Jean Odoutan : « L’énergie au service d’un cinéma authentique »

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Dates clef de Jean Odoutan
Naissance au Bénin dans les années 60
1983 : Débute dans le cinéma en France comme acteur
1997 : Fonde ses sociétés de production et distribution : Tabou-Tabac Films au Bénin, puis 45rdlc[1] en France
1999 : Réalisation-production et distribution de son premier long-métrage,  Barbecue Pejo
2003 : Créé Quintessence – Festival International du Film de Ouidah au Bénin[2]
2003 : Créé L’Institut Cinématographique de Ouidah (L’ICO)

Principaux longs métrages produits et réalisés
2016 : Pim-Pim Tché – Toast de vie !
2004 : La valse des gros derrières
2002 : Mama Aloko
2000 : Djib
1999 : Barbecue-Pejo
Originaire du Bénin, Jean Odoutan a fait des études de sociologie à Paris et commence une carrière d’acteur dans le cinéma au début des années 1980. Il se met rapidement à écrire des scénarii, puis tourne des courts métrages avant de fonder ses deux sociétés de production en 1997, Tabou-Tabac Films au Bénin parallèlement à 45rdlc, en France. Elles ont coproduit et distribué tous ses long-métrages. Débordant d’énergie, il est un cas atypique, puisqu’il assume les rôles de scénariste, d’acteur, de réalisateur, de compositeur, de producteur et de distributeur. Souhaitant développer le cinéma au Bénin, il fonde et anime de 2003 à 2015 un festival de films : Quintessence, et créé L’ICO – L’Institut Cinématographique de Ouidah,  ainsi qu’une salle de cinéma.

Nous sommes ici au Musée Château Vodou de Strasbourg, et l’origine du Vodou c’est le Bénin, et notamment Ouidah, une ville très présente dans votre dernier film Pim-Pim Tché – Toast de vie !.
On parle beaucoup du vaudou haïtien, mais il faut savoir que beaucoup d’Haïtiens sont d’origine béninoise, et ont d’ailleurs conservé les mêmes coutumes culinaires, comme à Bahia au Brésil d’ailleurs. Mais Ouidah, c’est aussi le plus grand comptoir de la traite négrière.
Dans mon film Pim-Pim Tché – Toast de vie ! (Ma Croustillante), il y a ainsi l’évocation de « La Porte du Non retour »[3], qui marque le lieu où les esclaves partaient pour les Amériques. L’esclavage est arrivé chez nous au XVIe par le biais des Portugais qui allaient chercher des gens avec la complicité des locaux, notamment à Abéokuta, à la frontière avec le Nigéria. Ils arrivaient à Ouidah, à la « Place Chacha », « Place des enchères »[4], visible aussi dans Pim-Pim Tché – Toast de vie !, et la ville de Ouidah est traversée par ce qu’on appelle « la route de l’esclave »[5]. Ces esclaves arrivaient à Zoungbodji, une espèce de no man’s land,  où se situe « l’arbre de l’oubli », censé leur faire oublier leurs origines.

Aïcha Ouattara dans Pim-Pim Tché

Les femmes tournaient autour de cet arbre sept fois, et les hommes neuf fois, avant de partir et étaient censés devenir amnésiques, puis finissaient leur route jusqu’à la « Porte du Non retour » où ils embarquaient sur les bateaux. Dans une scène de mon film Pim-Pim Tché – Toast de vie ! je suis assis avec Aïcha Ouattara, la comédienne principale, et on voit un monument représentant le Bénin avec une croix posée au XVIe siècle par les Portugais. C’est devenu un lieu de recueil pour les catholiques du monde entier. Ouidah est devenu par la force des choses une ville qui perpétue la tradition catholique mais aussi animiste.

 

 

