ne cessons de répéter aux États et aux entreprises d’Afrique que la neutralité technologique est la meilleure des stratégies ; qu’il ne faut jamais choisir, de façon exclusive, une firme car la magie de la technologie se trouve dans le logiciel ; et qu’il est impossible de prévoir quel logiciel rendra le meilleur service tant que le service attendu n’a pas été strictement défini. En fait, notre discours est que les États africains devraient plutôt revendiquer une compatibilité totale entre tous les logiciels ; c’est cette interopérabilité qui est importante. Ainsi un gouvernement pourra choisir la plateforme Microsoft pour des projets spécifiques et utiliser d’autres plateformes dans d’autres projets ; mais il faut qu’on lui garantisse que les deux systèmes sont en mesure de communiquer. Microsoft n’est, en aucun cas, à la recherche d’un quelconque monopole., Notre seul intérêt est de produire le meilleur logiciel, en termes de prix, de qualité et de service rendu. Nous souhaitons juste que la qualité prime dans le schéma concurrentiel, avec la possibilité donnée aux acheteurs de changer les produits sans avoir à changer toute leur plateforme. C’est cela notre propos quand nous plaidons pour l’interopérabilité.
On dit de vous que pour exprimer vos sentiments vous parlez le Bambara, que pour procéder à un travail analytique vous recourez au Français et que vous utilisez l’Anglais pour vos entreprises professionnelles. Est-ce à dire qu’en dehors de l’Anglais point de salut pour s’approprier véritablement les TIC ? Quelle place entendez-vous donner aux langues locales dans les TIC ?
En fait, c’est à Bernard Pivot que je disais, dans son émission « Double Je », qu’il s’agissait pour moi d’un « triple Je » car je suis Africain, avec une culture francophone ; j’ai, en effet, étudié en Français en France ; et également en Anglais aux États-Unis. Et toutes ces langues me servent, ayant découvert que le Français est une langue très analytique permettant de disséquer les problèmes ; cependant, quand je dois passer à l’action, je réfléchis en anglais. Mais, lorsqu’il s’agit de leadership, de gestion des ressources humaines, de travail avec mon équipe, alors je pense en Africain, car, là, le but est d’inclure des gens, de leur faire sentir que le patron est concerné par leur bien-être.
Quant aux langues des logiciels, Anglais, Chinois ou Français ne font rien à l’affaire, c’est toujours le même logiciel. Nous avons bien compris que les jeunes travaillant à l’écriture des logiciels dans nos pays manquent de moyens pour investir. C’est pourquoi nous avons créé des interfaces téléchargeables gratuitement dans nos sites et traduisant automatiquement votre écran dans la langue choisie. Nous avons opté pour ce choix,..et je me répète
parce que nous disposons de jeunes très compétents dans le domaine de l’écriture des logiciels. Imaginez que ces jeunes prennent nos plateformes et commencent à produire localement des logiciels, des applications adaptées aux besoins spécifiques de leurs communautés ! Par exemple, le coût de l’alphabétisation des adultes dans les villages les plus reculés est, aujourd’hui, élevé, dans la mesure où il faut leur envoyer des enseignants de partout. J’imagine volontiers de jeunes africains créant un logiciel associant la voix et l’image pour alphabétiser des adultes dans les villages les plus reculés. Ces jeunes feraient alors des affaires, ne serait-ce qu’en vendant ces logiciels au ministère de l’Éducation de leur pays, sans parler d’une utilisation des interfaces de traduction pour les vendre en zulu ou en haoussa dans d’autres pays. On peut, dès lors, résoudre le problème de l’alphabétisation des adultes dans les zones rurales. La langue n’est pas un barrage dans la mondialisation.
Il semble que la Fondation Gates s’investisse, actuellement, aux États-Unis pour changer la manière dont les étudiants accèdent à la connaissance afin de mieux préparer l’avenir. La société Microsoft a-t-elle le même objectif en Afrique ?
Faisons la part des choses. Ces écoles créées en Amérique et en Asie notamment, l’ont été par la Fondation Bill et Melinda Gates, laquelle est totalement indépendante de Microsoft. Nous, personnel de Microsoft, n’avons aucune communication avec la Fondation ; cela risquerait de laisser supposer que Bill Gates utilise sa Fondation pour donner de l’essor à sa compagnie. Aux côtés d’autres, il est actionnaire de Microsoft et propriétaire, avec sa femme, de la Fondation. Les deux structures n’ont rien à voir.
Ce qui nous importe, en tant que compagnie, c’est d’avoir un impact sur l’éducation en Afrique. Pour ce faire, nous avons développé un logiciel « Windows Starter Edition » pour guider une personne utilisant un ordinateur pour la première fois, depuis la présentation de la souris jusqu’à la création d’un site Web personnel !