Quels ont été vos débuts au cinéma ?
Marche à l’ombre (Michel Blanc, 1984) fut le premier film dans lequel j’ai joué. Je traînais aux Halles dans le centre de Paris avec ma bande de « blousons noirs », et j’avais été repéré par un directeur de casting qui trouvait que « j’avais une tronche ». Maka Kotto, l’un des acteurs noirs montants de cette époque, jouait aussi dans ce film. J’y suis allé pour me faire de l’argent, pas dans l’idée d’être acteu. Mais s’est sur ce film que j’ai éprouvé pour la première fois la violence du racisme, via la personne qui s’occupait des figurants, car ce jeune homme avait un comportement indécent. Je me suis alors juré de faire du cinéma pour imposer, sur mes tournages, le respect de tous, Noirs comme Blancs. J’ai d’abord écrit des scénarii, et n’y connaissant rien, je les envoyais à l’ADAMI et au CNC. J’ai envoyé des centaines de projets, tous refusés. Je ne connaissais rien à la dramaturgie : je me suis donc enfermé à la bibliothèque de Beaubourg à Paris pour étudier pendant des années tous les bouquins qui avaient trait à la dramaturgie, et plus globalement au cinéma. Je regardais beaucoup de films, en rentrant en cachette dans les salles pour les voir gratuitement.
Je me faisais la main à réaliser des courts-métrages avec des copains et avec des comédiens sélectionnés lors de castings sauvages. Nous récupérions les pellicules inutilisées par d’autres – il n’y avait pas le numérique – et on empruntait des caméras 16 ou super 16 auprès des loueurs. Les vendeurs de pellicules de chez Kodak et Agfa nous faisaient quelques fleurs, et j’ai ainsi réalisé mon premier court-métrage en tournant les week-ends. En contrepartie je faisais tout pour mes comédiens qui n’avaient pas le sou : je les hébergeais, je leur faisais la cuisine dans ce petit studio qui a accueilli plus tard ma société de production, 45RDLC, pour 45 Rue De La Comète où j’habitais. Je ne connaissais rien à la technique, et j’ai appris auprès des chefs opérateurs, car j’avais vraiment peur d’utiliser la caméra au début.

Comment êtes-vous venu à la réalisation et à la production ?
Lors de la coupe du monde de football de 1990 le Cameroun a été le premier pays africain à accéder en quart de finale. Cette victoire m’a inspiré un scénario hilarant ; j’ai donc écrit et envoyé l’année suivante le projet La Passion du Foot au CNC, ainsi que deux autres projets Kalamazo, version long métrage et version sitcom tendance Cosby-show. Parallèlement, je croise un certain Bobby qui s’occupait du casting de Diên Biên Phu de Pierre Schoendoerffer, un film qui se déroulait au Vietnam. Il m’a donc engagé pour faire de la figuration. Nous étions dix Noirs, dont Hubert Koundé qui jouera plus tard dans les films Métisse puis La Haine de Mathieu Kassovitz. Nous étions embarqués sur ce tournage ahurissant, avec de vrais militaires. Nous tirions au canon pour de vrai. Hubert qui était fragile du tympan, n’entendait plus à cause des bruits du canon. Nous étions séparés des autres acteurs qui étaient Blancs. Nous, Camerounais, Béninois, Maliens… qui ne nous connaissions pas, étions enfermés dans une pièce unique pour y vivre pendant six mois. Cela amena forcément des conflits. Nous souhaitions plus de confort. Nous avons alors fait une grève et avons refusé de tourner… et nous avons finalement eu gain de cause, après négociations auprès des réalisateurs et producteurs. C’est sur ce tournage que j’ai rencontré Momo Joseph, un acteur camerounais qui se prenait pour une grande star, ne voulait pas se mêler à nous et bénéficiait de quelques privilèges sur le tournage[6]. Mais nous nous sommes finalement réconciliés, et il a même joué dans mon second long-métrage Djib (2000), une comédie sociale qui est l’histoire d’un petit noir, gamin de banlieue, qui fait du trafic de saucissons secs et de mortadelle pour payer des vacances sensationnelles à sa petite amie Maghrébine.
Au retour du tournage de Diên Biên Phu, qui a duré six mois, à Paris, je trouve les réponses pour mes trois demandes au CNC concernant La Passion du Foot et Kalamazo : l’avance sur recettes long-métrage m’a financé la réécriture de Kalamazo, le COSIP m’a alloué une subvention pour le développement de la sitcom (qui n’a jamais vu le jour) et je passe en plénière à l’avance sur recettes court-métrage avec La Passion du Foot. Ce qui m’a offert l’opportunité de la subvention du THECIF (Théâtre et cinéma d’Ile de France). D’un coup, j’avais beaucoup d’argent, mais je n’avais pas encore de société. THECIF me conseille d’en approcher une pour produire le projet, mais personne ne veut participer au tournage d’un film fait par un réalisateur noir. Finalement je rencontre Claude Pierson[7], âgé d’une bonne soixantaine d’années, qui avait fait toutes les guerres, d’Algérie, etc., qui me fait signer un contrat de production pour les 180 000 F que j’avais obtenus – une somme très importante pour l’époque – afin de faire le court-métrage.
J’habitais près de l’Usine Éphémère, un endroit où se retrouvaient des artistes émergents : Tonton David, Juan Rozoff, les Négresses Vertes, La Force Alphabétik… et cette Usine allait devenir le décor de notre court-métrage. J’avais ramené tous les accessoires du Vietnam, et cela devait donner une ambiance mixte entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie. Monsieur Pierson ramène une caméra 16mm, m’impose son fils, ingénieur du son, assiste au tournage tous les jours avec épouse et amis (tous allongés dans des transats)… et ils se comportaient comme de véritables esclavagistes. On finit le film dans l’horreur, et pour le montage auquel je n’ai pas droit d’assister, il m’impose de nouveau son fils, ingénieur du son. Et quand j’ai eu l’autorisation de visionner les premières images de mon propre film, je découvre qu’ils avaient enregistré le son sur des pellicules qui servaient à des films pornographiques, et on entend les simulations des femmes alors qu’aucune de mes scènes n‘avait de rapport avec ça. De plus, le montage reconfigurait toute l’histoire que j’avais écrite. Dans leur esprit de Blancs ils avaient inventé leur film, fait leur histoire à eux, ce n’était plus l’histoire de La Passion du foot avec le Cameroun, c’était leur histoire de Blancs du 18e arrondissement. On s’est fâché. L’équipe très solidaire et moi-même avons menacé le producteur, et avons tout arrêté. M. Pierson avait gardé une grosse partie de la subvention et le son du porno…