Avec 45 millions de personnes formées au TIC, 600 000 ordinateurs dans les écoles, c’est une révolution dans la manière d’acquérir le savoir ?
Encore une fois, nous ne produisons que des outils et les utilisateurs en font ce qu’ils veulent. L’outil s’adapte à un système d’éducation traditionnel tout comme il est efficient dans le contexte de systèmes éducatifs plus modernes. Notre rôle n’est pas d’influencer la manière d’enseigner, mais de permettre aux formateurs d’enseigner selon leur méthode. La plupart des gens voient dans la technologie de l’information et de la communication une finalité qui dépasse l’outil ! L’outil n’est pas le déterminant de ce que l’on veut faire, mais une aide à la réalisation d’un projet.
Vous interviewant, il est impensable de ne pas évoquer ce que certains dénomment la « fuite » des cerveaux. À votre avis, les TIC ne favorisent-elles pas, parallèlement, un accroissement du nombre des intellectuels qui, bien que présents physiquement en Afrique, sont continuellement dans des réseaux internationaux n’uvrant pas pour des priorités africaines ?
Pour ma part, je récuse ce terme de « fuite » des cerveaux. Un cerveau fuit pour aller où ? C’est une notion issue des salons ou des grandes institutions onusiennes. La réalité est que personne ne désire quitter son chez soi car rien ne peut remplacer l’odeur du quartier dans lequel on est né !
Il faut créer en Afrique les conditions permettant aux gens – une fois de retour, après avoir investi les ressources de leur famille pour aller acquérir des connaissances -, de mettre ce savoir acquis au service de l’amélioration de leurs conditions de vie et de celles de leurs concitoyens. Qui est fou au point de rester dans un endroit où l’odeur de la terre mouillée par la pluie ne lui inspire rien ? Pour rien au monde je ne serais parti ailleurs si j’avais trouvé dans ma ville de Ségou les moyens de travailler !
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où l’accumulation du savoir est extraordinaire et progresse très vite. Si vous êtes débranché de ce circuit de la connaissance pendant un laps de temps, tout l’investissement placé sur vous devient obsolète. C’est pourquoi il est primordial de se tenir informé et de sauvegarder le savoir acquis en restant connecté à d’autres collègues et d’autres laboratoires grâce aux TIC, dans l’attente que nos décideurs créent cette banque de données dont je parlais ainsi que les projets concrets valorisant le savoir et le savoir-faire acquis par ces ressortissants. Il faut comprendre que les gens doivent gagner leur vie, cela n’a rien de sentimental.
Ne refuse-t-on pas à l’intellectuel africain ce que l’on autorise aux autres, autrement dit le droit de quitter son pays ?
Ils en ont le droit ! Certains cherchent simplement à laisser croire que l’intellectuel africain ne veut pas rester chez lui. C’est faux ! Aller ailleurs n’est pas nécessairement la préférence de l’intellectuel africain. En fait, il y a eu faillite sur toute la ligne, tant au sein des institutions de développement, que des pays qui prennent les décisions. Ils ne créent aucune condition pour que les gens restent chez eux. Regardez les institutions internationales : combien de cerveaux africains sont volés par la Banque mondiale ou par l’Unesco dont je suis l’Ambassadeur ? Regardez ce qui passe dans toutes les institutions de l’ONU. Il faut cesser de prôner une chose et son contraire.
Depuis le 20 février 2006, vous êtes Président de Microsoft en Afrique. Quels rapports entretenez-vous avec Bill Gates ? Quelle est votre appréciation de sa vision de l’Afrique ?
J’ai de très bons rapports avec Bill Gates. Quand j’ai organisé le Forum régional pour l’Afrique, il est non seulement venu en personne, mais accompagné de Bill Clinton. Pendant trois jours, nous avons discuté avec des chefs d’États africains des problèmes sévissant en Afrique pour, notamment, déterminer le rôle que nous pouvions jouer.
Bill est un passionné de l’Afrique. Depuis la création de sa Fondation, il n’a de cesse d’investir 800 à 900 millions de dollars par an dans la lutte contre des maladies qui concernent au premier chef l’Afrique, comme le paludisme, la tuberculose ou le VIH. Et je crois savoir qu’il va également investir dans le secteur de l’eau potable. Mais une fois encore, ce sont des initiatives personnelles de Bill Gates.
Quand vous regardez votre parcours personnel, vous dites-vous que vous avez eu de la chance et que ce parcours est atypique ? Ou estimez-vous : « finalement, n’importe quel jeune Africain aurait pu faire comme moi » ?