Vous décidez alors de passer à la production…
Je me suis adressé au THECIF en décidant de créer à ce moment-là ma propre structure. Mais un Noir producteur, cela n’existait pas pour eux. Cela a mis beaucoup de temps pour se débloquer, et après des pertes d’argent et des conflits, nous avons retourné le film. J’ai créé ma première société Tabou-Tabac Films : « tabou » pour que nous ne souffrions plus des préjugés et pour traiter des sujets virulents, « tabac » parce que nous voulions faire des tabacs avec ces films sociaux et originaux! Avec cette structure nous avons tourné plein de petits projets sans le moindre succès… Puis après de nombreux rejets du CNC, j’écris un nouveau scénario Barbecue Pejo, que j’envoie à l’Avance sur recettes… En parallèle je travaillais en tant qu’animateur dans les écoles pour gagner ma vie. Pascal Thomas, grand réalisateur français, que je ne connaissais pas, m’appelle, me propose d’être mon coproducteur sur ce projet. Echaudé par mon expérience avec M. Pierson, je refuse. Mon film passe alors en commission  d’avance sur recettes au CNC, et je découvre que c’était Pascal Thomas qui était à sa tête… On m’alloue la somme de 1,6 million de francs, c’est à dire la moitié de ce que j’avais demandé, une somme donnée généralement pour les documentaires.

En parallèle je créé ma seconde société, 45RDLC, grâce à un apport en matériel. Pour ce film, je voulais des grands noms, de grands comédiens et un grand compositeur ! Beaucoup trop chers, je décide alors de tout faire moi-même. J’apprends la musique grâce à l’ouvrage « Apprendre le piano en 90 jours » et ferai celle du film, et je suis aussi gardien des décors sur le tournage! Personne ne voulait s’y coltiner, trop de risque, pas de sécurité… Une fois le montage terminé, je m’adresse aux distributeurs qui sont peu enthousiastes, ou me demandent si mon histoire parle de popotin « parce qu’en Europe on aime le popotin de la Négresse ». J’attends longtemps, j’essuie des rejets puis je décide d’assurer moi-même la distribution, et pour cela je rehausse le capital de ma société 45RDLC de 500 000 francs afin qu’elle puisse devenir une structure de production et de distribution.
Mon ami Pierre Constantin me suit depuis le début en 1991,  lorsqu’on était étudiants – moi en sociologie, lui en chimie à Nanterre – et c’est le seul car il faut être endurant pour me suivre, avoir de bonnes conditions physiques, mentales et l’énergie… On décide ensemble de distribuer le film en mettant en place une stratégie, mais en commettant des erreurs.  On se paie Libération, 80 000 Francs pour mettre l’affiche en première page.  Pour un film qui n’a pas coûté cher, avec des comédiens pas connus, ce n’était pas pertinent. Nous aurions dû mettre ces 80 000 Francs pour acheter des places du film et provoquer des entrées et recettes. Mais ils avaient publié l’affiche en noir et blanc, or nous avions spécifié en couleurs. Il faut toujours décortiquer un contrat… On a contesté et ils nous ont remis l’affiche en couleur une deuxième fois, ça nous a fait de la publicité gratuite en supplément.
Notre amateurisme a payé : Philippe Azoury, éminent critique cinéma de Libération, nous a repérés, amusé par notre dossier de presse où je racontais ma rencontre cocasse avec Pascal Thomas et il a écrit un superbe article. Le CNC n’était pas content… Mais Pascal Thomas nous a suivis, même si l’article ne lui faisait pas grâce. Il a même accompagné l’avant-première à Asnières devant une salle comble, et aussi accompagné mes premiers pas sur les radios, notamment France Culture. Puis l’Union Européenne nous a aidés pour la promotion et nous collions les affiches partout dans Paris. Ca a marché et une salle parisienne a même gardé le film 56 semaines !

Et vous avez rapidement enchaîné vos productions suivantes
45RDLC s’est développé, avec sept personnes rémunérées. Dans la foulée nous avons tourné Djib avec peu de moyens, peu de technique, des petits acteurs inconnus. Nous avons obtenu un pré-achat de Canal + pour 1,2 million, sur le film et non pas sur scénario ce qui se fait très rarement. Nous avons pu payer tout le monde correctement et avons fait une sortie technique. Mais Djib ne fait pas « voyager » comme Barbecue Pejo, et le public attend de moi des films « du continent » ; il ne m’a pas suivi sur ce film. Nous avons enchaîné sur Mama Aloko, mon troisième long-métrage, l’histoire d’une dame qui tient un boui-boui spécialiste des Aloko – plat de bananes plantains frites, avec de beaux dialogues.
En parallèle j’ai mis en place le tournage du quatrième, La valse des gros derrières, ce qui était ambitieux pour ma petite structure, et beaucoup d’énergie pour nous qui ne sommes pas du sérail. J’ai sollicité Canal + plusieurs fois, mais à chaque fois on m’a refusé. Le vrai problème par rapport à nos productions, c’est que je ne connais aujourd’hui aucun Noir qui frappe directement à la porte de Canal +. Sissako et Haroun l’ont obtenu, mais ils ont tout le temps été adoubés : pour monter Timbuktu c’est sa productrice Sylvie Pialat qui a été frappé à la porte de Canal pour Abderrahmane Sissako. Mahamat Saleh Haroun aussi c’est via son épouse Florence Stern qu’il a obtenu Canal ; ils sont portés par des structures françaises. Sans ces personnes qui adoubent  c’est encore impossible, et j’avais eu cette expérience sur Barbecue Pejo avec Pascal Thomas qui a été surpris quand je lui avais dit que je voulais aller tout seul chez Canal et toutes les chaînes ; maintenant je comprends ce qu’il voulait dire.  Aujourd’hui,  je suis content car il y a Alain Gomis qui est en train de monter avec son film Félicité, et j’espère qu’il pourra un jour aller démarcher tout seul sans autre soutien. Moi, je porte mes films tout seul.  Tous ont bénéficié de l’avance sur recettes du CNC et sont soutenus par l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), le MAEE (Ministère des Affaires Etrangères et Européennes)… Ils  sont  sortis en France via 45rdlc.
Entre temps, j’ai créé à Ouidah l’Institut Cinématographique de Ouidah pour la formation, et Quintessence – Festival International du Film de Ouidah. Fort de toutes ces expériences, ces critiques dithyrambiques, avec ces structures, je pensais avoir l’argent facilement pour réaliser mes œuvres, mais ça n’a pas été le cas. Je n’ai pas de villa en Normandie, ni à Dakar.  Certes, il faut être engagé à 100% sur la production, car c’est un autre métier que la réalisation. Mais nous,  réalisateurs Noirs, Africains, en 2017, il nous faut encore être au four et au moulin si nous voulons vraiment faire aboutir nos projets.