C’est un mélange des deux ! Je définis la chance comme le fait de travailler dur pour profiter des opportunités qui se présentent. Il y a deux chances : celle de rencontrer l’opportunité, puis celle d’avoir la capacité de la saisir. C’est une question de discipline et de travail. Je cumule ces deux chances ; j’ai suivi de solides études dans mon pays, le Mali, grâce à un système d’éducation qui n’a plus rien à voir avec le système actuel et de tout temps tourné vers l’extérieur, grâce à mes différents contacts, j’ai toujours été informé des opportunités qui se présentaient. Une voie ouverte à tous les jeunes africains, à condition toutefois que nous mettions en place un système d’éducation robuste.
Vous avez travaillé dans la plus grande agence spatiale du monde, la NASA, puis dans la plus grande entreprise informatique internationale. Faut-il en déduire que Cheikh Modibo Diarra n’est attiré que par le « gigantesque » ?
Pas vraiment ! Ces compagnies sont devenues gigantesques parce qu’elles ont toujours été en avance sur la réflexion. Grâce à cette avance, elles réalisent la valeur de la connaissance tacite
qui ne s’apprend pas à l’école ! C’est elle qui permet d’identifier les opportunités d’utiliser le savoir, de l’optimiser. Ce sont les grandes sociétés qui sont informées de cette connaissance tacite et partent en quête des gens qui la possèdent. Et personne au monde ne détient une connaissance tacite plus développée que celle de l’Africain. Quand une agence spatiale comme la NASA veut « faire plus avec moins », ce qui était sa philosophie à l’époque, elle ne peut trouver mieux qu’un Africain. Nous avons toujours su que la créativité et l’innovation peuvent se substituer aux ressources financières ! Les « grosses boîtes » étant à la recherche de cette connaissance tacite, j’ai donc pu travailler avec elles.
Cheick Modibo Diarra, Président du Mali ? La politique vous tente-t-elle ?
Pas vraiment. Je fais partie de ces personnes qui disent aux Africains qu’il y a des milliers de façons de servir son continent. On peut le faire par le biais de la politique, de la science ou en étant simplement un leader d’opinion dans sa communauté. En même temps, je suis Modibo, humble fils du Mali, tel un soldat. Je suis un soldat de l’Afrique et je me rendrai, sans hésitation, sur tout front où on pense que je suis utile. Mais, a priori, si j’ai le choix, je préfère donner l’exemple, par la conduite de ma vie en contribuant au développement de mon continent, sans nécessairement faire de la politique. Je suis tout simplement à la disposition du développement de mon pays et de l’Afrique. Autant je suis passionné par la politique au sens étymologique du terme, celle qui a la finalité de résoudre les problèmes de la cité, autant la « politique politicienne » ne m’intéresse pas.
À propos du guidage de la sonde Pathfinder vers la planète Mars, vous aviez dit dans l’hedomadaire français Le Nouvel Observateur : « C’est comme si vous tiriez à la carabine depuis le sommet du Mont Blanc sur une pièce de 1 franc posée sur la couronne de la statue de la liberté à New York et que vous fassiez mouche ». Est-il plus facile de faire mouche avec Pathfinder sur Mars qu’avec Microsoft en Afrique ?
C’est un peu plus facile car la navigation interplanétaire ne dépend que de lois physiques ! Quand je dois lancer une sonde, une fois dépassé le débat au Congrès américain pour disposer du budget, je ne suis confronté qu’à des lois physiques pour la lancer, assurer sa navigation, etc. C’est une affaire d’ingénierie et non de sentiment.
Faire mouche avec Microsoft en Afrique, c’est différent car il y a des considérations politiques, sociales. Par exemple, le Sénégal est président de l’E-Africa Commission et vous avez un chef d’État que la chose intéresse. Mais il y a des pays en Afrique où les dirigeants vont jusqu’à ignorer qu’il s’agit d’une technologie de l’information. Faire mouche dans ces conditions est donc plus complexe ; il n’existe pas de lois guidant le développement des TIC ! Mais comme je ne suis pas un besogneux – j’ai les moyens de nourrir ma famille avec mon champ -, je me suis engagé auprès de Bill Gates dans Microsoft avec la conviction que mon « enrôlement » pouvait servir le développement de mon continent. Il m’est, dès lors, plus facile de parler aux dirigeants africains. Mon conseil sera de ne jamais se lier à une compagnie pour l’éternité et de toujours choisir celle leur offrant le meilleur produit pour un besoin déterminé
tout en sachant que chez Microsoft, nous présentons le meilleur produit dans la plupart des domaines.
Cet article a été publié dans le numéro de mars du magazine « Echos de la Banque mondiale – Magazine du bureau régional de Dakar ».///Article N° : 5893