Mata Gabin dans Aloko

Mata Gabin dans Aloko

Quelles ont été vos difficultés sur votre dernier long-métrage ?
J’ai commencé Pim-Pim Tché en 2007-2008 en format cinéma, sur pellicule. On n’a pas eu beaucoup d’argent, 100 000 euros. Et il fallait transférer le film en numérique, faire du kinéscopage pour produire le DCP – 150 000 euros à l’époque, et on ne les avait pas. Je lance donc un crowd-funding, et entre temps les prix ont baissé à 23 000€. J’avais eu beaucoup de bonnes critiques partout : Libé, les Cahiers du cinéma, le Canard Enchainé… Même le magazine Elle m’avait soutenu et mis pour la première fois la tête d’un négro africain dans ces pages, grâce notamment à un article d’Elisabeth Quin, qui nous avait également fait beaucoup de promotion à l’époque sur Barbecue Pejo. Elle était sur RTL et à la fin de l’émission, avait crié « il y a un film qui faut aller voir à tout prix!!! ».
Pour la sortie en France de Pim-Pim Tché – Toast de vie ! le cinéma Le Lucernaire a été la seule salle à Paris à projeter le film. J’y animais beaucoup de débats, pour inciter les gens à venir, une séance par semaine. Ce travail d’accompagnement est crucial, même s’il n’y a que quatre personnes dans la salle. Depuis je tourne partout en France avec ce film, les gens me servent de VRP. Ce travail d’accompagnement est obligatoire. Avec des débats par-ci, des cinés-concerts par-là… C’est sûr qu’il faut de l’énergie, du coup je voyage un peu partout… Les gens ici veulent apprendre des choses sur l’Afrique, et en Afrique, Pim-Pim Tché est piraté – mais pourquoi m’énerver, L’actrice principale, Aïcha Ouattara, est heureuse. Quand elle prend le train ou l’avion, tout le monde la reconnaît !
Aujourd’hui Canal+ investit beaucoup en Afrique : c’est Bolloré… On sait d’où vient son argent, même si ça reste dans le pays. Il possède de nombreux ports en Afrique. Mais le port c’est le poumon de nombreux pays. Au Bénin, « le quartier latin » de l’Afrique, on n’a pas de pétrole mais l’Atlantique, et c’est la seule chose qui rapporte de l’argent, car les pays enclavés viennent chez nous. Alors, si on vend ça à un Blanc… Ces gens là construisent quelques salles sur le continent et tout le monde en parle, mais est-ce notre intérêt ?
Nous, les francophones, avons une mentalité de subvention, que n’ont pas les anglophones. Avant je méprisais Nollywood, mais leur système a bien fonctionné et les comédiennes y sont très bien payées. D’ailleurs la starisation est un phénomène important qu’il faut intégrer dans la coproduction internationale, mais  ce n’est pas encore rentré complètement dans les mentalités de nos pays.
Pour fonctionner, ma production internationale est toute simple : j’ai deux structures, 45 RDLC à Paris et Tabou-Tabac au Bénin donc je fais une coproduction avec ces deux structures, parce qu’il n’existe rien au Bénin. Depuis l’arrivée de Macky Sall[8] et grâce au succès d’Alain Gomis et plus particulièrement à son premier prix au FESPACO, le Sénégal s’organise. Maintenant ils ont un fonds et allouent des subventions aux réalisateurs et producteurs. Au Tchad, pareil pour quelques personnes, notamment Haroun… et en Côte d’Ivoire aussi, plutôt en matière de série. Au Bénin il n’y a aucune structure étatique qui soutient, même si j’ai œuvré beaucoup pour qu’ils donnent de l’argent pour la postproduction. Lorsque l’on dit que tel Africain a gagné un prix dans un Festival, on ne dit pas que ses financements sont européens, français… l’institut Français, Canal +, l’OIF…. Il faudrait que nous nous bagarrions pour que nos dirigeants qui n’ont pas la culture de la Culture s’y mettent et se l’accaparent ; c’est à nous, créateurs, de leur donner le goût de la chose, leur insuffler l’énergie créatrice pour qu’ils changent les choses. Des personnes talentueuses, ambitieuses et porteuses d’un optimisme fervent et fédérateur, mais ça ne court pas les rues…

Propos recueillis par Claude Forest et Mégane Maheu au Château Musée Vaudou de Strasbourg en mars 2017. Entretien réalisé par Claude Forest.

[1] www.45rdlc.com
[2] www.festival-ouidah.org
[3]La Porte du non retour inaugurée à l’initiative de l’UNESCO marque le symbole de la déportation dont la plage de Ouidah fut le théâtre. Source http://www.lesmemoiresdesesclavages.com/lieux5.html
[4]La Place aux Enchères, où étaient sélectionnés et marqués au fer les esclaves en partance sur les bateaux négriers. Source : http://www.esclavage-memoire.com/lieux-de-memoire/ville-memorial-de-ouidah-benin-78.html
[5]La Route de l’Esclave à Ouidah comprend un ensemble de lieux de mémoire liés à la traite négrière sur les côtes du Golfe du Bénin. Il s’agit soit de lieux de départ vers des sites d’embarquement, soit de lieux de vente et de stockage d’esclaves ou encore de fosses communes et de lieux de « triage ». Source : http://www.esclavage-memoire.com/lieux-de-memoire/ville-memorial-de-ouidah-benin-78.html
[6] Il avait déjà joué sur plusieurs longs-métrages, dont en 1976 sur Le Crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer.
[7] Né en 1924 et décédé en 1997, Claude Pierson était surtout connu à l’époque pour avoir réalisé une douzaine de films érotiques et une quarantaine de films pornographiques.
[8] Président de la République du Sénégal depuis 2012.

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